Le Républicain : Le paysage politique et institutionnel actuel réunit-il les conditions pour une reprise de la coopération de l’Union Européenne ?
Bertrand Soret : Le principe de base de nos activités, c’est qu’effectivement nous ne travaillons qu’avec des régimes reconnus et légitimes. Si on transpose cela au cas du Mali, il y a trois grandes conditions pour reprendre la coopération qui a été interrompue. La première était le retour d’un système qui soit proche de la constitution, ce qui est le cas parce qu’il y a un président qui correspond à l’arrangement constitutionnel qui préexistait. Deuxièmement, c’est un retour à l’Etat de droit pour qu’il n’y ait pas d’arrestations extrajudiciaires, que la sécurité soit assurée pour les civils etc. Cela est en partie réalisé. Notre grande satisfaction est qu’en particulier des poursuites ont eu lieu suite à l’agression, absolument inacceptable, contre le président par intérim. Ces arrestations se font dans le cadre judiciaire, ce qui est une bonne chose.
« Si le gouvernement veut être en capacité de gouverner, il doit aller vers la classe politique et discuter avec tous les maliens. »
Mais Il n’est pas normal par exemple que l’Ortm et l’aéroport continuent d’être gardés par l’armée. Donc il y a encore un certain nombre de symboliques qui font penser que nous ne sommes pas tout à fait revenus à un Etat de droit. La troisième grande condition générale c’est l’existence d’une feuille de route, c’est-à-dire un programme qui permettra aux autorités de transition de remplir leur mandat en organisant des élections et l’occasion de reconquérir le nord du pays.
« Tout le monde doit s’approprier cette feuille de route sinon ce sera un exercice artificiel, qui n’aura pas beaucoup de légitimité et peu de chance d’aboutir. »
Cette feuille de route, pour l’instant, nous ne l’avons pas, elle se doit d’être crédible, utilisable, si on veut pouvoir la mettre en œuvre dans un délai raisonnable. Il faut que l’établissement même de cette feuille de route fasse l’objet d’un vaste consensus et une vaste consultation. Encore une fois, si ce gouvernement veut être en capacité de gouverner, il doit aller vers la classe politique et discuter avec tous les maliens de façon à ce que ce programme ne donne pas l’impression d’avoir été dicté de l’extérieur ou que ce programme soit artificiel mais qui ne repose véritablement que sur la volonté du peuple.
Il faut donc remplir ce vide, compenser ce déficit de légitimité par un dialogue national le plus large possible.
Le Républicain : C’est cette feuille de route qui va conditionner votre accompagnement ?
Bertrand Soret : Exactement, il faut que ce gouvernement trouve sa légitimité à travers un dialogue avec l’ensemble des Maliens, la classe politique, l’assemblée nationale, la société civile, les femmes, les militaires doivent également avoir leur mot à dire dans cette feuille de route qui doit être acceptée de tous. Tout le monde doit s’approprier cette feuille de route sinon c’est un exercice qui va être artificiel et qui n’aura pas beaucoup de légitimité et qui a peu de chance d’aboutir.
Le Républicain : Le gouvernement actuel répond-il aux attentes de tous, implique-t-il tout le monde?
Bertrand Soret : Pour nous, le gouvernement n’a une chance de réussir la transition que si les éléments essentiels de cette transition ont fait l’objet d’un accord aussi large que possible. La transition doit avant tout préparer un programme pour parvenir à des élections qui soient également légitimes, souhaitées par tout le monde. Pour ces élections, il faut déterminer le fichier électoral. Est-ce qu’on reprend l’ancien fichier électoral ou le Ravec, ce sont des questions essentielles qui ne peuvent pas être déterminées de manière arbitraire. Si on veut que cela fonctionne, si on veut que les gens acceptent les élections, si on veut éviter la phase dans laquelle nous nous sommes trouvés au début de l’année, il faut que cela fasse l’objet d’un large consensus.
Le Républicain : Voulez-vous dire un gouvernement d’union nationale ?
Bertrand Soret : Je crois qu’il y a eu un malentendu dans notre propos en disant qu’on voulait le départ du gouvernement, non ce n’est pas ça. Le gouvernement est le résultat d’un processus, le président a été nommé sur la base de la constitution. Sans discuter sur les personnes, ce n’est pas à nous de juger. Par contre, leur travail doit trouver un ancrage à travers un dialogue aussi large que possible, encore une fois.
Le gouvernement de transition est là. Maintenant il faut qu’il travaille et qu’il puisse être accepté. Ce n’est pas à nous de dire si ce sont les bonnes personnes ou pas. Pour nous, c’est un gouvernement qui trouve sa légitimité dans les accords qui ont été passés avec les uns et les autres. Par contre, en termes de choix, des personnes jusqu’à présent posent problème. De plus, le gouvernement n’a pas trouvé les canaux de négociations et concertations vers la classe politique. Ce n’est pas une critique mais simplement un constat. Si on veut que cette transition réussisse, il faut qu’elle bénéficie d’un certain soutien. Ce gouvernement n’est pas issu d’un processus de concertation nationale. Nous sommes avec ce gouvernement, mais il faut voir comment on peut sortir de cette difficulté et comment ce gouvernement peut effectivement se mettre au travail pour aboutir aux élections et la récupération des régions nord du pays.
Le Républicain : Si non votre coopération reste stationnaire, en l’état, s’il n y a pas d’ouvertures ?
Bertrand Soret : Notre coopération, depuis le coup d’Etat se limite à l’humanitaire, à l’alimentaire, aux ONG et à la Société civile et tout ce qui bénéficie directement à la population. Donc, nous avons encore un certain nombre d’activités. Nous ne sommes pas dans une situation d’arrêt complet. Au cas par cas, nous voyons si nous pouvons poursuivre notre coopération par exemple avec les collectivités locales. Ce qui est exclu encore pour l’instant c’est effectivement le financement direct des autorités pour les raisons que je vous ai citées et en particulier l’appui budgétaire.
Le Républicain : Donc il faut absolument une feuille de route pour la reprise de vos financements ?
Bertrand Soret : Exactement, donc comme je vous le dis, il nous faut des assurances que nous sommes revenus à un Etat de droit et que nous ayons une feuille de route qui soit acceptée et qui soit réaliste permettant de nous amener à des élections et permettant de régler la question nord du pays.
Le Républicain : Quelles sont pour vous les solutions de sortie de crise ?
Bertrand Soret : Le processus doit être le résultat d’un travail fait par les Maliens. Donc on ne va pas poser une solution. Cette concertation est la plus large possible que j’ai mentionné tout à l’heure avec les partis politiques, la société civile, les organisations des femmes mais également des militaires qui doivent se retrouver dans ce processus, de la société malienne dans toutes ses composantes. Comment organiser ce dialogue? Je crois que le cadre est à trouver par les Maliens eux-mêmes, un cadre de concertation. Il faut trouver un format, un agenda clair pour éviter les ambigüités mais qui permette de mettre toutes les questions sur la table. Dans ces questions, les premières doivent être concrètes à savoir quel type de société on veut ? Quel rôle on veut pour l’armée ?
« Le gouvernement n’a pas trouvé les canaux de négociations et de concertations vers la classe politique. »
Ce sont questions globales qui permettent de refonder le système puisqu’on voit que le lien s’est dissout entre les Maliens et la classe politique. Dans l’immédiat, c’est aussi comment veut-on organiser les élections c’est-à-dire sur la base de quelle liste électorale. Est-ce que c’est l’ancien fichier qu’on va réviser ? Est-ce que c’est le Ravec ? Ce sont des questions sur lesquelles je pense que le gouvernement a des propositions à faire. Mais les décisions finales doivent émaner d’une discussion générale pas seulement se baser sur un calendrier qui serait imposé, et sur des ressources qui n’existent pas. Encore une fois sur le chronogramme des élections, sur la manière de conduire les élections, il faut avant tout que les Maliens soient d’accord. Et après partant de là nous les partenaires, nous serons là pour appuyer.
« Il nous faut des assurances que nous sommes revenus à un Etat de droit et que nous ayons une feuille de route acceptée et réaliste. »
Mais il ne faut pas renverser le processus en disant que vous les partenaires est-ce que vous avez de l’argent à mettre pour les élections ? Combien ? Et en fonction du budget combien on va avoir ? Ce n’est pas dans ce sens que les choses doivent fonctionner. On doit venir vers nous avec une feuille de route en disant que tout le monde est d’accord, bon pas tout le monde parce qu’en démocratie il y a toujours des dissensions. Quel que soit le processus qu’on utilise à travers ce dialogue national, nous sommes arrivés à la conclusion que tout le monde peut admettre tel type de fichier électoral. Maintenant en fonction de ce type de fichier électoral, il nous faut telle ou telle ressource. Alors à partir de ce moment on verra si on peut apporter l’entièreté de ce qui nous sera demandé ou pas. Ce n’est qu’à ce moment qu’on pourra se positionner.
Le Républicain : Et pour le nord ?
Bertrand Soret : Au nord, plus le temps passe plus la situation se dégénère surtout pour les populations qui souffrent. Et ce qu’il y a de plus dramatique c’est qu’on a souvent tendance à l’oublier en continuant à discuter sur le système politique au sud. Les Maliens doivent savoir ce qu’ils veulent et voir comment on peut appuyer ce processus. Il n y a pas de solution miracle. La première, c’est effectivement les négociations avec les parties prenantes. Ce qui est essentiel, c’est de pouvoir être à mesure de le faire, c’est pour cela que le gouvernement doit être aussi légitime que possible. Avoir la possibilité de dire qu’il parle au nom des Maliens et essayer d’entamer des négociations avec les acteurs du terrain. L’extérieur, on peut le dire, peut faire la médiation mais on ne peut pas non plus l’imposer, c’est quelque chose qui doit venir de l’intérieur. Première chose donc, négociation. Après, ce n’est pas à moi de commenter ce que les uns et les autres veulent.
Le Républicain : Combien de temps à la négociation ?
Bertrand Soret : Ecoutez, si on fixe un calendrier on se fixe des contraintes et après ça ne serait pas nécessairement respecté.
Le Républicain : Les négociations peuvent prendre beaucoup de temps. Pendant ce temps la situation s’empire ?
Bertrand Soret : Absolument, comme vous le dites, il faut que la négociation soit contenue dans un délai relativement raisonnable sinon la situation ne fera qu’empirer. La négociation doit être appuyée également par une force militaire qui soit crédible.
Le Républicain : Donc négocier en position de force ?
Bertrand Soret : Il faut négocier en position de force. Ceci étant dit, l’armée malienne a besoin d’être reconstruite, remise en état, que ce soit en termes d’armement mais aussi en termes de structures. Ce sont des éléments que nous sommes prêts à travailler. Pour les négociations, nous sommes prêts à servir d’intermédiaire si c’est utile mais il faut d’abord avant tout qu’au niveau du Mali qu’on ait une idée précise de ce qu’on veut obtenir et avec qui.
Cela été dit clairement, ce qui est inacceptable, c’est la partition du pays, cela est clair, ce postulat établi une négociation peut se faire même si ce n’est pas à nous de dire ce qui est possible et ce qui n’est pas possible. Nous nous pourrons aider au plan logistique, au plan de la restructuration, de l’armement de la formation… mais tout ceci doit être une décision des Maliens. Tout comme dans le choix de qui doit y participer, qui peut aider. Si c’est la Cedeao avec l’Union Africaine, si c’est la Cedeao avec les pays du champ ou si ce sont des pays occidentaux.
L’Union Européenne est prête également à jouer son rôle si on le lui demandait et surtout s’il y a une formulation précise qui permette d’avoir une réponse.
Le Républicain : Quelles seront vos prochains créneaux de coopération du point de vue de la réalité du terrain ?
Bertrand Soret : On commence à travailler sur ce qu’on appelle le Fed (Fonds Européen de développement) qui va encadrer la coopération avec tous les pays de la zone ACP. Pour les années à venir, on est en train de réfléchir comment tirer des leçons sur la crise actuelle pour orienter notre coopération de manière efficace et plus utile au pays. Disons que c’est du long terme. A court terme, en particulier pour le nord, la semaine prochaine le 07 juin à Abidjan, il va y avoir une réunion sous les auspices de l’Union Africaines et des Nations Unies qui va réunir la Cedeao, les pays du champ et un certain nombre de pays occidentaux ainsi que l’Union Européenne qui sont engagés dans un processus d’accompagnement du Mali pour étudier ce dont on vient de parler à savoir comment participer à la restructuration de l’armée malienne, comment les pays de l’extérieur peuvent s’impliquer dans les négociations, etc.
Le Républicain : Je prends l’exemple d’un pays comme la Suisse qui est à coté de l’Union Européenne. Est-ce que ça ne gène pas ?
Bertrand Soret : Toutes les bonnes volontés sont bienvenues. Dans ce processus, il faut que les différents protagonistes aient confiance aux pays ou aux personnes qui font la médiation. Si la Suisse est appelée à jouer un rôle, on va l’appuyer. Le risque, toutefois, dans ce type de médiation internationale, c’est qu’il y a trop d’acteurs. A partir d’un certain moment, cela peut gêner la recherche d’une solution.
Le Républicain : L’Afganisation du nord, un terme très fort. Pensez-vous qu’on s’achemine vers ce schéma ?
Bertrand Soret : Je crois qu’il faut se méfier des analogies parce que les situations sont forcement différentes, sociologiquement et même géographiquement. Par contre là où il y a des similitudes, c’est qu’effectivement le nord-Mali est devenu une zone de non droit occupée en partie par des groupes terroristes qui revendiquent un activisme anti occidental et qui se nourrissent de trafic de drogue, d’enlèvements , d’attentats dans les pays voisins ou en Europe. Donc de ce point de vue là, effectivement il y a une certaine similitude avec l’Afghanistan, la Somalie etc. De toute manière, c’est un effondrement des institutions dans la zone. Une zone sous aucun contrôle où les terroristes peuvent trouver une base pour porter leurs actions à l’extérieur et ça c’est extrêmement dangereux.
Propos recueillis par
S.El Moctar Kounta
B.Daou
Le républicain Mali 05/06/2012