L’infamie, c’est d’abord le vote des Africains au Conseil de Sécurité et on ne résiste pas à l’envie de parodier la célèbre apostrophe de César à Brutus, le fils de sa maîtresse qui s’apprêtait à lui donner le coup de grâce : « tu quoque fili » ! (Toi aussi mon fils).
Devant les Libyens, les Sud-Africains et les Gabonais boiront le calice de la honte jusqu’à la lie. On serait même tenté de trouver quelque excuse à Aly Bongo ONDIMBA aux prises avec son challenger Charles Mba OBAME, et donc sensible à toute menace sarkozyenne de lâcher le fauve si Aly ne coopère pas à une résolution, dont le Président français, pour des raisons qui échappent au bon sens, en a fait une affaire personnelle.
Que dire alors de la pantalonnade sud-africaine, ce pays qui fut une seconde patrie symbolique pour tout Africain épris de liberté lorsque nos frères ployaient sous le joug de l’apartheid. Il faut bien croire que le manteau présidentiel laissé par Nelson Mandela s’est révélé bien trop grand pour ses successeurs. Il y eut d’abord un M’Béki plus soucieux de son port que d’affirmer un leadership éclairé et volontariste à la hauteur du poids de son pays. Ce technocrate qui répugnait à faire la politique a été contraint à la démission à l’issue d’une sorte d’impeachment à la sud-africaine.
Et vint alors Jacob Zuma, ce Zoulou qui a le rythme dans la peau, jamais en retard d’un pas de danse ou d’épousailles. Chacun tenta d’oublier vite ce côté bateleur de foires pour ne se souvenir que du combattant de Umkoto we sizwe (la branche armée de l’AN) dont il fut un des principaux animateurs dans les temps héroïques.
L’illusion ne dura que le temps d’une rose. Nous pensions que la Côte d’Ivoire suffisait comme le cimetière d’une diplomatie sud-africaine sans vision et sans souffle, prompte à dire tout et son contraire. Un coup, le gouvernement sud-africain appuie la position de la CEDEAO et de l’Union Africaine reconnaissant Alassane D. Ouattara comme président élu de la Côte d’Ivoire ; le lendemain on tourne casaque en faveur de Laurent Gbagbo pour affirmer que cette affaire ne peut se résumer au départ d’un des protagonistes (Gbagbo et Ouattara). Des sources proches du dossier indiqueront plus tard que l’Afrique du Sud n’avait pas hésité à proposer une sorte de présidence tournante en proposant de diviser le mandat.
Excusez la digression, car je m’éloigne de mon sujet, la colère étant une muse parfois capricieuse. Le propos, c’est de rappeler à la mission sud-africaine à l’ONU ce que disait Nelson Mandela himself de Kadhafi lorsqu’il avait bravé l’embargo aérien pour se rendre en Libye par la route, via la Tunisie en 1999: « « This man helped us at a time when we were all alone, when those who say we should not come here were helping the enemy (South Africa’s white government), ». Fermez le ban. « Cet homme nous a aidés lorsque nous étions tous seuls, au moment où ceux qui disent que nous ne devrions pas venir ici étaient entrain d’aider l’ennemi (c’est-à-dire le gouvernement blanc d’Afrique du Sud) ».
Le vote de la résolution 1973 est une insulte à cette mémoire de lutte. Où étaient les mêmes preux chevaliers français, américains et britanniques lorsque le régime d’apartheid écrasait sous sa botte les noirs d’Afrique du Sud : Soweto, Sharpeville, etc. Ils n’ont même pas fait décoller un hélico pour distribuer des tracts à plus forte raison donner de l’escadrille de chasse contre Botha et Cie. Shame on all Africans maked this decison possible !
Il faut ajouter à cette galerie de bouffons, le Secrétaire Général de la Ligue Arabe , Amr Moussa. Ce serviteur zélé de Hosni Moubarak a décidément un compte à régler avec son passé et veut l’effacer d’un trait de plume ou plutôt d’une déclaration guerrière. Amr Moussa veut se présenter à la prochaine élection présidentielle égyptienne et il a besoin d’un nouveau mentor pour assouvir cette ambition qui le démange. On ne se réinvente pas, même à plus de 70 ans. Il donne alors la Ligue arabe en gage aux Occidentaux qui n’en demandaient pas tant : même les Arabes sont fâchés contre Kadhafi, circulez donc, il n’y a plus rien à attendre ! Et vogue l’invincible armada.
La rue arabe s’indigne du manque de discernement dans les bombardements ? L’expert en duplicité qu’est Amr Moussa nous explique doctement que tel n’était pas le but de la résolution. Il lui en faudra plus pour retrouver une virginité politique dans une Egypte qui aurait du s’intéresser d’un peu plus près à cet apparatchik comptable de tous les coups de l’ère Moubarak.
Sarko superman
S’il est un homme content de lui-même dans cette affaire, c’est Nicolas SARKOZY. Il faisait beau à voir sur le perron de l’Elysée, à quelques heures du déclenchement des hostilités, en train de se rengorger, les épaules bien hissées, chuchotant à Juppé : « le bédouin va voir ce qu’il verra » !
La diplomatie française est-elle accusée d’avoir eu du retard à l’allumage en Tunisie et en Egypte ? Rien de bien méchant, on se rattrape avec une guerre en Libye.Marine Le Pen monte, monte dans les sondages ? Il faut bander les muscles pour faire savoir à la touriste de luxe de Lampedusa qu’on ne boxe pas dans la même catégorie.
Les premières bombes ayant été larguées le samedi, 24 heures avant l’ouverture du scrutin des Cantonales, je m’attendais à ce que les Français fassent une fière chandelle au Chef de guerre en améliorant le score de l’UMP. Au contraire, comme un pied de nez au camp présidentiel, Marine Le Pen s’en tire avec le même score que ceux qui braconnent sur ses terres : 16%/15%.
Comme quoi, il faudra bien plus qu’une guerre en Libye pour inverser les tendances lourdes annoncées pour 2012.
Pas de Baraka pour le Guide
A Barack Hussein OBAMA, on ne va pas lui faire le procès de ne pas être un défenseur acharné du Continent africain. Il est d’abord et avant tout le Président de United States of America. A ce titre, il est américain comme un autre. Pour autant, il ne nous empêchera pas de penser qu’il pouvait être un très bon Américain et plus, en raison de ses origines et surtout du discours si enthousiasmant qu’il a développé pendant la campagne sur les guerres inutiles de George BUSH.
Nous avons surtout naïvement cru qu’il aiderait le monde à faire rimer éthique et politique. Nous avons depuis revu notre copie.Comment comprendre l’acharnement guerrier contre le régime de Kadhafi et la complicité presque criminelle développée dans le même temps à Bahreïn contre des manifestants pacifiques en ce lieu si bien nommé Place de la Perle. Les troupes royales, composées pour l’essentiel de mercenaires, ne suffisant pas à faire régner l’ordre, les autres pays du Conseil de coopération du Golfe, sous l’amicale pression de Washington, leur envoient du renfort en hommes et en matraques. Et comme la démocratie est à géométrie variable, ces pauvres populations de Bahreïn ont tiré la mauvaise carte de naître chiites. La peur d’une contagion iranienne vaut bien une violente répression du Printemps de Bahreïn. A ce niveau de cynisme, appelé realpolitik, on a qu’une envie : vomir !
A titre anecdotique, juste après l’annonce de l’élection de François Mitterrand, une foule réunie à la Bastille fêtait l’événement quand il s’est mis à pleuvoir. Dans l’euphorie de la célébration de la victoire, les milliers de militants socialistes, sympathisants et admirateurs du nouveau Président se mirent à scander: « Mitterrand, du soleil ! ». Il faisait gris, triste, le ciel avait ouvert ses vannes, mais les hommes et femmes qui scandaient ce slogan avaient une vision transcendantale de la politique ; ils croyaient la politique capable de changer le cours des choses et même de la…météo !
Dans le froid glacial du 20 janvier 2008, jour d’investiture du premier Président noir des Etats-Unis, une lueur d’espoir illuminait le cœur de ceux qui vivaient en live ce merveilleux moment d’histoire ainsi que les centaines de millions d’autres qui regardaient à la télé, écrasant une larme d’émotion, marmonnant une Grâce inaudible à Dieu de leur avoir permis de vivre ce jour-là.
Nous ne regrettons rien, ni nos émotions, ni nos larmes. Mais avec les missiles Tomahawk sur la Libye , le charme est rompu. Mais nous la jouerons grand seigneur pour souhaiter à OBAMA de briguer avec succès un second mandat à la tête de son pays. Sans illusion et sans attendre rien en retour que le classique des relations entre l’Afrique et les USA.
Les héros de Benghazi
Au fil de ce long développement, je devine aisément les irréductibles partisans de l’intervention en Libye m’accusant de faire peu de cas des militants pro-démocratiques et de la répression aveugle qui s’est abattue sur eux.
La Libye n’est certes pas une démocratie ; c’est peut-être cela même le drame que peut vivre en ce moment Mouammar Kadhafi, lui qui a écrit le « livre vert » exaltant les masses populaires tout en étant conscient que la gestion de la Libye résidait plus dans l’équilibre permanent à trouver entre les tribus que dans un proto-socialisme.
L’alerte de Benghazi dans le sillage et même dans une certaine forme de mimétisme des événements de Tunisie et d’Egypte sonnait en sorte le glas de cette gouvernance en vigueur depuis plus de 40 ans.
Le reflexe primaire du pouvoir a été de donner de la troupe et d’utiliser des moyens disproportionnés pour ramener le calme. Malheureusement, quelques heures plus tard, « l’insurrection », elle aussi, basculait dans la même violence qui allait lui ôter toute comparaison avec les autres exemples de ce qu’on a appelé le Printemps arabe. Pillage de bases militaires, dépôt de munitions, etc. Dans la foulée, les rebelles se rendaient maîtres de Benghazi, ce qui est le meilleur démenti des bilans astronomiques assénés par ceux qui voulaient la peau du colonel Kadhafi. Il y a eu des morts incontestablement et il faut en vouloir au pouvoir d’avoir fait déraper un processus politique qui n’était pas condamné à évoluer aussi dramatiquement.
Mais dès lors qu’une ville est en rébellion armée, la réponse à lui apporter, ce ne sont pas des chocolats, mais la force même si on peut l’affirmer à regret.
La stratégie des Occidentaux en Libye se résume à cela : on agit et on réfléchit après. Leurs capitales se sont mises à adouber des gens qui mangeaient à genoux quelques minutes plus tôt dans la main du leader libyen. Il s’est même trouvé un ministre fraîchement rallié à la rébellion pour affirmer détenir la preuve de l’implication de Kadhafi dans l’affaire Lockerbie. Personne ne s’est empressé d’arrêter ce ministre pour dissimulation pendant des années de preuves d’un attentat terroriste. On souhaite du plaisir aux mentors du Groupe de Benghazi pour trouver des « démocrates neufs » dans cette camarilla d’affidés du Guide pour offrir une nouvelle voie à la Libye.
Et l’Afrique dans tout ça ?
Il n’y a pas de honte à reconnaître qu’on est un continent faible. C’est difficile à admettre dès lors qu’on se situe sur le terrain idéologique, mais la réalité est plus têtue qu’une mule. Les dirigeants africains à travers l’UA et le Conseil de Paix et de Sécurité ont tenté de tenir un discours de raison au moment où rien ne pouvait arrêter le train fou de la guerre lancé à pleine vitesse.
L’insulte, l’affront, l’humiliation, le mépris auront été le refus d’autoriser la mission du panel des médiateurs à se rendre en Libye arguant de l’insécurité dans les airs et sur terre.
Toutes les déclarations des instances africaines d’Addis-Abeba à Nouakchott insistaient sur le respect du cessez-le-feu et l’effectivité de son application dans un premier temps. Dans un deuxième temps, l’Afrique prenant aux mots les dirigeants libyens entendait œuvrer à l’ouverture d’un dialogue politique devant déboucher sur les réformes promises.
Cette démarche, qui combine l’intelligence et le réalisme s’imposera à tout le monde quand les bombes se seront tues. En attendant, une des mesures conservatoires de nature à nous redonner un peu de fierté serait que l’Union Africaine gèle ses relations avec l’ONU qui a servi de Cheval de Troie dans cette forfaiture contre la Libye.
Cheval de Troie, ai-je dit ; je m’empresse toutefois de conjurer pour la Libye le spectacle épouvantable de la destruction du Palais de Priam par Pyrrhus et tragiquement restitué par Jean Jaurès dans son célèbre discours d’Albi en 1903 : «Vous souvenez-vous de l’admirable tableau que nous a laissé Virgile de la chute de Troie ? C’est la nuit : la cité surprise est envahie par le fer et le feu, par le meurtre, l’incendie et le désespoir. Le palais de Priam est forcé et les portes abattues laissent apparaître la longue suite des appartements et des galeries. De chambre en chambre, les torches et les glaives poursuivent les vaincus ; enfants, femmes, vieillards se réfugient en vain auprès de l’autel domestique que le laurier sacré ne protège plus contre la mort et contre l’outrage, le sang coule à flots, et toutes les bouches crient de terreur, de douleur, d’insulte et de haine. Mais par dessus la demeure bouleversée et hurlante, les cours intérieures, les toits effondrés laissent apercevoir le grand ciel serein et paisible, et toute la clameur humaine de violence et d’agonie monte vers les étoiles d’or : Ferit aurea sidera clamor » (leur cri atteint les astres d’or).
Aujourd’hui le débat n’est pas de savoir si Kadhafi est un bon dirigeant ou non, mais de crier notre rage devant la volonté forcenée de ses ennemis à détruire son pays. Pour parodier un célèbre homme d’Etat américain, clamons haut et fort : « nous sommes tous Libyens ! ».
Bakary BAH
Professeur, Bamako
L’ Indicateur Renouveau 23/03/2011