Le 17 novembre 2018, le Rossignol du Mandé a présenté à Fana (une agglomération de près 20 000 âmes située à 120 km au nord de Bamako) son nouvel album lors d’un concert événement destiné également à dénoncer les meurtres rituels d’albinos en Afrique. A bientôt 70 ans, Salif Kéita a déclaré que «L’autre Blanc» est son dernier opus.
Le 13 mai 2018, la petite Ramata Diarra (5 ans) avait été enlevée en pleine nuit par des hommes armés alors qu’elle dormait dans la cour de la concession familiale. Son corps décapité avait été retrouvé quelques heures plus tard à côté d’une mosquée.
Des associations avaient alors dénoncé un «crime rituel» à l’approche de l’élection présidentielle. Un crime rituel de plus avec toujours un albinos comme victime. Un crime que la légende de la musique mandingue, Salif Kéita, a voulu dénoncer en organisant le concert dédicace de «L’autre Blanc» (nouvel et dernier album) le 17 novembre à Fana.
«Pourquoi ôter la vie d’une innocente, d’une fillette de 5 ans ? Pourquoi s’attaquer aux albinos ? Nous sommes comme tous les autres humains. Nous ne voulons plus voir ça au Mali. Il faut que nos autorités prennent des dispositions, parce que désormais nous n’allons plus nous taire», a martelé le Rossignol du Mandé dans un stade local de football archicomble. Un événement inédit dans cette petite localité plus connue pour la performance de ses cotonculteurs.
Et pour la circonstance, le Domingo de la musique mandingue (69 ans) s’était entouré du Sénégalais Ismaël Lô ; de l’artiste géorgien albinos Bera ; de l’humoriste Yaro ; Safi Diabaté, la nouvelle coqueluche des «Grobinew» (Gros bonnets) de Bamako ainsi que de la sénégalaise Maah Koudia Keït qui milite elle aussi pour la cause des albinos.
En Afrique, particulièrement au Mali, des dizaines d’albinos sont victimes d’attaques pour être tués et amputés de leurs membres ensuite utilisés pour des rituels censés apporter le pouvoir politique ou la richesse.
«Aujourd’hui, tout le monde sait qu’une fillette de 5 ans a été assassinée à Fana parce qu’elle était albinos. Le monde s’est mobilisé pour la cause de ma fille. Que ce monde ne baisse plus les bras afin que les albinos puissent vivre en paix partout dans le monde», a confié à la presse Awa Touré Diarra, la mère de la fillette en marge de ce concert historique.
«L’Autre Blanc», le dernier opus ?
Accentuer la sensibilisation pour le changement des mentalités envers les albinos ! C’est le combat que Salif Kéita veut désormais mener en mettant en berne sa carrière internationale. Selon lui son dernier opus, «Un autre Blanc», marquerait sans doute la fin de celle-ci ou, à la rigueur, une pause humanitaire pour pousser la société malienne et les décideurs du pays à faire de la protection et la promotion des albinos une priorité nationale.
«C’est un combat qu’entend mener désormais la Fondation pour que cet acte ignoble ne se reproduise plus jamais», a déclaré Coumba Makalou Kéita, présidente de Salif Kéita Global Foundation. C’était au cours de la conférence de presse organisée le 18 septembre 2018 pour lancer une campagne de sensibilisation en faveur du changement des mentalités et des comportements envers les albinos. Un projet mûri par l’auteur/compositeur/interprète suite à l’assassinat de la petite Ramata Diarra (5 ans) à Fana (région de Koulikoro) la nuit du samedi 12 au dimanche 13 mai 2018.
«Nous intervenons auprès du gouvernement malien pour dire : plus jamais ça», avait martelé Salif en faisant allusion au meurtre de Ramata Diarra. Et de préciser, «nous n’allons pas baisser les bras. Nous avons pris des gens qui voulaient amener des albinos pour les sacrifier. Nous les avons amenés à la police. Mais, après, nous avons appris qu’ils ont été libérés. Nous allons donc continuer à nous battre pour que ces crimes cessent».
Pour Salif Kéita ses alliés dans ce noble combat, il est plus que temps que les décideurs du pays et d’Afrique prennent conscience de la nécessité d’élaborer un Plan national pour sauvegarder et améliorer la vie des personnes atteintes d’albinisme au Mali. Une tâche à laquelle le Rossignol et sa fondation œuvrent depuis des années.
«Être albinos au Mali est un parcours de combattant», a déploré Mamadou Sissoko membre de la Fédération maliennes des Associations de personnes atteintes d’albinisme en Afrique de l’ouest. Selon lui, au Mali, les albinos ont encore des problèmes pour se marier, pour avoir un travail ou se maintenir à leur poste.
«Ce qu’il faut pour protéger les albinos, c’est un plan spécifique, car il s’agit d’un problème spécifique», a proposé le conférencier souhaitant l’adoption d’un «Plan national pour sauvegarder et améliorer la vie des personnes atteintes d’albinisme au Mali».
Pour améliorer la vie des albinos, Global Foundation propose un plan en dix points. Il s’agit, entre autres, d’établir un Plan d’action national sur l’albinisme ; de désigner un Haut représentant au sein du gouvernement ; d’améliorer la sûreté et la sécurité des personnes atteintes d’albinisme ; d’enquêter de manière approfondie afin d’intenter des poursuites judiciaires sur les attaques ; d’assurer l’accès à la santé pour les albinos…
Et pour mener la réflexion sur des solutions pérennes, la Fondation a organisé un Forum international sur l’albinisme le 15 novembre 2018 à Bamako.
«Un autre blanc ! Ça veut dire que je suis albinos, je suis blanc de peau, Africain de sang et de pensée», a expliqué Salif Kéita à la presse. Et d’ajouter, à l’attention des albinos, «j’ai un autre regard de Blanc sur l’Afrique, qui n’est pas le regard des vrais Blancs. Donc, je suis votre Blanc, j’œuvre pour votre cause».
Un bonheur atténué par l’annonce de fin de carrière
Si les mélomanes sont heureux d’accueillir le nouveau «bébé» du «Cheval blanc», ils sont aussi tristes à l’idée que cet opus risque d’être le dernier album de sa carrière musicale. «J’aurai 70 ans en 2019. Je n’ai plus de force pour faire un album, et vraiment, je suis fatigué. Les bus, les avions, les trains… Je n’ai plus la force pour ça ! Vraiment, je vais prendre mes distances par rapport à tout ça», avait affirmé la star à la sortie du single, «Tonton», dont le clip flirte déjà avec le sommet des hits des chaînes de musique et sur les réseaux sociaux.
L’un des plus célèbres albinos du monde a soufflé sur ses 69 bougies le 25 août 2018. En effet, Salif Kéita a vu le jour à Djoliba (Kangaba, région de Koulikoro) le 25 août 1949. A noter que «L’autre Blanc» ’est un album de dix titres avec (Wèrè Wèré, Syrie, Tonton, Itarafo en feat. avec Angélique Kidjo et MHD, Diawara Fa en feat. avec Yemi Alade, Bah Poulo, Tiranke, Lerou Lerou, Gnamale en feat. avec Ladysmith Black Mambazo et Mansa Fo La en feat. avec Alpha Blondy).
Si cela peut rassurer les mélomanes, notamment les fans du Rossignol de Badougou Djoliba, ce n’est pas la première fois qu’il a annonce sa volonté de mettre fin à sa carrière musicale. En en effet, «Talé» était supposé être son dernier album comme il l’avait annoncé en novembre 2012 à Paris.
«Après Talé, mon dernier album, je voudrais mettre un terme à ma carrière musicale», avait annoncé Salif Kéita face à une presse internationale médusée. Mais, pour l’heure, les mélomanes se consolent avec cette production de belle facture qui a enregistré la participation des sommités de la world music (Alpha Blondy, Angélique Kidjo, MHD, Yemi Alade, Ladysmith Black Mambazo…). Et on espère qu’il reviendra sur sa décision au grand bonheur de ces millions de fans à travers le monde.
Rappelons que le 19 juillet 2010, Salif Kéita a été nommé «Ambassadeur» de la paix par Jean Ping, alors président de la commission de l’Union africaine (UA). Et, depuis, il œuvre à soutenir «les efforts de la Commission pour résoudre les conflits et promouvoir la paix sur le continent» !
Moussa Bolly
Une prestigieuse discographie
«Un disque, c’est comme un enfant. On se fiche qu’il soit beau ou pas. L’important, c’est d’avoir fait ce qu’on voulait faire. On va l’élever et le défendre pour lui donner le chemin de la gloire… C’est le fruit de l’amour. Et l’amour, partout, perce plus fort que les balles d’un fusil», dit souvent le Rossignol en évoquant ses œuvres qui rivalisent de beauté et de réussite en terme de composition et d’arrangements.
En attendant le prochain, si «Un autre Blanc» ne marque pas le clou de cette brillante carrière solo, voici sa discographie.
1987 : Soro (Island record)
1989 : Ko-Yan (Island record)
1991 : Amen (Island record)
1994: Intégrale 1960-1980 (Sonodisc)
1995 : The Mansa of Mali… (Mango)
1995: Folon (Mango)
1997 : Seydou Bathily (Sonodisc)
1998 : Sosie (Night & Day)
1999 : Papa (Capitol Records)
2002: Moffou (Universal Music Group)
2005 : M’Bemba (Universal)
2009 : La Différence (EmArcy Records) 2011 : Anthology : (Universal)
2012 : Talé (Universal avec Philippe Cohen-Solal
2018 : Un Autre Blanc (Naïve Records)
Rappelons que le «Domingo» de la musique malienne a également écrit les bandes originales de deux films, notamment «Yeelen» (1988) de Souleymane Cissé et «L’Enfant Lion» de Patrick Grandperret (avec (Stece Hillage) !