Quatre ans après « Serval », pour éviter une rechute, il est urgent que les Maliens et leurs amis comprennent que la solution aux crises maliennes ne réside ni à Paris, ni à Bruxelles, ni à Moscou, ni à New-York, mais au Mali.
Ce mois de janvier marque le 4e anniversaire de l’intervention militaire française qui a libéré le territoire malien de l’occupation djihadiste. Depuis l’opération « Serval », le Mali a organisé une élection présidentielle et signé, en juin 2015, avec plusieurs groupes armés du nord un « Accord pour la paix et la réconciliation nationale ». Vingt mois après la signature de cet accord, la sortie de crise est poussive. La corruption et de la mauvaise gouvernance se sont accentuées dans un pays à la population très jeune. Sur les 18 millions de Maliens 53 % ont moins de 18 ans et 82 % (plus de 15 millions) ont moins de 40 ans. C’est dire combien les défis sont immenses.
Parce qu’il avait renversé en 1991, à la faveur d’une insurrection populaire, une dictature vieille de 23 ans, réussi, en 1992, une transition vers la démocratie citée en exemple, en négociant en avec la rébellion arabo-touarègue d’alors, un Pacte national de paix et de réconciliation, en organisant les premières élections pluralistes depuis l’indépendance, le Mali a été considéré pendant deux décennies comme une des principales vitrines africaines de la démocratie post- La Baule1.
« Serval » contre les djihadistes
Cette vitrine s’est brutalement brisée en mars 2012 quand une mutinerie de soldats du rang s’est muée en coup d’État sous la direction d’officiers subalternes et de sous-officiers. Complaisante ou distraite par des crises plus sérieuses ailleurs en Afrique, la communauté internationale n’avait pas accordé d’attention suffisante à la lente dégradation de la situation et aux appels tirant la sonnette d’alarme.
Pourtant, les atteintes à la morale publique, la présence dans la partie nord du pays de djihadistes se livrant au business lucratif des otages, les activités de groupes d’Al Qaida, qui descendaient des montagnes du Timétrine jusqu’aux rives du Faguibine et aux bordures de la forêt du Wagadu, étaient suffisamment connues. Mais l’Occident avait détourné le regard : les financements européens et français pleuvaient, les programmes américains de formation d’une armée pourtant gangrenée se poursuivaient et le Millenium Challenge Account, récompensant démocratie et bonne gouvernance, était en cours. Ils n’ont été interrompus qu’après le putsch.
Le coup d’État de mars 2012 a entraîné l’effondrement de l’État et de l’armée. Poussant son avantage, la rébellion indépendantiste déclenchée par d’anciens soldats de Kadhafi a opéré une alliance opérationnelle avec les colonnes d’Aqmi, qui ont fini par occuper quasiment les 3/4 du territoire malien. Les principales villes du nord, Kidal, Gao, Tombouctou et Douentza, ont été vite occupées. Les villes jumelles de Sévaré et Mopti (la grande ville du centre) étaient à portée de fusils des combattants islamistes, qui s’étaient massés à Bambara-Maoudé (à 118 km au sud de Tombouctou) au début de janvier 2013.
Il a fallu la salutaire intervention de « Serval » pour stopper l’avance des troupes djihadistes et libérer Douentza, Gao et Tombouctou. Nettoyée des kystes djihadistes grâce à l’héroïsme des soldats tchadiens et français dans la vallée de l’Ametetaï, la région de Kidal n’est, pour autant, pas revenue dans le giron de l’État, Les autorités politiques françaises ayant préféré que les Maliens résolvent la question de Kidal par le dialogue. Ce dialogue sera engagé à Ouagadougou
en mai 2013. Après cinq semaines de négociations, un accord préliminaire sera conclu le 18 juin. Il a associé le gouvernement de transition, les groupes à dominante Touareg, qui avaient pris les armes, et les représentants des communautés arabe et sédentaire.
Sous témoignage international, les parties maliennes se sont engagées à respecter l’intégrité territoriale du Mali, l’unité nationale, la forme laïque et républicaine de l’État. Elles ont aussi décidé le cantonnement des combattants rebelles, prélude à leur désarmement, le retour de l’administration et de l’armée maliennes à Kidal et la tenue d’élections générales sur l’ensemble du territoire en vue de doter le pays d’institutions légitimes susceptibles d’engager un dialogue au fond sur les revendications des groupes rebelles.
Un président de la République a été élu en août 20132. Cette élection avait suscité d’immenses espoirs au Mali et à l’étranger. À l’investiture du nouveau président, le 19 septembre 2013, des dizaines de chefs d’État et de gouvernement, de représentants d’organisations inter-nationales s’étaient rendus à Bamako pour célébrer la restauration de la légalité constitutionnelle et le retour du Mali dans le concert des nations.
Des espoirs déçus
Alors que l’accord de Ouagadougou avait prévu la reprise du dialogue inter-malien « soixante jours après la formation du gouvernement », les pourparlers n’ont commencé qu’en juin 2014 à Alger, soit un an après la signature préliminaire. Entre-temps, la situation sur le terrain s’était considérablement dégradée : l’administration et l’armée maliennes qui étaient revenues à Kidal, aux termes de l’accord de Ouagadougou, en ont été chassées à la suite de la guerre déclenchée par une visite du Premier ministre Moussa Mara. À l’issue du processus d’Alger qui a duré douze mois, un Accord pour la paix et la réconciliation nationale a été signé à Bamako en juin 2015.
Quatre ans après le début de l’intervention française et vingt mois après la signature de l’accord de paix, le Mali n’est pas encore réunifié. Il est, en outre, loin d’être stabilisé. Au-delà du nord, l’insécurité s’est étendue au centre du pays dont plusieurs localités échappent au contrôle de l’État. En 2016, plus de 170 incidents armés se sont produits au Mali. Au moins 450 personnes dont 120 militaires maliens et étrangers ont perdu la vie au cours d’embuscades, d’attaques ciblées ou d’explosions de mines. La mise en oeuvre de l’accord de paix piétine dans un contexte de dégradation notable de la situation sécuritaire générale. Dans la zone du delta du fleuve Niger des groupes d’inspiration djihadiste font la loi. Ils semblent être en relation étroite avec Ansar Dine3 qui a revendiqué de nombreuses attaques contre les forces maliennes et internationales en 2016. Confirmation de cette alliance opérationnelle : des véhicules et du matériel pris à l’armée lors d’une attaque, début novembre, à Gourma-Rharous (Tombouctou) ont été retrouvés, mi-décembre, avec des combattants retranchés dans une forêt du delta.
Les autorités maliennes ne semblent avoir ni réponse politique ni réponse militaire appropriée à la situation explosive du centre. Par-dessus tout, le talon d’Achille du pouvoir malien est la gouvernance. De 2013 à nos jours, le président et son gouvernement ont essuyé de sévères critiques relatives à la mauvaise gestion des ressources publiques. L’opposition politique, des associations et même le Fonds monétaire international (FMI) ont mis le doigt sur plusieurs scandales de surfacturation et de corruption. Ces scandales largement connus n’ont, jusqu’ici, fait l’objet d’aucune sanction. Tout se passe comme si, les nouveaux dirigeants et les partenaires extérieurs n’ont tiré aucune leçon des causes profondes des crises qui ont ébranlé le Mali. Or en 2012, il y avait comme un consensus national et international sur le diagnostic de l’effondrement de l’armée et de l’État. Outre la rébellion et la présence de djihadistes au nord, la mauvaise gouvernance était reconnue comme une des principales causes de la chute du Mali.
Curieusement, au lendemain de l’élection présidentielle et de l’entrée en fonction du nouveau président, les affaires ont repris comme si de rien n’était. Le retour à la normalité constitutionnelle n’a pas été synonyme de bonne gouvernance.
Donnant l’impression d’oublier que le Mali sortait à peine du gouffre, le président et ses gouvernements successifs se sont comportés comme dans un « pays normal ». C’est ainsi que les affaires ont repris (business as usual). Le Mali est à nouveau menacé par le regain d’activités des groupes djihadistes, l’extension de l’instabilité du nord au centre et la mauvaise gouvernance. Il est aussi, de ce fait, source d’inquiétudes pour ses voisins.
Des questions sans réponses
Hier comme aujourd’hui, la mauvaise gouvernance est au coeur de la crise malienne. Les Maliens auraient dû se poser des questions qu’ils ont malheureusement éludées : comment s’est brisée la « vitrine » de la démocratie africaine ? Pourquoi l’armée et l’État se sont-ils effondrés ? Pourquoi sommes-nous tombés en 2012 ? Comment Aqmi s’est installé? Quid du narcotrafic ? de la corruption? Où étaient les institutions ? Où étaient les contre-pouvoirs, la société civile ? Que faisaient les partis politiques ? Où étions-nous quand le pays se délitait ?
Ces questions auraient dû se poser soit au lendemain de l’intervention de « Serval » soit après l’élection prési-dentielle, dans le cadre d’assises fondatrices et annonciatrices d’un nouveau départ. Faute de l’avoir fait, et faute d’un leadership visionnaire, le Mali patauge à nouveau dans ses crises.
L’année 2017 commence dans les incertitudes. À l’orée de la nouvelle année, le Mali est un pays démobilisé, découragé et dont le leadership, débordé par les événements, semble se remettre à ses partenaires extérieurs. Or ceux-ci ne sauraient suppléer l’absence de volonté et de détermination nationales. C’est ainsi que l’éradication du fléau de la corruption n’est plus dans l’agenda du président, qui avait pourtant solennellement déclaré 2014 comme « l’année de la lutte contre la corruption ».
La réconciliation nationale demeure un objectif qui s’éloigne. Les réflexes communautaires, tribaux ou même ethniques ont pris le pas sur toutes autres considérations dans les régions du nord et du centre. La question peule qui n’existait pas au début de la crise est une réalité palpable. Nul Tartuffe ne saurait désormais l’occulter. Le centre du pays est en proie à une crise multiforme tout simplement non gérée. Au nord, la non application de l’accord d’Alger conforte le statut d’enclave autonome de Kidal confrontée aux activités d’Ansar Dine tandis qu’Aqmi et les Mourabitounes4 sévissent dans les régions de Gao, Ménaka, Tombouctou et Taoudenit.
Devant ces réalités, le Mali et les amis du Mali doivent cesser la fuite en avant en considérant l’accord d’Alger comme une étape de la longue quête de réconciliation nationale, de paix et de stabilité, comme
un acquis, certes important, mais insuffisant pour restaurer la stabilité ; d’autre part, en invitant les représentants de toutes les forces vives du pays pour discuter de la réconciliation nationale, des conditions de la restauration de la sécurité, de la paix et de la stabilité. Ces concertations seront le lieu de convenir du nouveau visage institutionnel du Mali et de l’instauration des règles et des pratiques de bonne gouvernance.
Pour donner l’occasion aux populations du nord et du centre de débattre de leurs relations, de leur cohabitation et leur accès aux ressources naturelles communes, les concertations nationales doivent être précédées de deux assises régionales : un congrès des communautés du nord et un congrès des communautés du centre. (5 janvier 2017)
Figaro du 09 mars 2017
Par Tiébilé Dramé
Président
Parti pour la Renaissance nationale