Un an après s’être arrogé les pleins pouvoirs, Kaïs Saïed espère faire accepter une nouvelle Constitution qui devrait marquer une rupture avec le système parlementaire.
Tunisie : tout comprendre au référendum sur la Constitution qui se tient ce lundi
Un an après s’être arrogé les pleins pouvoirs, Kaïs Saïed espère faire accepter une nouvelle Constitution qui devrait marquer une rupture avec le système parlementaire.
La colère gronde en Tunisie, avant, peut-être, une nouvelle chape de plomb ? Plusieurs centaines de personnes ont manifesté, samedi 22 juillet, dans la capitale tunisienne contre le projet de nouvelle Constitution soumis à référendum ce lundi par le président Kaïs Saïed, dont les protestataires ont demandé le départ immédiat. Après avoir franchi plusieurs lignes rouges, celui que l’on surnomme « Robocop » espère la concrétisation de sa vision politique dans les urnes, consacrant l’hyper pouvoir présidentiel.
Les faits
Plus de 9 millions de Tunisiens sont appelés à voter sur une nouvelle loi fondamentale lors d’un référendum qui a de fortes chances d’être adopté. Le projet de Kaïs Saïed prévoit un président exerçant le pouvoir exécutif, appuyé par un chef de gouvernement qu’il désigne et peut révoquer sans passer par le Parlement, dont le rôle est fortement réduit. Le président pourra, parmi ses autres prérogatives déposer des projets de loi et dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). De leurs côtés, les députés partageront leur pouvoir législatif avec des assemblées régionales, dont la nomination des membres et le rôle restent indéfinis.
Autrement dit, le chef de l’Etat jouira de vastes prérogatives sans devoir rendre de comptes, marquant une rupture avec le système parlementaire hybride instauré en 2014. En parallèle, la politologue et spécialiste de Tunisie, Aude-Annabelle Canesse (AAC Policy Advisory), explique à L’Express l’importance de regarder cette Constitution sous un autre prisme : « Elle s’inscrit dans la lutte qu’il y avait depuis deux ans entre le pouvoir présidentiel et les islamistes – représentés par le parti Ennahdha, arrivé en tête des élections législatives en 2019. » Sans surprise, la formation d’inspiration islamiste – accusée par une partie de la population d’avoir bloqué le pays – a appelé au boycott du scrutin, invoquant un « processus illégal » et une absence de concertation.
Pourquoi c’est important
Pour ces détracteurs, ce texte pourrait modifier le visage de la politique tunisienne et mettre fin à l’héritage du Printemps arabe (2011), qui avait apporté dans son sillage la démocratie à ce petit pays du Maghreb. L’opposition et diverses ONG, qui se sont mobilisées ces derniers mois contre la politique de Kais Saïed, ont appelé également au boycott du référendum, disant redouter le retour à un régime « dictatorial » comme celui de Zine El Abidine Ben Ali, renversé par la Révolution de 2011.
Dans leur viseur, l’article 55 qui stipule que « l’exercice des droits et des libertés peut être limité par une loi ou au nom de la défense nationale, de la sécurité publique, de la santé publique, de la protection des droits d’autrui ou de mœurs publiques ». La version du 8 juillet ajoute, là encore, la nécessité d’inscrire de telles restrictions aux libertés et droits à l’intérieur d’un « cadre démocratique » mais inquiète fortement la société civile. Elle juge insuffisantes les garanties données sur l’indépendance de la justice.
Aussi, les opposants à cette Constitution pointent du doigt les bases ouvertement religieuses du texte. À cela, Aude-Annabelle Canesse apporte une nuance : sur le plan théologique, la nouvelle Constitution ne crée pas une véritable rupture avec le Printemps arabe, elle s’inspire beaucoup des textes précédents. » Concernant l’article 5 qui reformule les rapports entre l’islam et l’Etat, disant que « la Tunisie appartient à la communauté (oumma) islamique », vivement critiqué, il se retrouvait déjà, selon la politologue, « en plusieurs morceaux » dans les Constitutions précédentes de 1959 et 2014.
Selon la spécialiste, la Constitution met un coup d’arrêt à certains arrangements parlementaires qui ont gangrené la vie politique du pays. « Alors qu’ils le faisaient beaucoup auparavant, les députés ne pourront plus changer de bloc parlementaire et il est prévu un retrait du mandat parlementaire en cas d’infraction. Ce sont des éléments intéressants et qui ne montrent pas une dérive », explique-t-elle.
Le contexte
Depuis le 25 juillet 2021, le président s’est arrogé les pleins pouvoirs en limogeant le Premier ministre et en suspendant le Parlement, qu’il a finalement dissous fin mars, faisant vaciller la jeune démocratie tunisienne. Celui qui a longtemps été un ovni sur la scène politique a démantelé plusieurs instances constitutionnelles, comme l’Instance de lutte contre la corruption ou le Conseil de la magistrature.
Aux changements politiques s’ajoute une économie à l’arrêt, avec un pays au bord de la faillite. Avec la guerre en Ukraine, le prix du pain a été multiplié par deux. Cependant, ces incertitudes politiques et économiques n’ont pas endormi la population tunisienne qui reste active et mobilisée. « La société civile veille. Les gens manifestent et restent très attentifs, on n’est pas à l’époque de Ben Ali », reprend Anne-Annabelle Canesse. Cette mobilisation va-t-elle se voir dans les urnes ? « Plus des élections ont lieu ces dix dernières années, plus le taux de participation a baissé », conclut-elle. La réponse lundi.
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