Bien au fait des réalités et des enjeux des relations nationales en ce 21e siècle, c’est dans la diaspora malienne qu’on rencontre souvent ceux qui sont farouchement opposés à l’accord pour la paix et la réconciliation nationale. Et cela d’autant qu’ils sont convaincus presque de façon unanime, que cet engagement est imposé au Mali et qu’il porte les germes de partition du pays. A l’occasion du 4e anniversaire de la signature de cet Accord (15 mai et 20 juin 2015), nous avons donné la parole au président du Bureau de l’Unité de Réflexion et d’Action pour le Mali en France (URDAC-MALI FRANCE).
Dans cet entretien, M. Yamoudou Kéita met à nu les insuffisances de cet accord qui, selon l’URDAC-Mali, est une menace sérieuse à la souveraineté nationale. Interview !
Le Matin : Qu’est-ce qui a suscité la mise en place de l’Unité de Réflexion et d’Action pour le Mali en France (URDAC-MALI FRANCE) ?
Yamoudou Kéita : L’Unité de Réflexion et d’Action pour le Mali (URDAC-MALI France) a été créée le 23 février 2014 à l’Île Saint-Denis (Seine Saint-Denis France), suite à l’assemblée générale constitutive organisée à cet effet. C’est une initiative des Maliens et Maliennes de France pour aider à faire face aux problèmes liés à leur vie de migrant au pays d’accueil (France) et au pays d’origine (Mali).
Par cette initiative, nous voulons contribuer au développement économique, social et culturel du Mali, d’Afrique et d’ailleurs par la solidarité associative d’une part. notre désir est aussi de contribuer à l’émergence d’un cadre de réflexion, d’action et d’expertise pour la conception et le suivi évaluation des projets de développement initiés par les Maliens de l’intérieur et ceux de l’extérieur à titre individuel ou collectif, c’est-à-dire dans le cadre d’une association ou autre type d’organisation.
En vous écoutant récemment sur VOA, on sent que vous considérez l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale comme une couleuvre qu’on veut faire avaler aux Maliens ?
L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, signé le 15 mai et le 20 juin 2015 à Bamako d’où l’appellation accord de Bamako (de notre point de vue), est pour l’URDAC-Mali l’accord de la trahison, l’accord de la partition du Mali et de la division du peuple malien. Somme toute, c’est l’accord de la disparition du Mali.
Il est important de souligner, pour lever toute ambiguïté liée à la sémantique, que c’est à la fois un accord pour la paix (dans le sens où c’est un processus), un accord de paix (dans la mesure où certains des points sont applicables dès la signature) et un accord de paix (dans la mesure où cet accord garantit la paix au peuple de l’Azawad).
Que reprochez-vous concrètement à cet accord ?
L’URDAC-MALI reproche à cet accord son caractère anticonstitutionnel, sa nature attentatoire à la souveraineté, à l’intégrité territoriale du Mali et à la conscience historique de la nation malienne.
Quels sont les passages ou les allusions qui vous inquiètent dans cet engagement ?
Cet engagement d’un pouvoir pro-Azawad, signé au forceps occulte le peuple souverain du Mali pendant tout le processus de négociation, est inquiétant dans son ensemble. Pour commencer, la stratégie de la France (pays ami) n’était pas rassurante car elle consistait à s’appuyer sur les groupes rebelles alliés aux groupes narco-djihadistes pour affaiblir politiquement et militairement le pouvoir de Bamako. Le Mali a signé cet engagement au moment où l’Etat était très affaibli par le coup d’Etat et ses conséquences institutionnelles et sécuritaires désastreuses.
L’accord en question est le dernier d’une série constituant l’historique des accords signés entre l’Etat malien et les différents groupes d’une rébellion touarègue qui n’a cessé de planer sur l’indépendance du Mali et menacer son intégrité territoriale avec des complicités intérieures et extérieures.
De l’historique des accords signés on peut retenir, pour une meilleure compréhension des enjeux et des perspectives de «l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger» :
– L’accord de Tamanrasset signé le 6 janvier 1991 (entre Ousmane Coulibaly, chef d’état-major général des armées, représentant de l’Etat malien et Iyad AG Ghali secrétaire du Mouvement Pour l’Azawad (MPA), représentant de la rébellion en Algérie.
-Le 11 avril 1992 : signature du Pacte national à Bamako (République du Mali) entre le Colonel Bréhima Siré Traoré représentant de l’Etat malien et les groupes rebelles Touaregs.
-Le 27 mars 1996, cérémonie de la Flamme de la paix à Tombouctou.
-L’accord d’Alger pour la restauration de la paix, de la sécurité et le développement de la région de Kidal a été signé à Alger le 4 juillet 2006 entre l’Etat malien et les représentants de l’Alliance Démocratique du 23 mai pour le Changement (ADC) issue du mouvement touareg de l’Adrar des Ifoghas. L’ADC a été fondée par Iyad Ag Ghali, Assan AG Fagaga, Ibrahim Ag Bahanga et Amada Ag Bibi pour devenir l’aile politique de la rébellion.
-L’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger est signé le 15 mai et le 20 juin 2015 à Bamako (République du Mali). Il est important de rappeler ici qu’un premier accord de paix dit accord préliminaire (accord de Ouagadougou) avait été signé entre le gouvernement malien et les rebelles indépendantistes Touaregs dont le but principal était d’une part, permettre un retour à l’ordre constitutionnel synonyme d’une certaine stabilité et, d’autre part, permettre l’organisation de la présidentielle et des législatives.
L’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger est un document de 32 pages (17 pages textes et 15 pages annexes), 7 titres, 20 chapitres, 68 articles. La spécificité de cet accord est qu’il est anticonstitutionnel (constitution du 25 février 1992) et son application est une menace pour l’intégrité territoriale du Mali et pour la souveraineté du peuple malien.
Quelques articles pour mieux illustrer votre inquiétude !
Titre I (voir texte accord), chapitre1 relatif aux principes et engagements les points b, c, d de l’article1, l’article3 (relatif à la révision constitutionnelle et à la modification de l’architecture institutionnelle du Mali hérité de l’indépendance, du régime militaro-civil et de la révolution de mars 1991), article4 etc.
Chapitre 2 relatif aux fondements pour un règlement durable du conflit. Nous attirons l’attention de nos compatriotes sur l’article 5 portant création et reconnaissance de l’Etat de l’Azawad en lui conférant les pouvoirs et compétences dignes d’un Etat souverain au nom de la décentralisation poussée.
Le titre II relatif aux questions politiques et institutionnelles à travers le chapitre 3 traitant du cadre institutionnel et de la réorganisation territoriale (projet de découpage territorial, création du sénat) au niveau local et national, jette les bases d’une fédération voire d’une confédération en y associant les articles 7, 8 et les points a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l du chapitre 4 relatif à la répartition des pouvoirs et compétences.
-Que faut-il faire maintenant pour rendre l’accord meilleur ?
Face à la forfaiture voire à la complicité du président de la République, de l’Assemblée nationale, du gouvernement et des autres institutions de la République, il est impératif d’impliquer le peuple souverain du Mali pour couronner le processus de négociation et pour légitimer l’accord. Et cela conformément au titre II (de l’Etat et de la souveraineté) de la constitution du 25 février 1992, notamment à travers les articles 25, 26, 27 et 28 pour ne citer que cette partie.
Comment peut-on imposer une relecture à la communauté internationale et aux mouvements armés ?
L’URDAC-Mali pense que, au regard du principe de réciprocité des Etats qui résulte de la reconnaissance de la République du Mali comme Etat indépendant et souverain, la communauté internationale se doit de respecter la souveraineté du peuple malien.
Le président Ibrahim Boubacar Kéita, son gouvernement et les députés ont trahi le peuple malien en l’engageant de facto dans un processus couronné par un accord qui renie sa souveraineté au profit d’un statut particulier octroyé jadis à une catégorie de la population du nord du Mali par le colonisateur selon des considérations discriminatoires et racistes.
Que faut-il faire pour ne pas perdre cette souveraineté de plus en plus compromise ?
La solution passe par un sursaut national contre l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger. Cela nécessite une union sacrée du peuple malien dans toutes ses composantes, sans considérations partisanes, pour exprimer son opposition à cet accord imposé et qui est le fruit d’un complot international contre le Mali.
Pour réussir cette étape déterminante pour la libération du Mali des forces irrédentistes et colonialistes, il est important d’engager un processus de réappropriation de l’accord par le peuple souverain du Mali.
L’URDAC-Mali, conformément à la résolution de sa conférence débat du 27 avril 2019, travaille à mettre en place une synergie d’actions allant dans ce sens avec d’autres structures comme le Conseil Supérieur de la Diaspora Malienne (CSDM), Débout pour le Mali (DPM)… La liste n’est pas exhaustive. Les institutions de la République du Mali, à commencer par le président de la République, doivent pouvoir porter à hauteur de souhait les aspirations du peuple malien.
Dans l’espoir que les Maliens opteront pour le Mali de feu Modibo Kéita et le Mali démocratique hérité de la révolution de mars 1991, nous osons espérer que les autorités politiques maliennes sauront porter cette aspiration et la faire valoir en tout temps et en tout lieu.
En remettant en cause l’accord, le Mali s’expose à des sanctions de la communauté internationale, notamment un isolement diplomatique et financier. Est-ce que les Maliens sont mentalement préparés à faire face aux conséquences d’un tel blocus ?
Le Mali est soumis à un blocus depuis le coup d’Etat du 22 mars 2012 pense l’URDAC-MALI. On peut parler d’une mise sous tutelle de la France depuis la signature de l’accord de défense (2014) qui fait du Mali un pays sous occupation étrangère. L’intégrité territoriale du Mali, la souveraineté et l’indépendance de notre pays doivent être défendues à tout prix. Aucun sacrifice ne sera de trop en la matière.
Les Maliens ont besoin d’être informés sur leur sort indissociable de celui du Mali. L’omerta qui prévaut jusque-là doit laisser place à la légalité constitutionnelle et aux obligations y afférentes. L’histoire de la diplomatie et des relations internationales retient l’embargo contre les pays comme la Palestine, l’Iran, la Libye (à un moment de son histoire), la Syrie, etc. La plupart de ces pays, à l’exception de la Libye, disposent encore d’un Etat qui défend la souveraineté de leur peuple.
Le peuple malien doit résister à un moment où l’histoire nous impose un nouveau partage de l’Afrique liée à l’éternelle convoitise de ses richesses minières.
Quelles sont les voies et moyens préconisés par l’URDAC pour ramener la paix au Mali ?
L’URDAC-MALI pense que le Mali subit les conséquences d’un échec de gouvernance depuis le coup d’Etat militaire du 19 novembre 1968. En tenant compte du manque de vision des présidents successifs de la 2e et de la 3e République, la bonne gouvernance soutenue par une vision, un projet unificateur qui met le peuple malien au cœur de la gouvernance est la voie la mieux indiquée.
Il est ainsi indispensable de renforcer le pouvoir du peuple en instruisant une démocratie participative s’appuyant sur un Etat de droit et de justice pour relever les grands défis auxquels le Mali est confronté.
Cela est indispensable pour trouver une alternative crédible à la démocratie de privilège exercée actuellement et qui s’appuie sur la rente d’Etat et des structures alimentaires (partis politiques, associations) pour mieux nourrir la corruption, l’injustice et l’exclusion sociale.
-Quelle est votre réaction aux récentes déclarations du Général retraité français Pinatel et Alexandre Del Vall sur la situation au Mali ?
L’incitation au racisme, à la haine et à la violence est prohibée par toutes les conventions relatives aux droits des peuples et des citoyens, donc aux droits de l’Homme tout court. Je pense que les propos du Général Pinatel et d’Alexandre Del Vall relèvent des qualifications précitées. Ces propos méritent une plainte en réponse de l’Etat malien devant un tribunal compétent avec le courage et la volonté politique de défendre l’honneur et la souveraineté du peuple malien.
Quel appel lancez-vous aux Maliens pour relever les défis auxquels le pays fait face ?
L’URDAC-Mali lance un appel au peuple malien, sans exception aucune, pour un sursaut national contre l’application de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger. L’application de cet accord engendrera des conséquences géopolitiques et géostratégiques défavorables au Mali de feu Modibo Kéita.
L’URDAC-Mali témoigne sa reconnaissance aux patriotes convaincus (es) opposés (es) à l’accord en question et sollicite leur soutien en appelant à l’union sacrée des fils et filles du Mali pour sauver le Mali.
Pour finir, nous invitons nos compatriotes à accepter de consentir le sacrifice suprême pour sauver l’honneur et la dignité du peuple malien.
Propos recueillis par
Moussa Bolly
L’indispensable prise de conscience pour sauver la nation
Titulaire d’une Maîtrise philo-psycho-pédagogie obtenue en 1999 à l’Ecole Normale Supérieure de Bamako (Mali), Yamoudou Kéita est un intellectuel de la diaspora malienne en France qui a vu le jour en janvier 1974 à Mourdiah (Cercle de Nara, région de Koulikoro) au Mali. Il a aussi un Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées (DESS) en sciences de l’Education obtenu en 2003 à l’université Paris 8 (France). Tout comme M. Kéita a décroché un Diplôme d’Etudes Approfondies (DEA), grade de Master en sciences de l’Education, obtenu en 2005 à l’université Paris 8.
Enquêteur KHI2, TNS SOFRES (France), agent de sécurité, (sécurité incendie) ; réceptionniste d’hôtel ; veilleur de nuit ; manutentionnaire logistique ; enquêteur analyste (étude entourage et biographie) à l’Institut National des Etudes Démographiques (INED, France) ; animateur socioculturel (enquête sociale : associations Protection, Prévention, Médiation/ Raconte-nous ton histoire) et Professeur des écoles contractuel en France, Yamoudou Kéita a fait un point d’honneur de réussir à la sueur de son front.
Pour cet universitaire, il n’y a vraiment pas de sot métier tant que cela permet d’être autonome et de réaliser les ambitions qu’on s’est fixé en quittant son pays pour la France.
Comme tout patriote digne de ce nom, il est très affecté et inquiet de la situation actuelle du pays embourbé dans une crise multidimensionnelle avec peu d’espoir de voir le bout du tunnel dans un court délai. Ainsi, à la tête du Bureau de l’Unité de Réflexion et d’Action pour le Mali en France (URDAC-MALI FRANCE), Yamoudou se bat aujourd’hui pour soustraire son pays des griffes de ceux qui lui imposent cette crise et travaillent à sa partition juste pour garantir leurs intérêts économiques et géostratégiques au Sahel.
Sans jeter la pierre à un régime ou à un homme voire à une femme, URDAC-Mali s’est courageusement attaquée aux racines du mal qui a conduit notre pays dans cette crise : le système de gouvernance ! Et cela à travers une stratégie axée sur l’information, l’éducation et la sensibilisation pour un changement de comportement et de mentalité de la base au sommet.
Ses actions, d’une manière générale, visent à nous faire prendre conscience que nous devons chacun améliorer ou changer quelque chose en nous pour ne plus être un frein au changement radical qui s’impose aujourd’hui pour l’avènement de cet autre Mali, le Maliba, dont nous rêvons tous !
C’est dans ce combat que Yamoudou Kéita et ses camarades sont engagés depuis quelques années à travers notamment la réflexion sur les grands défis auxquels le Mali fait face aujourd’hui !
Moussa Bolly