TRANSITION EN OTAGE

Le président de la transition SE Assimi Goïta

 Mériter la confiance du peuple pour tenir les politiciens à distance

Dans leur décision de sanctionner le Mali, les dirigeants de la Cédéao et de l’Uémoa ont été mis à l’aise par l’attitude versatile de la classe politique malienne. En effet, il est clair que la transition est en partie l’otage des caïds de l’ancien régime et les contestataires du M5-RFP. Avant la rectification du 24 mai 2021, ce mouvement n’a rien ménagé pour saboter la transition en se mettant systématiquement en marge du processus tout en menaçant de reprendre la rue s’il n’est pas mis dans ses droits de «tombeur du régime d’IBK». Et depuis qu’il a eu gain de cause, son unité s’est fissurée avec certains de ses leaders qui se retrouvent avec les partisans du régime déchu pour réclamer la tête du PM. Nous n’en serions peut-être pas là si le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) avait assumé le putsch en suspendant la constitution et en renvoyant les partis politiques dos-à-dos pour se mettre au-dessus de la mêlée.

Les sanctions de la Cédéao et de l’Uémoa sont injustes. Mais, il y a une chose qu’il faut se dire : s’il n’y avait pas tant de voix dissonantes autour de cette transition, les dirigeants de la Cédéao et de l’Uémoa auraient réfléchi par deux fois avant de vouloir nous imposer un tel embargo. Après l’éviction du président Ibrahim Boubacar Kéita «IBK» (paix à son âme) le 18 août 2020, nous avons alerté les jeunes officiers du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) que l’erreur serait de se précipiter dans les bras du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) même si c’est sa contestation qui a favorisé leur intervention. Les militaires devaient s’assumer comme en République de Guinée et rester au-dessus de la mêlée en renvoyant la classe politique dos-à-dos, en s’adossant réellement au peuple, le vrai peuple.

Et c’est ce qu’ils avaient fait dans un premier temps en prenant progressivement leur distance avec le M5-RFP. Malheureusement, ils n’ont pas su résister au chantage politique des animateurs de ce mouvement. Et finalement, au nom de la rectification, ils se sont jetés dans la gueule du loup en mettant en selle les contestataires de la Place de l’indépendance. Comme l’a analysé un chroniqueur politique chevronné de la place, «l’une des conséquences est incontestablement le clivage intervenu de manière persistante sur la scène politique».

Ce qui a conduit la transition en cours dans l’impasse actuelle, prise en otage par le M5-RFP et les revanchards du défunt régime qui utilisent aujourd’hui contre Dr Choguel Kokalla Maïga les mêmes armes que son Comité scientifique a utilisées contre le pouvoir de feu le président IBK jusqu’à sa chute. Une transition s’accommode difficilement d’un Premier ministre politique, surtout dans un pays où les considérations partisanes l’ont presque toujours emporté sur les vraies préoccupations nationales.

Que le président Assimi Goïta s’assume face à la classe politique

Que faut-il faire maintenant ? Le président Assimi Goïta doit s’assumer jusqu’au bout comme il l’a laissé entendre dans son discours à la nation du 10 janvier 2022. S’assumer, pas seulement face à la Cédéao et à l’Uémoa, mais aussi face à la classe politique nationale. Il doit comprendre que quoi qu’il fasse, toutes les composantes de cette classe politique ne vont jamais embarquer ensemble dans le même navire au nom de l’intérêt général. Et cela d’autant plus que ce n’est pas le Mali qui les divise, mais les ambitions personnelles et les intérêts claniques.

Nous l’avons vu avec la Conférence d’entente nationale (CEN), le Dialogue national inclusif (DNI) et les Concertations nationales. Il y a toujours une composante qui est restée au quai en refusant d’embarquer parce que convaincue que les enjeux des débats pouvaient hypothéquer ses intérêts. Vouloir donc tenter de les mettre toutes d’accord sur la voie à suivre n’est que pure utopie. Et le peuple est lassé de ce jeu de chaises vides que nos politiciens brandissent toujours comme moyen de chantage pour préserver leurs intérêts. Il faut maintenant avancer dans le sens de l’intérêt général. Quand ils comprendront que c’est la voie à suivre pour exister en tant que force politique, ils finiront par courir derrière le train.

Ce qui importe aujourd’hui, c’est de procéder aux réformes indispensables à l’émergence politique et socio-économique du pays ! C’est le souhait unanime de ceux qui aiment réellement ce pays. Nous avons perdu assez de temps parce que le Colonel Assimi Goïta n’a pas compris que les politiciens jouent à le distraire et à l’éloigner de cette farouche volonté de nettoyer les écuries d’Augias afin d’instaurer enfin cette gouvernance vertueuse que les Maliens attendaient de la démocratie.

 

Eviter la frustration générale provoquée par un espoir déçu

«Nous avons fait le choix de prendre notre destin en main», a déclaré Colonel Assimi Goïta dans son discours à la nation du lundi 10 janvier 2022. Ce qui n’arrange pas tout le monde, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays où ils sont nombreux à voir leurs desseins menacés par le changement prôné. Il faut assumer cette volonté et avancer sans fermer la porte à personne, mais sans non plus perdre le temps à attendre ceux qui se feront toujours désirer au moment d’embarquer.

Ceux qui nous gouvernent aujourd’hui doivent savoir que la contestation qui a coûté à feu Ibrahim Boubacar Kéita dit «IBK» (décédé le dimanche 16 janvier 2022 à Bamako) son second mandat s’est nourrie de la déception et de la frustration des Maliens chez qui son élection en 2013 avait réellement suscité beaucoup d’espoir. La déception est généralement à la hauteur des attentes déçues. Les dirigeants de la transition suscitent aujourd’hui ce même espoir. La démonstration populaire du vendredi dernier au Mali et dans de nombreux pays africains en est la preuve.

Et se sont des actes concrets que les Maliens attendent sans doute des autorités de la transition. Ce n’est pas en tout cas le moment de perdre du temps dans une démagogie folklorique  (port abusif de l’uniforme militaire qui perd ainsi tout son symbole) ou dans des manifestations populistes (l’argent investi dans leur organisation peut être très utile ailleurs) qui ne peuvent avoir d’autres effets que jeter de l’huile sur le feu. La situation est déjà compliquée pour jouer à la provocation qui semble être malheureusement le sport favori de l’actuel Premier ministre.

Il est temps que le chef du gouvernement prenne conscience qu’il n’est plus dans la rue à la tête du Comité stratégique du M5-RFP, mais à la Primature. Cette responsabilité lui impose un certain respect à l’égard de tous nos partenaires, quels que soient les différends qui nous opposent à eux. En tout cas, le Colonel Assimi Goïta a intérêt à ne plus le suivre sur ce terrain. Il doit comprendre que ces sanctions visent à l’isoler et à pousser le peuple à la révolte. Ce à quoi ses compatriotes se refusent pour le moment. Autant chacun de nous doit s’impliquer pour soulager les Maliens et trouver une issue heureuse à la crise, autant le Colonel Goïta et compagnie doivent prendre conscience que le soutien du peuple leur est donc fortement utile voire vital.

Mais, ce soutien est essentiellement lié à la pertinence des actes qu’ils vont poser dans les prochains jours ! A eux de mériter le soutien et la confiance des Maliens face à la Cédéao qui, certainement à la demande de la France, cherche à se débarrasser d’eux par toutes les stratégies !

Moussa Bolly