L’entreprise dispose pourtant de structures modernes; elle a une assemblée générale des actionnaires qui nomme son président-directeur général et met en place son conseil d’administration; elle dispose aussi d’un directeur général adjoint qui coiffe son comité de direction et tous les chefs de service; les voix discordantes y sont acceptées même si ignorées. En fait l’étoffe de ce qu’une entreprise moderne doit avoir. L’entreprise est à son 6ème PDG depuis sa création; le dernier en date a débuté ses fonctions en Septembre 2013. Son bilan est jusqu’à présent considéré comme largement négatif. Très négatif même. Mais son contrat n’arrive à échéance que dans quelques années. Et le conseil d’administration n’a pas l’autorité légale de le remplacer sauf dans des cas extrêmes.
Malgré les résultats peu probants, le conseil d’administration est entièrement derrière le PDG; les membres de son « grin » (connu sous le nom de « réseau populaire malien ») contrôlent plus de la moitié des sièges du conseil d’administration. L’entreprise possède 8 succursales dans le pays; chacune est dirigée par des directeurs régionaux nommés par le PDG lui même.
Une offre publique d’achat a d’ailleurs concerné 3 de ces succursales — l’OPA a été rejetée avec force par l’entreprise; cela a été possible avec l’aide d’experts financiers venus de plusieurs pays Africains et de France — les experts d’Ilam n’étant pas à la hauteur. Cependant la situation de ces 3 succursales demeure encore floue. Cette OPA a fait couler beaucoup d’encre et continue encore de le faire. Pourquoi Ilam S.A. ne fonctionne-t-elle pas?
La réponse est simple et compliquée à la fois. Ilam est une entreprise où le dysfonctionnement est toléré, accepté, et pire, même encouragé. La logique de satisfaire les actionnaires (véritables propriétaires de l’entreprise) est simplement absente. Le PDG, le comité de direction, les chefs de service, les cadres supérieurs et la majorité des employés participent de fait à la destruction de l’entreprise. L’honnêteté n’y est pas considérée comme vertu; en fait, les employés — sous-payés pour la plupart — ne voient pas d’un mauvais œil les tripatouillages de collègues qui essayent de joindre les deux bouts. Le cas du PDG actuel, Brin Atiek, mérite d’être discuté — son premier DGA, un brave monsieur du nom de Ramu Taly a démissionné à cause de la désinvolture dont il a été témoin. Le deuxième DGA, Moïse Aram, s’est rapidement discrédité auprès du conseil d’administration et surtout du « grin » du PDG qui a fini par le renvoyer. Le PDG Atiek vient de nommer un nouveau DGA, Obidom Atiek — aucun lien de parenté connu avec le PDG.
La parenté est évoquée parce que depuis qu’il est PDG, Brin Atiek s’est attelé à nommer ses parents, amis et connaissances à des postes de responsabilité. Un partage de gâteau que lui même avait dénoncé. Mais c’était au tout début. Tant de choses ont changé depuis. Comme évoqué plus haut, Ilam est une entreprise très endettée et cela lui vaut des contrôles réguliers du Fonds Malien des Investissements (FMI) et de la Banque du Mali (BM). Ces deux organismes essayent tant bien que mal à baliser les actions de l’entreprise et ont contribué à mettre à nu de sérieux problèmes de malversations. Les services de contrôle d’Ilam ayant pris le relai du tandem FMI/BM ont découvert que les services d’approvisionnement d’Ilam avaient fait de la surfacturation leur mode de fonctionnement.
Les actionnaires ont perdu au moins 30 milliards CFA. Selon plusieurs estimations c’est entre 10 et 20% du chiffre d’affaires d’Ilam qui sont siphonnés chaque année. Les employés à tous les niveaux ont créé de véritables mafias dont le seul but est la prédation; Ilam et ses actionnaires perdent de fait tous les jours 1 milliard CFA en moyenne; cet argent normalement destiné aux actionnaires se retrouve investis en biens immobiliers, achat de véhicules, voyages de luxe, etc., pour le bénéfice d’une minorité. Pendant que les actionnaires croulent sous l’effet des difficultés de tout genre, les dirigeants d’Ilam (conseil d’administration, comité de direction, etc.) mènent une vie luxueuse.
Le PDG s’est lui même offert un deuxième avion pour ses déplacements; son marabout, dit-on, lui a déconseillé d’emprunter l’avion acquis par un de ses prédécesseurs. Mais certains observateurs — plus cartésiens — y voient simplement un montage financier destiné à enrichir des proches du PDG.
Il est assez connu que la prédation au sein d’Ilam s’effectue surtout lors de l’achat des biens d’équipement. Comment sortir Ilam de ces difficultés qui ne cessent de s’accentuer? Si je le savais, je serais riche aujourd’hui avec les frais de consultation. Le cas d’Ilam n’est pas unique dans la sous-région ou dans le reste de l’Afrique.
Il y a Lagenes et Regin respectivement au Sénégal et Niger, Eniug en Guinée, ICR en Côte D’Ivoire, Atlov au Burkina, et j’en passe; toutes des entreprises avec des parcours similaires à celui d’Ilam. Le pire c’est que leurs PDG respectifs se retrouvent depuis belle lurette au sein d’une association (Organisation Africaine De Compagnies ou OADC) dont le but est de les fusionner. Il est difficile de comprendre comment des entreprises dont la pérennité est douteuse puissent créer une entité dont le but final serait de les regrouper.
Faut-il cependant désespérer d’Ilam? Oui, si on veut rester dans la rationalité. Mais dans un pays où Dieu est invoqué à tous les tournants, l’espoir n’a jamais disparu; les actionnaires d’Ilam pensent que les difficultés actuelles ne sont qu’une mauvaise passe; même si cette mauvaise passe dure depuis 50 ans. Certains actionnaires pensent que plus d’assiduité dans les prières, ou d’avantage de prières collectives, changeront les choses. D’autres pensent qu’il suffirait que les actionnaires discutent des circonstances qui ont conduit à la mise à l’écart du premier PDG pour que tout revienne à l’ordre. Il va s’en dire que les actionnaires eux même ont besoin d’une importante dose de rationalité et réalisme.
Le marché mondial change, Ilam devrait plutôt s’adapter aux donnes (et normes) du commerce international, et surtout restructurer son administration (et modèle de gestion) en la rendant moins onéreuse, plus efficace et plus réactive. Mais il est difficile d’imaginer le PDG Brin Atiek être le moteur de ce changement.
Source: Le Républicain-Mali 2015-02-23 21:19:44