Les femmes rurales toujours cantonnées dans un statut ingrat peu
enviable
Beijing, la capitale de la Chine, a abrité la 4ᵉ Conférence mondiale sur les
femmes en 1995. Un événement référentiel qui devait constituer «un
tournant important dans le programme mondial pour l’égalité des
sexes». Et cela d’autant plus que la «Déclaration d’action et le
programme d’action» du sommet ont été adoptés à l’unanimité par 189
pays. Ce qui devait en faire un programme pour l’autonomisation des
femmes et considéré comme le principal document de politique
mondiale en matière d’égalité des sexes. Trente ans après, l’espoir
suscité a-t-il été concrétisé ? Quel l’impact réel sur la vie politique,
économique, sociale, culturelle… des Maliennes ?
Trente ans après la «Déclaration de Beijing», qu’est-ce qui a concrètement
changé pour les Maliennes ? Telle est la problématique centrale autour de
laquelle doit tourner une évaluation correcte de cette «Déclaration d’action» et
du «Programme d’action» adoptés à l’unanimité par 189 pays en 1995 dans la
capitale chinoise. Si elle était effectivement appliquée, elle serait sans doute
passée comme l’un des grands progrès réalisés en faveur de la Malienne
depuis la «Déclaration de Beijing» en 1995. En effet, l’Assemblée nationale du
Mali a adopté le 12 novembre 2015 une loi instituant des mesures pour
promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives.
Elle octroie aux femmes un quota de 30 % minimum pour les nominations
«dans les institutions de la République ou dans les différentes catégories de
services publics au Mali par décret, arrêté ou décision». Il en est de même au
plan électif, «y compris les conditions dans lesquelles la recevabilité d’une liste
de candidature est soumise à la proportion maximale de 70 % de femmes ou
d’hommes». Si cette législation instituant des mesures pour promouvoir le
genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives est le résultat de
plus de dix années de longue lutte acharnée des mouvements de promotion
des droits humains et des associations féministes maliennes, elle tarde à
combler les attentes.
En effet, malgré cette mesure, les femmes qui représentent 50,4 % de la
population ont d’énormes difficultés à se trouver de bonnes positions sur les
listes électorales leur permettant de se faire élire. Le gouvernement formé
le 21 novembre 2024 par le Général de division Abdoulaye Maïga en est la
parfaite illustration. Cette équipe ne compte que 5 femmes sur les 28
membres. Nous sommes loin des 30 %. À qui la faute ? Nous pensons que
cette loi a manqué de leadership féminin. Les organisations féminines se sont
contentées de protester ou de dénoncer sa non-application après chaque
remaniement. Mais, en temps ordinaire, il n’y a jamais eu (à notre humble
avis) de véritables actions de plaidoyer ou de lobbying pour contraindre les
décideurs politiques à l’appliquer. Les organisations féminines se sont
comportées et se comportent d’ailleurs toujours comme si le vote de la loi était
une fin en soi !
Alors que retenir dans notre pays comme progrès liés à la «Déclaration
d’action et le programme d’action», 30 ans après ? Pour ce qui est du cas
spécifique du Mali, des experts parlent de progrès en matière d’égalité des
sexes. Ceux-ci sont liés à des «avancées» dans des secteurs précis. Ainsi, le
pays a poursuivi ses efforts pour harmoniser son cadre juridique national avec
ses engagements internationaux et, partant, fait appliquer ses lois ; il réussit le
défi de concilier le respect de ses coutumes net traditions avec un droit positif
respectueux des droits humains ; les femmes sont informées de leur droit et
ont la possibilité de les faire valoir ; elles doivent être alphabétisées et
éduquées, et les hommes doivent l’être tout autant…
Le constat est aussi que les couples sont de plus en plus conscients de
l’importance du planning familial ; les pratiques portant atteintes à l’intégrité
physique des femmes sont abolies ; soutenir les réformes visant à
l’introduction de lois (et leur application) favorables à l’égalité des sexes, la
protection de la femme et son autonomisation… Tout comme, au vu du poids
et de l’importance des us et coutumes et de la religion, les décideurs politiques
ont pris conscience qu’il faut toujours impliquer les chefs religieux et
traditionnels dans les décisions politiques en faveur de la Femme, surtout
dans les zones rurales et isolées ; qu’il faut également intégrer les hommes
dans la démarche d’autonomisation de la Femme…
Encore du chemin pour la pleine émancipation de la femme rurale
Mais, une analyse contextuelle démontre que nous sommes bien loin des
défis que les Maliennes doivent relever au quotidien. Et cela d’autant plus que
les maigres progrès constatés ne sont pas perceptibles au niveau de la
couche la plus importante et la plus méritante de la société malienne : les
femmes rurales ! Peut-on mieux évaluer l’impact d’une «Déclaration» politique
en se focalisant uniquement sur la couche parce qu’elle est en permanence
sous les projecteurs ? Qu’est-ce que la «Déclaration de Beijing» a réellement
changé dans la vie des Maliennes ? A quel niveau a-t-elle affecté la vie des
femmes rurales, ces «héroïnes» du développement durable ? Si, 30 ans
après, le chemin à parcourir pour la pleine émancipation de la Malienne est
encore long, il l’est davantage plus pour la femme rurale.
En fait, l’erreur est de voir les progrès et ou les retards à l’image des
conditions de vie des citadines qui ne sont pas assez représentatives de la
Malienne. Les femmes rurales sont malheureusement les laissées pour
compte des politiques nationales impulsées depuis «Beijing 1995». À notre
avis, l’acquisition du pouvoir politique et surtout économique est la finalité
recherchée d’une bonne politique de promotion de la femme. Et sur ce plan,
on a certes des «Sirènes» et des «Mamiwata» (ou Mami Wata) qui font la
pluie et le beau temps dans la capitale, voire dans des centres urbains en
brassant des millions, voire des milliards aux sources plus que jamais
douteuses.
Mais, ces trente dernières années, la réelle percée politique et économique de
la Malienne a été très timide. Et cela malgré un certain dynamisme
entrepreneurial parce qu’elles sont de plus en plus nombreuses à vaincre leur
«timidité» en la matière et aussi à se débarrasser des pesanteurs
socioculturelles les cantonnant dans le foyer conjugal. Mais, comme nous
l’écrivions plus haut, ces progrès sont généralement ne bénéficient qu’aux
citadines, sinon les femmes rurales sont encore confinées dans des statuts
ingrats et injustes. Actrices incontournables, elles continuent de voire leur rôle
être négligé aussi bien par la société que par le pays.
L’apport des femmes dans la production agricole est immense et
incontestable. Et nous savons tous que l’agriculture est au cœur de la société,
de l’économie et du développement du Mali. En effet, selon de nombreuses
statistiques, le secteur agricole occupe 70 % de la population active, contribue
à plus de 40 % du PIB et fournit près de 40 % des recettes d’exportations du
pays. Même si elles continuent d’être écartées, voire discriminées, de la
propriété foncière, les femmes représentent la colonne vertébrale de ce
secteur, comme elles sont d’ailleurs celle de notre société. Malheureusement,
de l’indépendance à nos jours, ces héroïnes n’ont jamais eu la
reconnaissance à la hauteur de leur rôle. Confinées notamment dans les
tâches domestiques, aux soins aux enfants et aux personnes âgées, elles ne
sont magnifiées par le leadership féminin que dans des projets montés en leur
nom, mais qui ne leur profitent souvent que partiellement, voire jamais.
Trente ans après «Beijing 1995» et malgré un apport inestimable au
développement, à travers la production agricole, la Femme rurale continue à
être la laissée pour compte des politiques nationales d’autonomisation,
d’émancipation… Triste réalité qu’il faudra corriger par des politiques
objectives, pertinentes et efficaces pendant les trente prochaines années afin
de rendre enfin justice à la Femme rurale !
Moussa Bolly
diasporaction.fr