TRIBUNAL DE LA COMMUNE IV DE BAMAKO Un architecte inculpé pour escroquerie

Un fait rarissime dans les annales de la justice malienne. Le tribunal de grande instance de la Commune IV du district de Bamako a inculpé le 7 septembre 2016 un architecte pour escroquerie. Le suspect est accusé d’avoir commis plusieurs délits. Entre autres, l’exercice cumulé de la fonction d’architecte et d’entrepreneur, la mauvaise qualité des travaux après avoir empoché la presque totalité des montants d’un contrat de 80 millions de F CFA. Cette affaire va sûrement faire jurisprudence après la série noire qui a frappé les BTP à Bamako ces derniers temps.

Soumaïla Boubacar Maïga architecte-urbaniste, DG du Cabinet d’architecture dénommé l’atelier Souma & associés (ASA SARL) a été inculpé pour des faits d’escroquerie au préjudice de la Société des Boissons et Eaux Minérales –SA (SIBEM-SA) par le juge du 2e cabinet d’instruction du tribunal de la Commune IV du district de Bamako. Placé sous contrôle judiciaire, son passeport lui a été confisqué et il a l’obligation de se présenter au juge deux fois par mois, le temps de boucler l’information judiciaire et de le renvoyer en jugement devant le tribunal le cas échéant.
La plainte avec constitution de partie civile déposée par la victime par l’entremise de son conseil, Me Mamadou Moustapha Sow du Cabinet d’avocats de renom Sow & Associés, révèle que l’architecte a signé avec SIBEM-SA en février 2015, un contrat de construction d’un entrepôt pour un montant de 80 millions de F CFA. A ce jour, il a encaissé 70 millions de F CFA.
Le reproche principal fait à l’inculpé est qu’en sa qualité d’architecte urbaniste, il s’est attribué les compétences d’un entrepreneur qu’il n’a pas. Une pratique interdite par la loi n°89 de mars 1989 organisant la profession d’architecte au Mali. Cette loi dispose que « toute construction doit être faite par le seul entrepreneur ». De sources proches du plaignant, ses travaux ont été mal exécutés et le bâtiment qu’il a construit dans le secteur de Kati est sur le point de s’effondrer mettant ainsi en danger de mort le personnel du site industriel. « L’infrastructure est penchée carrément du début à la fin sur un côté sur quelques mètres et des matériaux utilisés n’étaient pas adaptés. Le travail d’un entrepreneur de dimanche ! », commentent ces sources.

Des expertises aux conclusions similaires
Deux rapports d’expertise réalisés sur l’ouvrage en viennent à des conclusions similaires.
En premier lieu, la Direction régionale de l’urbanisme et de l’habitat de Koulikoro, saisie de la question, a fait le constat suivant : « absence d’autorisation de construire, absence de document d’études du sol, non-conformité de la fondation au plan de coffrage de fondation, non exécution du joint de dilatation, etc. ». Quant à l’expert immobilier agréé auprès des cours et tribunaux, son expertise est sans appel. « […] L’ensemble du bâtiment est à démolir et à reconstruire selon les règles de l’art… Le prestataire a agi comme maître d’œuvre, maître d’ouvrage délégué, service de contrôle, et de suivi et exécutant comme entrepreneur, toutes choses non conformes à l’éthique, à la déontologie et à la législation en vigueur relative à la profession d’architecte ».

Ses pairs du Conseil de l’Ordre des architectes n’ont pas du tout été tendres avec lui. Dans une correspondance en date du 14 juin 2016, le président de l’Ordre des architectes a en effet déclaré : « […] Des deux audiences et de la visite des lieux, il ressort que : les travaux sont commencés sans autorisation de construire, la construction n’est pas conforme aux plans établis, la construction n’est pas faite suivant les règles de l’art…Le bureau ASA-SARL de M. Soumaïla Boubacar Maïga a assuré les missions (études, suivi, contrôle et exécution des travaux dont architecte, maître d’ouvrage et entreprise de travaux…Cette pratique n’est pas conforme à la loi…Aussi, le Conseil de l’Ordre des architecte, au vu de ce qui précède, a décidé de saisir le ministre de tutelle en charge de l’architecture pour la mise en place urgente de la chambre disciplinaire habilitée à statuer sur le cas de manquement à la loi et à prononcer les sanctions disciplinaires… ».
En tout cas, la partie plaignante relève que l’architecte ayant usé de faux titres et de fausse qualité pour la flouer, la loi pénale devra lui être appliquée dans toute sa rigueur. Sans oublier la réparation intégrale à la partie civile escroquée.

Parallèlement à la machine judiciaire qui est désormais en marche dans l’intérêt de la société qu’il faut protéger des délinquants contre la vie humaine, il revient au Conseil de l’Ordre des architectes de prendre toutes ses responsabilités afin de maintenir le prestige de la profession.
En désavouant déjà l’architecte mis en cause, l’Ordre s’est démarqué du corporatisme en demeurant attaché à la loi et aux valeurs de la profession qu’il faut protéger aussi de ses membres indélicats. Il semble que M. Maïga a d’autres contentieux sur le dos. Cette affaire va sûrement faire cas d’école après la série noire qui a frappé les BTP à Bamako. Des immeubles bâtis ou en chantier se sont écroulés dans le district ces derniers temps. Des enquêtes ouvertes sont restées sans suite et aucun coupable n’a répondu de ses actes.
Affaire à suivre.
(Correspondance particulière)