Le Reporter Magazine : Vous êtes un père-fondateur du mouvement hip-hop malien. Au début, quel était le but de ce mouvement ?
Abba Samassékou : Si je dois être honnête, je ne peux pas me considérer comme un père-fondateur, le terme est trop lourd. En terme d’animateur, avant que je n’arrive, il y avait Mister Mo, Braddox ou encore Salif Sanogo et Modibo Souaré qui avaient beaucoup fait pour le Hip-hop et le rap au Mali. Néanmoins, je me considère comme faisant partie des pionniers, car j’ai participé à certaines «premières activités» comme le premier festival que j’ai co-organisé avec Mister Mo ou encore la production du premier album de Tata Pound, premier à avoir dépassé les 5000 ventes de K7 légales…
Au début, le but de ce mouvement était de conscientiser la jeunesse, tout en s’amusant. Le hip-hop signifiant «from the Hip (mauvais) to the hop (bon)», le but était donc de positiver les choses. Même si les egos trips (morceaux dans lequel on se vante) et les clashs avaient déjà commencé (Tupac/Biggie…), la majeure partie des MC’s maliens avaient des textes conscients et engagés et se fixaient des limites. Ces limites étaient dictées par notre éducation malienne, dans laquelle la mère de l’autre est aussi la nôtre ; et bien sûr, elle est sacrée.
20 ans de démocratie, 20 ans du hip-hop, quel commentaire ?
Je pense que le hip-hop a contribué, à sa manière, à l’établissement et à la promotion de la culture démocratique. Ces deux concepts (démocratie et hip-hop) sont arrivés au Mali quasiment en même temps et très vite, l’un a commencé à dénoncer les imperfections, les travers, les manquements, les tares et surtout la mauvaise application de l’autre. À travers leurs textes, les rappeurs maliens ont permis à la jeunesse de prendre conscience de leur rôle. Et même si aujourd’hui certains rappeurs maliens sont attaqués pour leurs manquements, ils gardent tous en eux cette «mission» de «guide» qui doit indiquer un chemin, une marche à suivre.
Vous avez collaboré avec pas beaucoup de groupes de rap. Pourquoi avez-vous arrêté avec les Tata Pound ? Est-ce que vous regrettez d’avoir aidé certains artistes ?
Avec les Tata Pound, ce fut une expérience magnifique. Djo Dama, Dixon et surtout Ramsès, sont des artistes talentueux et des jeunes qui aiment leur pays. Comme toute chose, dans la vie, cette collaboration n’était pas parfaite, mais elle m’a permis de m’enrichir sur le plan professionnel et humain. J’en garde finalement un excellent souvenir. Et si c’était à refaire, je le referais avec quelques changements certes, mais je le referais quand même.
Vous n’animez plus l’émission G21. Qui vous remplace ?
La direction de l’Ortm et celle de la Télévision nationale ont accepté ma proposition de remplaçant. Ils m’ont fait cet honneur pour lequel je leur suis reconnaissant. Cet illustre remplaçant n’est autre que mon frère El Hadj Amadou Diop avec qui je collabore depuis 10 ans maintenant. Un jeune homme très talentueux et très patriote, lui aussi. Il était le réalisateur de cette émission et lorsque je lui ai demandé de poursuivre ce que j’avais commencé, mais cette fois-ci devant la caméra et malgré les contraintes de la vie publique, il a accepté. Lui aussi, je lui suis reconnaissant.
Pensez-vous que vous aviez fait de votre mieux ?
Pour vous faire une confidence, je souhaitais arrêter depuis quelques temps déjà. Je suis de ceux qui pensent que la vie est faite de plusieurs choses et de plusieurs voies. 13 années durant, j’ai donné au public et il m’a donné en retour, mais force est de reconnaître que rien n’est éternel dans la vie. G21, comme Flash Hip-hop avant elle, est une émission de référence pour le mouvement hip-hop et pour les arts urbains au Mali. Il est important qu’à sa tête, il y ait, au bout d’un moment, un changement. Comme on le dit chez nous : «Manssa Kélé tilé tè dounia laban», autrement dit : «On ne peut que faire son temps». J’ai eu la chance de faire 13 ans et 500 numéros. J’ai interviewé Tata Pound, Fanga Fing, Al Peco, King, mais aussi Passi, MC Solaar, Neneh Cherry, ou encore Penzy, Iba One, Gaspi, Mylmo, Tal B, Memo, Mokobé, Oxmo Puccino, Didier Awadi, Booba ou encore Buba, Tiken Jah Fakoly, Beeny Man, j’en passe et des meilleurs ! J’ai pu approcher Cheick Tidiane Seck, Toumani Diabaté et plein d’autres comme Nampé Sadio, ATT junior, ou encore Petit Guimba… Bref, j’ai fait mon temps dans cette émission. Il fallait que je raccroche. Ça n’a pas été facile, il m’a fallu du courage. Une chose est d’envisager le changement, une autre est de passer à l’acte.
Quels sont vos perspectives et projets d’avenir, ou allez-vous revenir dans l’émission G21 ?
Pour le moment, je travaille dans la communication et l’information institutionnelle. Une manière de me «sevrer» du stress que représente la production TV. J’ai besoin d’un peu plus de calme dans ma vie. Si je reviens à la télévision, je ne pense vraiment pas que ce sera pour faire G21. J’espère qu’avant ma mort, je referai de la télévision (rires).
Avez-vous des mots pour conclure cet entretien ?
Je tiens à remercier Dieu, le Tout-Puissant, le Miséricordieux sans lequel rien n’est possible ; mes parents, celles et ceux avec lesquels j’ai collaboré, vous-mêmes qui vous intéressez à moi et surtout, surtout le public. Les gens de tous âges, de toutes races, de toutes religions, qui m’ont permis d’entrer chez eux tous les samedis pendant toutes ces années. Ces gens qui m’ont suivi, aimé, qui, dans la rue, à l’Ortm ou chez moi m’ont fait et continuent à me faire des cadeaux, à me témoigner respect, admiration, reconnaissance et amour. À tous ces gens, je dis : je vous aime.
Kassim TRAORE
Le Reporter Mag 2014-06-01 01:26:00