Mon voisin de chambre que je consulte alors me dit qu’il doit s’agir d’une attaque puisque le camp d’Aguel Hoc, situé à 500 mètres de notre logement, a connu plusieurs alertes depuis décembre dont la dernière date du 17 janvier. Cette alerte, selon mon voisin, a été prise très au sérieux par les populations qui commenceront à quitter le village. Le départ du grand marabout Ould Badi est du nombre de ces réfugiés. A partir de 4h du matin, on entend plus que des coups de feu de kalach et des armes lourdes. Tout le bâtiment vibre.
Nous pensons alors que quelqu’un est positionné sur le toit. Nous découvrirons ses chaussures le matin. Je ne sais pas s’il a été tué et son corps ramassé par ses compagnons ou s’il est parti de lui-même. Nous sommes environ 150 dans l’Institut, tous terrés, portes fermées jusque vers midi où deux assaillants sont venus nous déloger de l’aile du bâtiment où sont nos chambres.
Tout le monde est regroupé dans la cour, donc une centaine d’otages gardés par quatre assaillants avec leur kalach et le regard fermé. Leur Toyota BJ est garée tout près avec un autre assaillant derrière le fusil mitrailleur monté sur sa voiture. Il y a un noir et trois peaux blanches- Touareg ou arabes – dont fortement barbu et habillé à l’afghan : pantalon s’arrêtant au mollet, chemise sans col et aux manches longues.
Les assaillants nous ont d’abord délestés de nos téléphones, ordinateurs, argent et vivres. Le reste de nos équipements (frigo et fauteuils) est tout simplement mitraillé.
Le Directeur de l’Ecole et son adjoint ainsi que les femmes de l’école sont relâchés. Les tirs ont cessé dehors.
J’apprends plus tard que l’armée a compris que nous sommes des boucliers humains. Nous sommes amenés en brousse, à environ sept km d’Aguel Hoc. A cet endroit précis, nous sommes remis à un autre groupe d’une trentaine de personnes, toutes barbues et habillées en afghans. Un jeune homme se détache de ce groupe, vient vers nous et nous dit que l’objet de leur lutte c’est la justice et la création d’un Etat islamique. Il nous lance en français : « voyez-vous-même qu’il n’y a pas de justice dans ce pays. Seuls les puissants gagnent.
Les pauvres perdent toujours. Ce qu’il nous faut c’est la charia ». Il ajoute : « si ce n’est pas possible d’avoir cela au Mali, nous l’obtiendrons pour l’Azawad ». Ce prêcheur fait place ensuite à un autre qui continue le sermon en bambara. Devant notre étonnement de le voir s’exprimer en bambara, il nous dit que plusieurs langues sont utilisées par leurs membres : « des langues du Tchad, du Nigeria, du Burkina Faso, du Niger, de l’Algérie » et d’autres encore. Il nous demande de prier pour eux et promettent de nous retourner sains et saufs à Gao en cas de victoire. Car dit-il, « c’est l’armée notre cible ».
Il nous exhorte à prendre les armes pour défendre l’islam. « Comme ça vous irez au paradis comme nos morts d’Aguel Hoc ». Nous prions tous. Après il nous demande de garder la barbe. Vers 17 heures, nous sommes libres et cherchons à regagner Aguel Hoc. Nous passons la nuit dans un campement, la nuit tombante. Le chef du campement, un Touareg, s’est bien occupé du nous en nous donnant du couscous et du lait. Le lendemain, nous arrivons au village vers 8 heures.
Le Commandant du camp, Sekou Traoré, qui nous cherchait, vint vers nous et nous demanda de vite entrer dans le camp. Il n’y avait qu’une Toyota BJ. Nous ne sommes pas restés longtemps dans le camp puisque les tirs avaient cessé. Dans le village, le 19 janvier j’ai vu des dizaines de corps dans les rues. J’apprends que l’armée a perdu un garde, un ETA et que quatorze militaires sont blessés ».
Propos recueillis par Adam Thiam
Le Républicain Mali 31/01/2012