Face au collectif « Non à la falsification de l’histoire », des partisans de l’ancien président Moussa Traoré (1968-1991), en l’occurrence les auteurs de l’ouvrage « Le Mali sous Moussa Traoré », n’entendent pas se taire.
La parution du livre : « Le Mali sous Moussa Traoré » a créé l’émoi au sein d’une frange bien connue du landerneau politique malien. On eut dit un pavé jeté dans la mare.
Un collectif se faisant appeler « Non à la falsification de l’histoire » vient de rendre publique une Déclaration dans laquelle l’ouvrage est qualifié de « livre sacrilège », de « livre provocateur », « d’ouvrage contre la démocratie malienne ».
Il y est annoncé que « les victimes, témoins et rescapés du régime CMLN-UDPM publieront leur réponse, individuellement et/ou collectivement, sous la forme de livre(s) écrit(s) sur la base de la vérité scientifique, étayée par des preuves irréfutables ».
Ne serait-ce que pour cela, la sortie du livre est à saluer. La littérature politique du Mali contemporaine se verra ainsi enrichie et les générations présentes et futures seront davantage éclairées sur cette période charnière de notre histoire contemporaine.
En écrivant « Le Mali sous Moussa Traoré », les auteurs ont voulu simplement donner leur part de vérité, l’histoire étant le plus souvent donnée dans la version du vainqueur. « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, dit l’adage, les récits de chasse tourneront à la gloire du chasseur ».
Pendant plus de 25 ans nous avons eu droit à la version du chasseur. Tout a été dit sur « les crimes crapuleux du régime sans gloire du dictateur ». Pourquoi alors cette levée de boucliers parce que simplement les lions ont décidé de donner eux aussi leur version des faits en affirmant, preuve à l’appui, que c’est sous Moussa Traoré qu’ont été réalisés les plus grands investissements hydro-agricoles, industriels, énergétiques, routiers du Mali indépendant ?
« Le Mali sous Moussa Traoré » est sous-titré « Les grandes réalisations de l’UDPM, parti de développement ».
Il ne retrace pas l’histoire du 26 mars. Celle-ci mérite d’être écrite pour éclairer les zones d’ombre que le procès crimes de sang n’a pas permis d’élucider, pour faire le discernement entre ceux qui étaient guidés par le seul idéal de changement et ceux tapis dans l’ombre qui ont tiré les ficelles, ont attisé les flammes et ont tiré les marrons du feu. Les auteurs du livre sont prêts à prendre part à cette entreprise.
S’agissant de la Déclaration, sa lecture appelle quelques mises au point
La falsification de l’histoire, c’est soutenir que le régime de l’UDPM n’a fait que du mal. Dans la Déclaration, il est dit que les auteurs du livre auraient dû faire preuve davantage de rigueur intellectuelle, eux qui auraient oublié que Moussa Traoré, « parlant d’eux, disait, en mars 1987, dans une interview accordée à Jeune Afrique : ‘le parti n’existe pas. Seuls des malhonnêtes m’entourent, tous mes compagnons sont corrompus’ ».
La Déclaration parle de mars 1987. Or cette même phrase est citée en page 28 de l’ouvrage collectif du Gerdes sous la direction du Dr. Oumar Makalou : « Le Processus démocratique malien de 1960 à nos jours » (Editions Donniya, Bamako). Il y est précisé : (in Jeune Afrique numéro 1375 du 13 mai 1987, page 11). Les mêmes propos sont repris par Abdoulaye Sékou Sow, dans son essai « L’Etat démocratique républicain, la problématique de sa construction au Mali » (Editions Granvaux, Paris 2008). Par honnêteté intellectuelle, Abdoulaye Sékou Sow cite sa source : Jeune Afrique citée par Cheick Oumar Diarrah : « Mali, bilan d’une gestion désastreuse » (Editions L’Harmattan, 1990).
Effectivement dans sa livraison numéro 1375 du 13 mai 1987, Jeune Afrique a consacré à la rencontre de Moussa Traoré avec les représentants des organisations démocratiques affiliées ou non au parti, un encadré intitulé : « Le Dialogue en action ». Mais nulle part on n’y trouve les propos suscités. Moussa Traoré a plutôt dit, s’adressant aux jeunes : « Au Mali, des services publics se sont livrés au gaspillage et aux malversations les plus abominables ; des citoyens malhonnêtes… à l’enrichissement illicite et à la corruption. C’est cette situation qui doit être assainie dans l’intérêt même de la jeunesse qui doit procéder à une reconversion des mentalités ». D’où vient alors la fameuse phrase attribuée à Moussa Traoré ?
Dans la Déclaration, le président Moussa Traoré est traité de : « dictateur obscurantiste… connu pour sa ‘couronne d’enfer’ sur la tête des Maliens… » Plus d’un concitoyen est prêt à jurer, la main sur le Livre Saint, que Moussa Traoré a tenu un tel propos. Voilà ce qu’il a dit textuellement, si l’on en croit « Les Echos » numéro 55 du 18 janvier 1991 : « Ceux qui veulent marcher sur les pieds du peuple, je demande au peuple de les laisser passer. C’est une marque de patience. Celui qui tente de semer le trouble dans le pays, je le jure et ce n’est pas une tentative d’intimidation, nous lui attacherons l’enfer autour de la tête. La liberté oui, la pagaille non ! » Ainsi une mise en garde ferme adressée aux pêcheurs en eaux troubles a été transformée en une récrimination outrancière contre tout un peuple. A coup de battage médiatique, pour les besoins de la cause.
« Le Mali sous Moussa Traoré » n’a pas du tout occulté les atteintes aux libertés individuelles et collectives. Les pages sombres de notre histoire commune sont bel et bien évoquées (cf. page 43 et suivantes). La falsification de l’histoire, c’est vouloir faire croire que l’UDPM détient l’exclusivité de la violation des droits de l’Homme. Ce qui est valable pour le régime de l’UDPM l’est pour le régime qui l’a précédé et pour le régime qui lui a succédé.
Sur le plan économique le collectif affirme que « c’est dans le Mali sous Moussa Traoré que furent liquidées toutes les sociétés et entreprises d’Etat ».
La non falsification de l’histoire veut que l’on dise que toutes les sociétés et entreprises d’Etat n’ont pas été créées sous la Première République et que beaucoup d’autres ont vu le jour sous Moussa Traoré.
La vérité historique, c’est aussi révéler que les Accords franco-maliens de 1967 prévoyaient :
« … la liquidation des entreprises et sociétés d’Etat, le licenciement d’une première vague de trois mille (3000) travailleurs de l’Etat et l’envoi à la retraite d’un grand nombre d’autres… » p.135 (Amadou Seydou Traoré : Défense et illustration de l’action de l’Union soudanaise RDA, Editions La Ruche à livres, 1996).
Moussa Traoré résistera longtemps. Pour préserver « les acquis du peuple », il ira jusqu’à créer le ministère de tutelle des Société et Entreprises d’Etat en nommant sur proposition de l’UNTM comme chef dudit département, le secrétaire général adjoint de la centrale syndicale : Bandiougou Bidia Doucouré.
En ce qui concerne la situation des caisses de l’Etat et la tenue générale de l’économie, au soir du 31 décembre 1990, le retard des salaires avait été résorbé. C’est ainsi que les nouvelles autorités au lendemain de la chute du régime n’ont pas eu de problèmes majeurs pour payer les salaires.
Le ministre des Finances, de juin 1992 à février 1994, a affirmé à la télévision malienne en 1993 qu’il fallait attendre 3 à 4 ans pour que l’économie retrouve son état de fin 1990.
Après la dévaluation de F CFA, survenue en 1994, dans une interview accordée à Jeune Afrique en 1996, le ministre des Finances de l’époque a révélé que le Mali a, mieux que les autres pays de l’Uémoa, supporté les effets du changement de parité, entre autres, grâce aux réformes courageuses et au travail remarquable accomplis sous la IIe République.
S’agissant des forces armées et de sécurité, la non falsification de l’histoire, c’est admettre que : « l’avènement du CMLN a été déterminant dans l’épanouissement des forces armées… qui ont été pourvues d’armement et d’équipement militaires sophistiqués fournis par l’ex-Union soviétique. Les autorités militaires d’alors, dans le cadre de la professionnalisation et de la modernisation de nos forces, envoyèrent de nombreux cadres en formation en URSS, en RFA, en Chine, aux USA et en France. Dans la sous-région, notre armée faisait ainsi partie des armées les mieux équipées et entrainées » p35. Général Mamadou Doucouré : Armée nationale du Mali : Une armée patriotique (Edim-SA, 2010).
Sur le plan de la justice, la Déclaration soutient que sous Moussa Traoré « la justice était instrumentalisée… »
L’on retiendra cependant que c’est sous Moussa Traoré que pour la première fois, la Cour suprême a annulé, pour vice de forme, un décret présidentiel portant radiation d’un juge et ordonné sa réintégration. C’était « l’affaire Manassa Danioko ». Imagine-t-on un dictateur se plier à une ordonnance de magistrat ?
La Cour suprême cassant un décret présidentiel, en Afrique subsaharienne, cela ne s’était produit qu’au Sénégal sous Léopold Sédar Senghor et au Mali sous Moussa Traoré. Et ce ne fut pas le seul décret qui fut cassé tout comme ce ne fut pas l’unique cas où le secrétaire général de l’UDPM, président de la République s’est soumis au respect de l’autorité de la chose jugée.
Dans la Déclaration, il est rappelé que Moussa Traoré a été condamné deux fois par la justice malienne à l’issue des procès crimes de sang et crimes économiques. .
L’observateur de la Cour internationale de justice au procès crimes de sang, le juge sénégalais Laïty Kama, écrit dans son rapport : « La grande équivoque constatée par l’observateur sur la nature réelle du procès demeure plus que jamais. Aussi bien les plaidoiries des parties civiles que le réquisitoire du ministère public ont beaucoup plus évoqué la responsabilité politique de Moussa Traoré dans les massacres de janvier et mars 1991 que sa responsabilité pénale… D’où l’impression que certains n’ont pas manqué d’avoir, que l’on était en présence d’un procès politique avec un habillage de droit commun ». (Rapport sur le procès de Moussa Traoré ex chef de l’Etat du Mali, p.23).
S’agissant du procès crimes économiques :
En 1991, le peuple avait été officiellement informé par le gouvernement que le président Moussa Traoré avait détourné et planqué dans les seules banques suisses l’équivalant de plus de 1642 milliards de F CFA. Il avait été promis au peuple de poursuivre les investigations pour trouver d’autres fonds déposés dans les banques en France, au Canada, aux USA et dans plusieurs pays africains. Plus de 300 millions de F CFA ont été alloués à des avocats pour ce faire.
Après huit années d’investigation, le montant des sommes détournées s’est retrouvé, en fin de procès, sans aucune preuve à 214 000 000 F CFA.
Sur le plan de l’éducation, la Déclaration affirme que la Réforme de 1962 a été vidée de sa substance. Une bonne lecture du livre de la page 125 à la page 138 aurait évité d’avancer une telle énormité. Pour être davantage édifié, l’on pourrait consulter : Oumar Issiaka Bâ : « Une histoire de l’enseignement au Mali, Entre réforme et réticences » (La Sahélienne, L’Harmattan 2009).
En parlant d’expériences hasardeuses, la Déclaration fait certainement allusion à l’introduction des langues nationales dans l’enseignement et à la ruralisation. Voilà pourquoi ces innovations ont été boudées et abandonnées après mars 91, au profit de la Nef (Nouvelle école fondamentale), de la Nem (Nouvelle école malienne), de l’EAE (Ecole amie des enfants), de l’Apo (Approche par objectifs spécifiques), de l’APC (Approche par compétences). Qui donc a multiplié les expériences hasardeuses dont nous déplorons de nos jours, les effets désastreux sur notre système éducatif ?
La Déclaration évoque aussi « les deux années (79-80 et 80-81) perdues pour l’école malienne avec la suspension des élèves et étudiants et la fermeture des établissements secondaires et supérieurs ».
D’abord, seule l’année 1979-1980 peut être considérée comme année « perdue pour l’école malienne ». Ensuite, la non falsification de l’histoire veut que l’on déplore également les années blanches, années facultatives, années tronquées, années à sauver, que le peuple malien n’a connues qu’après la chute du régime de l’UDPM et que rappelle Doumbi Fakoly dans son livre « Le Mali sous Alpha Oumar Konaré », page 129 : « Tous les ministres de l’Education, (1992 à 2002) ont laissé cette institution capitale (l’école) voler en lambeaux au fil des ans : une année blanche : 1993-1994, huit années tronquées : 1994-2001 avec cinq à six mois de cours sur neuf ».
N’est-ce pas Alpha Oumar Konaré qui, le 10 juin 2000, à l’occasion d’un colloque international sur la démocratie en Afrique organisé dans la capitale malienne, s’est autorisé cet aveu brutal : « En venant aux affaires, j’étais sûr que j’allais régler la crise scolaire en une année, mais, aujourd’hui, à mon grand regret, je vais partir et la laisser non résolue ». (Op. cit. page 124) Peut-on trouver meilleur aveu d’échec ?
Dans la Déclaration, il est aussi affirmé que « durant tout le règne de Moussa Traoré, l’école et les enseignants sont restés l’ennemi n°1 du dictateur. Celui-ci considérait les enseignants comme des opposants à abattre ».
Le démenti cinglant à cette allégation se trouve à la page 45 du livre. Il tombe sous le coup du bon sens que tous les enseignants n’étaient pas des opposants. Comment concevoir que les enseignants soient tous contre le régime alors qu’entre 70 et 75 % des membres de la direction nationale du parti, du gouvernement et de l’Assemblée nationale étaient issus de ce corps ?
Les enseignants qui étaient opposés au régime étaient, soit des syndicalistes, soit des membres du Parti malien du travail (PMT) ou d’anciens Féanfistes. Or, la section malienne de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France) et le PMT comptaient dans leurs rangs nombre de membres hostiles à la politique de… Modibo Kéita qu’ils traitaient – que l’on nous excuse de reprendre ce blasphème – de « laquais du colonialisme français ». Certains d’entre eux interdits de séjour au Mali sous la Première République, ne purent retourner au pays natal qu’avec l’arrivée de Moussa Traoré aux affaires.
Des enseignants se sont opposés au régime militaire et en ont fait les frais. Mais, c’est Alpha Oumar Konaré lui-même, un de ces enseignants syndicalistes, qui reconnaît leur culpabilité quand il confie à Bernard Cattanéo : « … Le milieu syndicaliste a été le premier milieu de la contestation du régime militaire. En 1970, nous sommes arrivés à mettre en place un très bon bureau, avec des camarades très combatifs, mais, je pense que, malheureusement (c’est mon point de vue), nous sommes tombés dans des provocations, nous sommes allés trop vite à l’affrontement ». (Cf. Bernard Cattanéo : Alpha Oumar Konaré, un Africain du Mali, page 66).
Par ailleurs, on remarque que la Déclaration a passé sous silence l’avènement de la presse privée, la lutte contre la corruption, l’organisation du monde rural, la politique de décentralisation. Ce silence en dit long. Parce que dans ces domaines les réalisations de l’UDPM sont probantes.
Il y a eu Le Mali de Modibo Keita (Cheick Oumar Diarrah) ; Il y a eu le Mali d’Alpha Oumar Konaré (Doumbi Fakoly), livre dédié « à tous les déçus de l’ère Adéma, particulièrement la jeunesse malienne » et « Le Mali d’Alpha Oumar Konaré : Ombres et lumières d’une démocratie en gestation » (Pascal Baba Couloubaly) ; il y a « Le Mali sous Amadou Toumani Touré » (Doumbi Fakoly).
Pourquoi donc tant de vacarme autour de « Le Mali sous Moussa Traoré », un livre qui relève d’une simple volonté de ses auteurs de témoigner au nom de leur droit de mémoire et d’inventaire ?
C’est à faire croire que la parution de ce « livre sacrilège » a plutôt servi de prétexte pour battre le rappel et tenter une énième restauration du Mouvement démocratique défunt avec le secret désir de pouvoir récidiver la mobilisation autour de « La lettre ouverte du 7 août 1990 ». C’est oublier cette phrase célèbre de Marx : « Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter ‘la première fois comme tragédie, la seconde comme farce’ ». (Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte).
Notre peuple n’est pas amnésique et il n’est pas dupe. Désabusé, désenchanté et désillusionné, il sait désormais qui est qui et qui a fait quoi. Vouloir croiser le fer en 2016 avec « les forces de l’ancien régime dictatorial comme en mars 1991 » relève du donquichottisme. Ni plus ni moins.
Notre pays n’a que faire de combats d’arrière-garde stériles menés par des hommes et des femmes qui s’ignorent au point de s’arroger le droit de s’ériger en censeur de la République. Aujourd’hui, il a plutôt besoin que ses enfants réunis conjuguent leurs intelligences et leurs énergies pour lui permettre d’émerger de la grave crise qu’il traverse et retrouver son lustre d’antan.
Les auteurs
Source: L’Indicateur Du Renouveau 26/04/2016