Yasheel Awootar : «La situation de la diaspora africaine et ses problèmes sont identiques à travers le monde»

Ils ne sont pas politiciens, et pourtant, ils ont «accouché» d’un deal «papa-piti» académique. Le Dr Anand Awootar et son fils Yasheel, ont lancé, le 2 octobre, Legacy of a Wounded Destiny : African Diaspora, un livre qui parle de la condition des descendants d’esclaves à travers le monde. Yasheel Awootar revient sur la genèse du livre et les thèmes abordés, dont certains risquent de froisser, de par leur objectivité et franchise, disent les auteurs.

«D’aussi loin que je m’en souvienne, mon père a toujours été fasciné par la culture africaine», explique d’emblée Yasheel Awootar, psychologue. Pendant sa carrière dans l’éducation, le Dr Anand Awootar a posé ses valises dans plusieurs pays du continent. Il a étudié au Kenya et a travaillé pour l’UNESCO, entre autres. Quant au fils, il a fallu qu’il quitte Maurice pour découvrir la diversité de la culture africaine. C’est aux États-Unis, en Europe, plus particulièrement en Angleterre, où il vit actuellement, qu’il a découvert l’étendue de cette culture.

Très vite, il a fait le lien avec les observations de son père. «Lorsque les personnes d’origines africaines parlent leur langue maternelle, peu importe laquelle, les intonations ressemblent fortement à celles du kreol de Maurice.» Un autre constat a jeté les bases du livre : la situation de la diaspora africaine et ses problèmes, qui sont identiques à travers le monde. «On a l’impression qu’ils lisent tous du même téléprompteur.» C’est à partir de petites observations comme celles-ci que l’idée du livre a germé et pris forme

De là, est venue la question tantôt politique pour certains, tantôt philosophique pour d’autres ou encore, rhétorique. Pourquoi, partout dans le monde, la diaspora africaine est celle qui est toujours la moins bien lotie et la plus ignorée, ce qui fait qu’elle se retrouve au bas de l’échelle, peu importe le pays ? Pour les coauteurs, c’est une question historique. Certes, explique Yasheel Awootar, il ne faut pas être oracle pour savoir que le plus grand facteur reste l’esclavage. «Les descendants des esclaves subissent, jusqu’à aujourd’hui, le traumatisme générationnel et les désavantages historiques, ce qui explique leur situation actuelle.»

À partir de là, il y a plusieurs écoles de pensées sur l’histoire. Il y a ceux, poursuit-il, qui disent qu’à l’époque, l’esclavage était la norme et que la société a évolué depuis. «Mais pendant très longtemps, nous avons ignoré l’histoire des esclaves, non seulement de la perspective de leurs descendants mais aussi de celle des esclavagistes.» Legacy of a Wounded Destiny : African Diaspora tente de mettre les deux en parallèle en maintenant un équilibre.

Il y a de ces sujets qui, dès qu’ils sont abordés, peuvent facilement fâcher, ou du moins, froisser. L’esclavage en fait partie, et dès le départ, les auteurs le savaient. «Comme par exemple, face au traumatisme générationnel des esclaves, dès le départ, il y a le fait que les esclavagistes n’ont rien perdu à l’abolition de l’esclavage. Maurice en est un exemple. Au contraire, ils ont profité de la situation. C’est un angle à ne pas oublier dans l’histoire», fait-il ressortir.

Ou encore, il y a le fait que l’esclavagisme avait la bénédiction de l’Église, alors coincée entre les esclavagistes et les monarchies. «Lors des recherches pour ce livre, j’ai noté des incohérences dans la version officielle présentée.» Le racisme est aussi un des thèmes abordés, tout comme celui ayant trait à ceux qui ont coopéré avec les négriers.

Il leur aura fallu quatre longues années pour mettre un point final au livre. La forme est particulière. Le texte est écrit sous forme de dialogue entre quatre étrangers qui étudient à Maurice. «Ce n’est pas tant pour faciliter la lecture que l’écriture», avoue le coauteur.

C’est que le livre traite de sujets sensibles, et il est plus facile de faire dire des choses à des personnages dans une forme «théâtrale» qu’en prose. Et pour donner de la voix aux personnages, Yasheel Awootar s’y connaît. A ses heures perdues, il est aussi humoriste et sa spécialité est justement la création de personnages et l’imitation. Ce qui lui a facilité les choses.

Pour le lancement, Hlamalani Nelly Manzini, haute commissaire de l’Afrique du Sud à Maurice, était l’invitée d’honneur et a partagé son histoire. Elle a expliqué comment, étant petite dans un pays rongé par l’apartheid, elle devait se rendre à l’école dans un bus délabré, comment elle a appris à compter avec des pierres et à écrire à même le sol. «Elle a aussi raconté comment elle voulait être médecin, mais que ce domaine était prohibé pour les Noirs.» Et la situation à Maurice ? Le thème en soi n’a pas été abordé dans le livre. Cependant, les observations du livre concernent la diaspora africaine à travers le monde, y compris pour le pays.

Diasporaction.fr