Des manifestantes brandissent des photos de Selahattin Demirtas, leader du Parti démocratique des peuple, prokurde, lors d’un rassemblement le 17 septembre 2017 à Diyarbakir, en Turquie / © AFP/Archives / ILYAS AKENGIN
Un an après l’arrestation de son charismatique chef de file Selahattin Demirtas, le principal parti prokurde de Turquie refuse de jeter l’éponge, mais aura fort à faire pour rester une force majeure d’opposition au président Recep Tayyip Erdogan.
M. Demirtas a été arrêté avec une dizaine d’autres députés du Parti démocratique des peuples (HDP) le 4 novembre 2016, alors que les purges lancées après le coup d’Etat manqué du 15 juillet 2016 s’étendaient aux milieux critiques et prokurdes.
Accusé d’être membre et de faire de la propagande pour le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation classée « terroriste » par Ankara et ses alliés occidentaux, M. Demirtas, 44 ans, risque jusqu’à 142 ans d’emprisonnement.
Le gouvernement « essaie de mettre fin au parti. Mais il n’y arrivera pas », a déclaré à l’AFP Serpil Kemalbay, nommée en mai co-présidente du parti pour succéder à Figen Yüksekdag, qui co-dirigeait le HDP avec M. Demirtas et a été arrêtée avec lui.
Le HDP, troisième formation au Parlement turc, a toujours nié tout lien avec la rébellion armée kurde, affirmant être ciblé par les autorités pour son opposition farouche au président Erdogan.
Actuellement, neuf députés du HDP sont en prison, selon les chiffres du parti. Cinq de ses 59 députés élus en novembre 2015 ont également été déchus de leur mandat, dont Mme Yüksekdag, et 55 d’entre eux font l’objet d’une ou plusieurs enquêtes.
En outre, depuis la rupture à l’été 2015 d’un cessez-le-feu avec le PKK qui visait à mettre fin à un conflit qui a fait plus de 40.000 morts depuis 1984, plus de 4.500 membres et sympathisants du HDP ont été incarcérés à travers le pays, selon le parti.
Pour Filiz Kerestecioglu, co-cheffe du groupe parlementaire HDP, cette formation est « le seul vrai parti d’opposition ». Les autorités, dit-elle, s’efforcent de le « criminaliser » par tous les moyens et de le priver d’espace médiatique.
– Rival d’Erdogan –
Le HDP avait créé la surprise lors des élections législatives de juin 2015, raflant 80 sièges et privant ainsi le Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir) de la majorité absolue. Mais lors de nouvelles élections convoquées pour novembre de la même année, le HDP a perdu 21 députés.
La percée initiale du HDP tient en grande partie à la personnalité de M. Demirtas, qui a transformé le parti en une formation de gauche moderne et progressiste, séduisant bien au-delà du seul électorat kurde.
Avocat de formation, moderne et charismatique, M. Demirtas s’est révélé sur la scène nationale lors de l’élection présidentielle de 2014, où il a frôlé les 10% et s’est imposé comme le principal rival de M. Erdogan.
Mais les arrestations au sein du HDP mettent le parti dans une situation délicate en vue des élections municipales, législatives et présidentielle prévues en 2019.
Le parti croit toutefois pouvoir surmonter ces obstacles, même si certains sondages indiquent qu’il pourrait ne pas atteindre le seuil des 10% nécessaire aux législatives pour entrer au Parlement.
« Demirtas est en prison, mais il ne se tait pas. Il est en prison, mais il écrit », souligne ainsi Mme Kerestecioglu. « Demirtas est en prison, mais ses propos continuent de toucher les gens. »
L’universitaire Burak Bilgehan Özpek, auteur de « The Peace Process between Turkey and the Kurds: Anatomy of a Failure » (Routledge, à paraître) explique que « Demirtas attirait principalement un électorat non-kurde et libéral », qui a voté pour le HDP « par stratégie pour affaiblir l’AKP ».
« Sans Demirtas, on peut s’attendre à ce que le HDP adopte un programme ethnique et radical », ajoute-t-il.
Mais pour Aykan Erdemir, analyste à la Fondation pour la Défense de la démocratie basé à Washington, « Demirtas pourrait se révéler être un porte-parole encore plus puissant pour la cause kurde depuis sa cellule de prison ».
Depuis son incarcération dans la prison d’Edirne (nord-ouest), M. Demirtas a publié un poème –interdit car considéré comme de la « propagande terroriste »– et un recueil de nouvelles, « Seher » (« Aurore ») paru mi-septembre et dont un premier tirage à 20.000 exemplaires s’est épuisé en trois jours, selon sa maison d’édition Dipnot, qui l’a réédité depuis.
En résumé, sourit Mme Kerestecioglu, « il n’est pas facile de faire taire Demirtas ».
(©AFP / 03 novembre 2017 10h29)