Un lecteur éclairé analyse la question du Nord Mali:

 

On sait que d’une façon générale, les Touaregs, qui comptent à peu près 1,5 million d’âmes, n’ont jamais été soumis à une autorité centrale étrangère; ils ont toujours vécu en nomades, sillonnant l’immensité du Sahel et même du Sahara sur des milliers de kilomètres. Durant la colonisation, ils ont, comme les autres peuples africains, tentés de résister à l’invasion, mais ont fini par subir la loi du plus fort. Par la suite, ils se sont sentis marginalisés par la puissance coloniale au profit des agriculteurs sédentaires, subissant du coup un double traumatisme: celui du colonisateur et celui de l’agriculteur, qui les considérait comme des empêcheurs de «cultiver en rond».

Au moment de la colonisation, l’autorité française a rencontré une résistance farouche de la part de ces hommes du désert. Les tentatives de pénétration par le Nord s’étant avérées inefficaces, la conquête fut menée par le Sud en suivant le fleuve Niger. Les Pères blancs, qui s’étaient installés à Tombouctou en 1896, accompliront la mission d’éclaireurs et permettront aux troupes françaises, parties du Sud, de faire la jonction à Timaouine (Algérie) avec celles venant du Nord. Vers 1906, la France parvint à imposer sa mainmise sur le Sahara central, tout en concédant aux Touaregs une autonomie relative, qui les laissait libres de leurs mouvements. Mieux, à l’avènement de la République soudanaise, en 1958, puis de la Fédération du Mali en 1959, ils auraient reçu des autorités françaises la promesse que leur autonomie serait respectée par les Etats nouvellement indépendants. Ces promesses ne furent pas tenues et les Touaregs se retrouvèrent répartis entre plusieurs pays, avec des frontières définies c’est-à-dire sans la liberté de mouvement dont ils avaient l’habitude.

A partir de 1958, les processus d’indépendance étaient en cours. La France, ou des Français, caressèrent un moment l’espoir de créer un vaste espace indépendant. Les Touareg refusèrent l’idée. Cependant, leur marginalisation croissante les incita à créer, en 1958 à Kidal, le Mouvement Populaire de l’Azawad (MPA), qui caressa, un moment le rêve d’un Etat touareg. Mais l’éclatement de la Fédération du Mali voit la proclamation de la République du Mali en septembre 1960, sous la présidence de Modibo Keita tandis que le Niger devenait lui aussi indépendant le 3 août 1960.

La première fronde des Touareg du Mali remonte à 1963, soit trois ans après l’indépendance du pays. Cependant, les deux régimes qui se sont succédés depuis 1960, ceux de Modibo Keita et de Moussa Traoré, ont, chacun à sa façon, occulté le problème et n’ont donc pas cru bon en examiner en profondeur les causes, qui sont aussi bien endogènes qu’exogènes. En effet, les lendemains d’indépendance voient une centralisation excessive du pouvoir et un Parti unique à vocation intégrationniste. C’est donc logiquement que la réponse de l’Armée malienne de l’époque fut l’utilisation disproportionnée de la force (bombardement sévère des positions rebelles avec ce que cela comporte de morts et de blessés). Les auteurs de ces actes de rébellion sont alors qualifiés de bandits armés par les autorités, qui voulaient minimiser ainsi le problème.

Une délégation est alors envoyée par le MPA en Algérie pour solliciter l’aide du Gouvernement algérien. Mais le Président algérien de l’époque,  Ahmed Ben Bella, fera arrêter les membres de cette délégation pour les remettre aux autorités maliennes. L’arrivée de Moussa Traoré au pouvoir en 1968, à la tête d’un Comité militaire de Libération Nationale (CMLN), ne changea pas fondamentalement la donne. Certes, les débuts furent prometteurs, avec les grâces accordées aux meneurs de la rébellion de 1963, mais, très vite, contesté de toute part, le régime crut trouver son salut dans des aventures guerrières et dans la répression contre la population, y compris les Touaregs.

Malgré tout, la résistance touarègue prend de l’ampleur et s’organise. Les grandes années de sécheresse, surtout celle des années 70, ainsi que les problèmes économiques des Nord malien et nigérien ont vu les jeunes Touaregs partir vers des horizons divers. Nombre d’entre eux en Libye, où le Colonel Kaddafi avait déclaré à plusieurs reprises que ce pays était le leur et qu’ils pouvaient en acquérir la nationalité à tout moment. Nombre d’entre eux furent enrôlés pour faire la guerre contre l’armée tchadienne dans la conquête de la bande d’Aouzou. D’autres se rendent en Algérie, en Palestine, au Liban et en Syrie ou ils s’intègrent entre autres, dans les organisations palestiniennes. Certains allèrent même jusqu’en Afghanistan. Après l’expulsion des Palestiniens du Liban et le transfert du siège de l’OLP à Tunis, la majorité de ces jeunes va retourner au Sahara pour rejoindre la résistance touarègue, devenant à leur tour des formateurs de commandos.

En 1914, les Touareg maliens seront les premiers à se révolter et à utiliser les armes contre l’administration coloniale française, considérée comme un asservissement. Les Touareg réclament «l’Organisation Commune des Régions Sahariennes» (OCRS) correspondant à l’espace occupé et l’organisation d’un État (Les Français ont caressé l’idée de création d’une Organisation Commune des régions sahariennes (OCRS) qui comprendrait les parties sahariennes de la Mauritanie, du Niger, du Soudan et du Tchad avec l’idée de les rattacher à l’Algérie française).
Après l’indépendance, l’administration et l’armée maliennes occupent les postes laissés par les administrateurs français, sans effacer l’impression d’oppression. Dès 1959, les Touareg se révoltent et ne déposent les armes qu’en 1964. Les combats cessent, mais pas l’hostilité.

Très vite un fossé se creuse avec la région de Kidal, qui reste une zone dangereuse, interdite aux touristes et fortement militarisée. D’ailleurs, Gao, ville mythique, capitale des Askias (chef religieux) au XVIe siècle, est la septième région du Mali mais aussi le point de départ du conflit qui frappe la partie septentrionale de ce pays. L’ensemble de la région du Nord est traversé, depuis l’accession du Mali à l’indépendance, par des rébellions armées (1962-1964) que les différents gouvernements ont essayé d’enrayer en vain par la répression.

Le mot «Touareg» est lui-même révélateur. Il s’agit d’un surnom venu de la langue arabe, les nomades se nommant entre eux «Kel Tamasheq» (littéralement, ceux qui ont pour langue le berbère tamasheq). Rappelons que le Nord-Mali correspond à l’espace géographique des trois régions économiques et administratives de Tombouctou, Gao et Kidal, soit près des deux tiers du territoire national avec environ 10% de la population du Mali.

Au Mali-Nord, les populations blanches nomades du Sahara (Touareg et Maures) cohabitent avec les populations noires d’agriculteurs et d’éleveurs. Les nomades s’opposent à l’autorité centralisée des Etats qui personnifient des frontières intangibles, en totale contradiction avec leur mode de vie et leur culture. Le conflit s’est aggravé avec l’accumulation des frustrations nées de discriminations entre populations noires et nord-africaines et entre sédentaires et nomades.

Cet aspect relatif aux relations entre l’autorité centrale et les forces locales est mis en avant par Baba Dembélé et Boubacar Bâ qui étudient les conflits fonciers pastoraux et le manque de décentralisation. Pour eux, si les communes et les élus sont connus, leur rôle et leurs responsabilités dans le développement local sont encore largement ignorés, surtout quand il s’agit de la sécurisation de l’accès au foncier rural et aux ressources naturelles locales. Concernant cet important élément de la vie économique et des distributions des richesses, les responsables locaux sont jugés, au mieux impuissants, au pire, complices des spoliations.

La création de l’OCRS et la frustration des populations nomades du Nord

L’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) a été créée par la loi 57.7.27 du 10 Janvier 1957, parue dans le Journal Officiel de la République Française du 12 Janvier. L’objectif de cette institution, selon ses promoteurs, est de «Promouvoir toute mesure propre à améliorer le niveau de vie des populations et à assurer leur promotion économique et sociale dans le cadre d’une évolution qui devra tenir compte de leur tradition». Avant son adoption, cette loi avait été l’objet d’une discussion en tant que projet de loi devant le Conseil de la République en sa séance du 27 Décembre 1956.

La question du Nord que nous vivons aujourd’hui trouve son origine dans ce projet de loi portant création de l’OCRS. Plusieurs représentants des Territoires d’Outre mer s’étaient dès le départ élevés contre la création de cette institution. Cette idée de créer un état saharien avait pour principal animateur, un intellectuel de Tombouctou très lié au Général de Gaulle Mohamed Mahmoud Ould Cheick. Ce dernier avait commencé à propager cette idée dans le milieu nomade et sédentaire, mais avait échoué grâce à l’action conjuguée des populations et des chefs de fraction notamment Attaher, le père de Intallah, ancien député de Kidal dans l’Adrar des Iforas, et Mohamed Ali Ag Attaher qui était très influent dans les zones de Tombouctou et du Gourma.

Ces chefs s’étaient opposés à l’idée de sécession, tout simplement parce qu’ils voulaient plutôt vivre avec leurs frères maliens que d’accepter la proposition française. Ce qui avait joué c’était plutôt le facteur religieux. A l’Indépendance, les régions du Nord, précisément Kidal, sont immédiatement placées  sous administration militaire.  Selon les populations locales, les militaires à leur arrivée se sont comportés  comme en terrain conquis. Ce qui a eu pour conséquence selon les populations et surtout Iyad Ag Aghaly, de provoquer une réaction d’hostilité des habitants  de ce milieu envers l’armée, ce qui va être l’étincelle de la rébellion de 1963.

Pour Iyad et ses frères, au plan militaire ces rebelles constituaient des petits groupes de quelques dizaines de combattants à dos de chameaux. Cette situation a duré une année, c’est-à-dire jusqu’en 1964. Iyad raconte dans un entretien paru à Alger en 1991 au moment de la signature des accords de Tamanrasset, que la répression exercée par l’Armée malienne fut des plus dures. «Il y eut un véritable génocide» selon lui, beaucoup de nomades furent tués, brulés, et torturés, pour eux ce sont des images qui sont restés gravées dans la mémoire collective de cette génération.

En réalité, la militarisation de la région ne faisait que s’accentuer à l’époque, tous les cercles, tous les arrondissements, tous les puits et points d’eau constituaient en fait des casernes. Ceci va d’autre part aggraver la situation au Nord au point de vue administratif.

La zone de Kidal avait été déclarée zone d’insécurité et interdite aux touristes de 1963 à 1987 soit 24 ans, et fermée au monde. A cette situation chaotique au plan militaire et administratif, vient s’ajouter la sécheresse de 1972-1973 à 1983-1984 compliquant davantage la situation pour l’actuelle génération qui a récemment pris les armes à  Ménaka,  Aguelhok, Niafounké et Kidal. A la suite de cette calamité; il eut un exode massif de toute la jeunesse du Nord en direction des pays limitrophes. Cet exil pour certains a emmené une rupture entre cette jeunesse et son pays natal. Ayant grandi à l’étranger ils ont été influencés par les mentalités des pays d’accueil, mais en même temps ils souffraient puisqu’ils étaient en situation irrégulières depuis 1973. Ceux qui travaillaient dans ces pays étaient très souvent expulsés, spoliés de leurs biens, emprisonnés.

Parallèlement, des mouvements se sont créés en vue de réagir contre cet état de fait et de 1981 à 1984 les jeunes exilés ont intégré toutes les brèches  ouvertes à l’apprentissage des armes. Certains on fait le Liban et la Syrie, avant de revenir à leur mouvement d’origine (comme Iyad Chef militaire de la rébellion actuelle blessé actuellement en Algérie et surtout Gamou qui combat actuellement du côté malien,  grand combattant avec une grande expérience vers Ménaka).

Pour beaucoup à l’époque le régime de Moussa dormait, ainsi il fallait réveiller l’opinion malienne et internationale, pour la génération des Iyad aucune alternative ne s’offrait à eux pour poser la question du nord (d’où le conflit de 1990), où le gouvernement malien finit par accepter le dialogue pour aller aux accords de Tamanrasset les 5 et 6 Janvier 1991. On sait qu’après les accords parmi les rebelles beaucoup n’étaient pas contents et on vit la naissance de plusieurs mouvements qui reprirent le maquis (MPA, FIAA, FPLA).

Ramifications régionales du conflit

Le conflit dans le nord du Mali dépasse les frontières du Mali pour une multitude de raisons. Premièrement, la population touareg se trouve disséminée sur cinq Etats aux politiques différentes et aux relations changeantes. La communauté touareg compterait entre 1 à 1,5 million d’âmes éparpillées sur un territoire de quelque 2 million de kilomètres carrés occupés. Le Niger compte 7 à 800 000 Touareg, le Mali en abrite pour sa part près de 600 000, l’Algérie, 50 000 et la Libye 30 000.

Aussi toute tension survenant au Mali -ou au Niger- a-t-elle des répercussions immédiates dans le pays voisin. Ce territoire reste extrêmement difficile à contrôler en raison de son immensité, des conditions de vie, de ses frontières passoires, de la facilité de mobilité, etc. De juteux trafics de cigarettes, de drogues, d’armes transitent par cette zone et alimentent l’instabilité.

Deuxièmement, les populations se déplacent. A partir de 1972, la sécheresse persistante qui s’installe dans le nord du Mali décime les troupeaux, source principale de subsistance des populations nomades. Appauvries, elles cherchent refuge dans les pays voisins, notamment l’Algérie et la Libye.

En Libye, les jeunes sont enrôlés dans la Légion islamique et reçoivent une formation militaire et idéologique. Mais la sécheresse n’est pas l’unique cause de ce regain de violence. Les analystes évoquent, en effet, deux autres raisons : le retour des jeunes exilés formés en Libye, qui avaient appris le métier des armes, et l’expulsion par l’Algérie d’environ 20 000 réfugiés. Certains de ces jeunes formeront les mouvements qui déclenchent les hostilités en juin 1990. Pour des raisons évidentes, les combats font peur aux habitants de la région du Nord.

La solution se trouve, parfois, dans la fuite vers les pays voisins. Le Burkina Faso en fait partie. Selon Lassina Fabrice Sanou du quotidien burkinabé le Pays, des civils touaregs du Mali cherchent refuge au Burkina Faso. Ils seraient devenus indésirables dans leur pays, parce que des membres de leur communauté ont pris le maquis contre le régime en place. Bon nombre ont opté pour l’exil vers les pays voisins. Entre mai et juin 2008, 900 réfugiés touareg sont ainsi arrivés au Burkina Faso, parmi lesquels 300 personnes -hommes, femmes et enfants- ont été logées dans un stade de la capitale, tandis que les autres sont restés à Djibo, près de la frontière avec le Mali. Selon l’un des réfugiés, Mohamed Alher Ag Abou, il y aurait même parmi eux des Nigériens, mais qui ne se sont pas encore déclarés comme tels.

Le Niger connaît une situation analogue à celle du Mali. Les réfugiés ont dû abandonner tous leurs biens, et surtout leurs troupeaux, pour se réfugier au Burkina-Faso.

Le troisième aspect de la régionalisation du conflit est d’ordre sécuritaire. L’ensemble des experts remarquent que la longue marginalisation du Ténéré des Kel Tamasheq est remise en cause par l’apparition d’enjeux géopolitiques nouveaux, à savoir la présence d’El Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et de l’armée américaine. Les responsables de l’Alliance démocratique du 23 mai 2006 pour le changement ont nié toute participation avec le groupe terroriste du GSPC et ont tenu à dénoncer «ceux qui ont tenté en vain de porter atteinte à leur intégrité morale en prétendant que les combattants touareg collaboraient avec des éléments du GSPC et ceux qui ont essayé d’utiliser la résistance armée touareg pour combattre les salafistes». Une manière, selon le mouvement, de se «débarrasser des uns et des autres».

D’ailleurs, des représentants du gouvernement malien et le mouvement touareg de l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement, ainsi que la médiation algérienne ont tenu en juillet 2009 une réunion à Bamako. C’était la première visite officielle des ex-rebelles touareg dans la capitale malienne. L’Alliance s’est engagée à coopérer avec le gouvernement malien en matière de lutte contre le terrorisme dans la région du Sahel. Les trois parties ont décidé de mettre en place une série de mesures destinées à renforcer le processus de paix dans le nord du Mali. Parmi les mesures décidées : la création d’unités spéciales de sécurité dans le nord du Mali.

Selon Awanekkinnan, les dirigeants de l’Alliance démocratique du 23 mai 2006 envisagent d’internationaliser leur conflit auprès des Nations unies, l’Union africaine, l’Union européenne et divers organismes mondiaux. En se basant sur le droit international, le mouvement de l’Azawad voudrait soumettre un dossier comportant une demande d’appui de la communauté internationale à la revendication d’un «statut particulier» pour les territoires touareg, seul mécanisme, à leurs yeux, à garantir aux populations locales «la préservation de leur identité et d’assurer leur survie et leur développement socio-économique».

L’Algérie dans les négociations

En tant que peuple autochtone du Sahara, les Kel Tamacheq comptent également bénéficier de la reconnaissance internationale concernant leur liberté de circulation transfrontalière afin de pouvoir maintenir leurs liens ancestraux avec tous leurs territoires répartis entre plusieurs Etats (Mali, Niger, Libye, Algérie, Mauritanie, Burkina Faso) et leur garantir un «accès équitable aux ressources de leur terre et de leurs territoires». Un premier pas symbolique a été franchi avec le Conseil mondial amazigh (CMA), dont le président, Belkacem Lounes, a effectué une visite en 2008 dans la région touareg au nord du Mali pour rencontrer les dirigeants de l’Alliance démocratique.

L’instabilité dans la région du Sahel a toujours constitué une préoccupation majeure pour l’Algérie. Les autorités algériennes ont toujours redouté des connexions entre les mouvements terroristes de l’ex-GSPC et les rebelles touareg. L’autre préoccupation de l’Algérie vient de la Libye. Considérant cette région comme sa zone d’influence, la Libye n’hésite pas à multiplier les initiatives différemment accueillies. L’une d’elles a consisté à dépêcher, en 2008, une délégation de la Ligue populaire et sociale des tribus du Grand Sahara, en vue d’une médiation de réconciliation entre les autorités du Mali et du Niger avec les rebellions touareg au nord de ces deux pays.

Cette initiative mobilise des instruments de médiation fondés sur les rapports sociaux, culturels et civilisationnels. Ainsi la mission était-elle composée de chefs de tribus et notables de 15 pays issus de pays arabes et africains. Quoi qu’il en soit, l’Algérie a toujours posé deux conditions: premièrement, que les objectifs des Touareg ne soient pas liés à une revendication autonomiste ou sécessionniste; deuxièmement, que les deux parties acceptent la médiation.

A ce propos, Hassan Fagaga, le chef des Touareg qui avait publiquement exigé une large autonomie pour la région de Kidal, avait fait machine arrière et accepté la condition algérienne en 2006. Réunis à Alger, des dirigeants de l’Alliance pour la démocratie et le changement (ADC), réunissant différents groupes d’ex-rebelles touareg, ont appelé Bamako à appliquer strictement l’accord d’Alger, estimant que ses engagements n’ont pas été totalement tenus. Les participants ont demandé à l’Algérie d’intervenir auprès du gouvernement malien, tout en plaçant le gouvernement algérien devant ses responsabilités comme «garant de l’application de l’accord».

Le mouvement de résistance note que seuls le désarmement et leur intégration dans l’administration ont été réalisés parmi tous les points exigés dans l’accord. D’autre part, le mouvement affirme que les combattants ont décidé de se retirer en dehors des zones habitées afin d’éviter les risques encourus par les populations civiles. Rappelons que l’accord d’Alger de juillet 2006 a été signé entre le gouvernement du Mali et l’ADC. Il prévoit, notamment, le développement des régions déshéritées du Nord malien, en grande partie désertique. Signé après l’insurrection de 2006, cet accord a fait suite à un dialogue entre les deux parties engagé avec l’appui de l’Algérie. Dès 2007, l’Algérie et le Mali ont mobilisé 1,15 milliard de F CFA (1,75 million d’euros) pour un fonds spécial dans le cadre de l’accord de paix signé, en 2006 à Alger, et prévoyant le développement des trois régions du nord du Mali (Tombouctou, Gao et Kidal). Le Mali a débloqué 650 millions de F CFA et l’Algérie 500 millions de F CFA.

Cet accord faisait suite à l’insurrection commencée en mai 2006 après l’attaque des garnisons de Kidal et Ménaka par «l’Alliance démocratique pour le changement du 23 mai» (ADC). Sans prendre l’ampleur des crises précédentes, la médiation algérienne débouche, le 4 juillet 2006, sur les Accords d’Alger. Mais après un cessez-le-feu d’une année, des attaques et des enlèvements ont repris… Un nouvel accord d’arrêt du conflit est en gestation en juillet 2008. Toujours sous l’égide de l’Algérie, les deux parties en conflit avaient signé, en 1992, un «pacte national» prévoyant, notamment, des «mesures économiques et sociales» en faveur des populations touareg un volet de rattrapage de développement et un statut particulier (autonomie) pour la région de l’Azawad (Nord-Mali), le désarmement des combattants touareg et leur «intégration» dans les différents corps de sécurité et de l’administration de l’Etat.

Mais, en 1994, la situation se détériore à nouveau et le Mouvement patriotique Ganda Koye (MPGK) voit le jour. Le MPGK réunit essentiellement des populations sédentaires du nord. Des négociations interethniques aboutissent à la signature des «accords de Bourem» en janvier 1995. Les différentes négociations débouchent, en 1996, sur la cérémonie de la «flamme de la Paix de Tombouctou» au cours de laquelle 3 000 armes sont brûlées pour marquer la volonté de tous les Maliens de vivre en paix. Les MFUA et le MPGK annoncent leur dissolution. (A suivre)

Retour sur les différents accords conclus

Plusieurs analystes ont donné leur avis, notamment l’ambassadeur Doulaye Corentin Ki,  qui revient sur les racines profondes de la rébellion touareg et les accords qui ont été conclus dans le passé sans pour autant réussir à régler la question définitivement: le «Pacte National» du Mali du 11 avril 1992 et « Accord établissant une paix définitive entre le Gouvernement de la République du Niger et l’Organisation de la Résistance Armée» paraphé à Ouagadougou le 15 avril 1995 et solennellement signé à Niamey le 24 avril 1995. Mais de nouveau, des Touaregs ont pris les armes pour se faire entendre alors qu’on croyait le problème définitivement résolu.

Déjà, le 23 mai 2007, des assaillants, identifiés comme étant des Touaregs, avaient attaqué deux garnisons dans la ville de Kidal, au nord du Mali. Ils se sont, par la suite réfugiés dans les montagnes de Teghargat à la frontière algérienne. Ce groupe d’assaillants, qui s’est auto dénommé «Groupe du 23 mai», a été condamné par les signataires du Pacte National. Malgré un «Accord de paix, de sécurité et de développement de la région de Kidal», signé sous l’égide de l’Algérie en juillet 2006, le même groupe a perpétré des attaques contre des éléments de l’Armée malienne les 26 et 27 août 2007. Au cours de ces embuscades de nombreux soldats maliens ont été kidnappés par le même groupe dirigé par  Ibrahim Ag Bahanga qui rejette la paix signée avec Bamako.

Encore, c’est aussi avec stupeur que l’on avait appris l’attaque, au mois de février 2007, d’une caserne à Iferouane, à l’extrême nord du Niger, qui fit 45 morts et de nombreux blessés. L’attaque a été revendiquée par un groupe qui se dénomme «Mouvement National pour la Justice» (MNJ), commandé par un certain Aghali Alambo. Depuis lors, d’attaques en représailles, la situation se complique de jour en jour au Niger, avec ses effets collatéraux. Ces actions au Mali et au Niger sont-elles coordonnées ? Bien que le groupe du Mali ait annoncé la naissance d’une «Alliance Touareg Niger-Mali» (ATNM) avec des objectifs et des revendications communes éventuelles, cette information n’a pas été confirmée par les rebelles Touaregs du Niger.

Mais que s’est-il donc passé pour que l’on assiste à une résurgence de la question touarègue? On se rappelle qu’il n’y a pas encore très longtemps, la stabilité et la sécurité en Afrique de l’Ouest et plus particulièrement dans la région sahélo-saharienne avait été mise à rude épreuve au début des années quatre-vingt-dix par la rébellion touarègue qui a notamment affecté directement le Mali et le Niger, mais aussi, de façon indirecte, les pays limitrophes de ces deux Etats comme le Burkina Faso, l’Algérie et la Libye.

Ainsi, le Mouvement Populaire de Libération de l’Azawad (MPLA), créé depuis 1988 par Iyyad Ag Ghali, déclencha une rébellion dans la nuit du 28 juin 1990 sur les localités de Menaka et de Tidermène. La répression, par l’Armée malienne fut, une fois de plus lourde et sans pitié. Cette répression ne vint pas à bout de la rébellion. On commença alors à négocier. Un sommet fut organisé à Djanet, en septembre 1990, à l’initiative de l’Algérie et rassembla les Présidents malien, nigérien, algérien et le Colonel Muhammar Kaddafi. Ce fut le début d’un long processus qui aboutit aux accords de Tamanrasset instaurant un cessez le feu entre le MFUA (Mouvements et Fronts Unifiés de l’Azawad) et le Gouvernement malien.

En effet, au cours de leur cheminement, le choc des susceptibilités, les ambitions personnelles et les programmes divergents voient les mouvements se multiplier ou se subdiviser au gré des intérêts. Ainsi, le MPLA se scinda en deux : le Mouvement Populaire de l’Azawad (MPA) de Iyyad et le Front Islamique Arabe de l’Azawad (FIAA) avec comme leader Sahaby Ould Sidi Mohamed et rassemblant surtout des arabes. Le MPA lui-même finira par se scinder et verra naître le Front Populaire pour la Libération de l’Azawad (FPLA) avec RHissa Ag Sidi Mohamed et l’Armée Révolutionnaire de Libération de l’Azawed (ARLA) sous la direction de Abderrahmane Mohammed Guela.

Ces Mouvements ne sont évidemment pas exempts des querelles de chapelles qui divisent les Etats musulmans et sont donc traversés par des courants intégristes qui les amènent à faire de la surenchère. Au conflit d’ordre ethnique opposant ces différents mouvements au gouvernement central de Bamako, s’est ajoutée une grave crise économique poussant les Touaregs à se réfugier en Algérie, au Burkina Faso et en Mauritanie.

Sous le mandat de Moussa Traoré, Bamako voyait derrière ces actes de rébellion des interventions étrangères, notamment algérienne ainsi que la main du Colonel Kadhafi qui dit-on, rêvait d’une République Islamique du Sahara. Des contacts furent donc pris avec les autorités de ces deux pays ainsi qu’avec la France: Bamako décida d’impliquer plus particulièrement Alger pour la recherche d’une solution. Dès lors, on ne parla plus de bandits armés mais de Mouvements rebelles. Ainsi donc, Le 6 janvier 1991, un accord visant à instaurer la paix et la sécurité dans les régions du Nord du Mali est signé à Tamanrasset (Algérie) entre une délégation du Gouvernement malien et les représentants des différents mouvements Touarègue : Cet accord prévoyait entre autre, la démilitarisation des régions de Kidal, Gao et Tombouctou et la mise sur pied d’une commission de suivi.

La chute de Moussa Traoré en mars 1991 n’a pas changé les données du problème, mais verra une meilleure volonté des autorités maliennes de résoudre le problème du Nord, d’autant plus que les Mouvements Touarègues eux-mêmes recherchent l’unité d’action. En effet, le 10 décembre 1991 le MPA, le FPLA, l’ARLA et le FIAA tiennent une réunion d’unification à Ghardaia (Algérie) à l’issue de laquelle ils créent une Organisation dénommée « Mouvement des Fronts Unifiés de l’Azawad » (MFUA).

Les nouvelles autorités maliennes ont créé, dès le départ, une atmosphère de discussion et de concertation sur tous les grands problèmes nationaux. Ainsi durant la conférence nationale qui s’est tenue du 31 juillet au 15 août 1991 sous la présidence du Général Amadou Toumani Touré, et à laquelle les représentants des Touareg ont participé, le problème du Nord a été abondamment évoqué. De nombreuses autres réunions ont eu lieu au cours de la même année tendant toutes à la réinsertion harmonieuse des Touaregs dans la société malienne (réunion technique préparatoire de Ségou du 25 au 27 novembre ; conférence de Mopti du 6 décembre). Toutes ces concertations ont pu aboutir à des sessions de négociation qui ont débouché sur la signature d’un Pacte National le 11 avril 1992. Celui-ci constituait désormais l’accord-cadre de règlement des problèmes du Nord.

Bien entendu, le Pacte National ne réglait pas tout. Il fallait, par des gestes concrets, faire renaître la confiance entre groupes ethniques, notamment entre Touareg et Songhaï (ces derniers, pour «rendre la monnaie de leur pièce» aux touaregs, avaient crée le Mouvement Patriotique «Ganda-Koi»), entre nomades et sédentaires, entre éleveurs et agriculteurs, entre l’administration et les administrés du Nord. Par ailleurs, la plupart des Touareg avaient fui dans les pays limitrophes où, bien que vivant dans des camps, ils bénéficiaient de la tranquillité et de l’assistance internationale.

Ce sera la tâche du nouveau Président, Alpha Oumar Konaré, démocratiquement élu suite à la Conférence nationale et qui prête serment le 8 juin 1992. Toute une série de mesures furent prises pour la paix des cœurs et des esprits. Dans cet ordre d’idée, une réunion fut organisée en 1994, en Algérie une fois de plus, afin de discuter de la mise en œuvre du Pacte National. Les décisions prises lors de la réunion étaient relatives aux quotas de réinsertion des combattants dans les forces armées, les services de sécurité, les groupes paramilitaires, l’administration publique et à la réinsertion socio-économique des ex-combattants dans des petits projets de développement.

Au cours des années 1994 – 1995, des missions de sensibilisation sont envoyées dans toutes les régions du pays afin de faire connaître à toutes les couches de la population, les problèmes du Nord Mali. Enfin, des missions sont envoyées dans les camps de réfugiés dans les pays voisins pour sensibiliser les réfugiés Touareg et les inciter à retourner au pays. A cet égard, des accords dits « Accords tripartites » (Mali – HCR – Pays d’accueil) sont signés afin de permettre aux réfugiés de rentrer dans les meilleures conditions.

Comme on l’a vu, le Pacte National préconisait l’intégration des combattants Touareg de même qu’il prévoyait l’accès des Touaregs à différents postes de l’Etat. Dans le domaine économique, une Commission mixte partenaires du développement – Gouvernement a été mise sur pied afin de mobiliser les ressources nécessaires au développement du Nord. Ainsi, sur 11.645 combattants recensés, 9.000 avaient été réintégrés dans la vie civile productive et près de 2.400 avaient été réintégrés dans la fonction publique. Un Programme d’appui à la réinsertion socio-économique des ex-combattants du Mali (PAREM) a été mis sur pied avec l’aide du PNUD et de nombreux autres bailleurs de fonds.

Mais puisque la paix ne peut être durable sans désarmement, il fallait que les protagonistes montrent leur vraie volonté de ne plus revenir sur les engagements pris. Ainsi plus de 3.000 combattants ont remis volontairement leurs armes dans les sites de cantonnement de Léré, Bourem, Menaka et Kidal. Ces armes ont été brûlées en public le 27 mars 1996 lors d’une cérémonie solennelle appelée « Flamme de la Paix ». A cette occasion, les mouvements armés ont proclamé leur autodissolution et ont demandé à bénéficier d’une amnistie générale.

Jusqu’aux récents événements, tout semblait donc aller bien dans le meilleur des mondes. Mais il faut se souvenir que pour l’opinion internationale, les deux principales causes de la rébellion Touarègue sont l’exclusion de ceux-ci des rouages de la société et le déclin économique des régions habitées par eux, c’est-à-dire le Nord aussi bien du Mali que du Niger. Le Pacte National, qui est un bon document en termes de contenu, n’aurait-il pas été entièrement exécuté?

A réfléchir.

Moulaye Idrissa Touré

22 Septembre 27/02/2012