Au Nigéria, le trafic et l’exploitation d’enfants reste un phénomène très répandu. Une jeune fille victime d’exploitation a accepté de raconter son histoire à la DW.
Les enfants victimes d’exploitation au Nigeria sont pour la plupart issus de milieux défavorisés et sont souvent obligés de se prostituer, de servir de mère porteuse dans « des usines à bébés clandestins » ou encore de travailler comme domestique.
« J’étais très, très, très contente. Et, j’ai tout de suite dit que je voulais partir avec eux. Et puis mes parents, sachant qu’ils avaient beaucoup d’enfants à charge, si l’un était emmené à Lagos, cela réduirait leurs dépenses. Ils ont donc également accepté. »
A l’époque des faits que relate Timipriye, celle-ci avait 16 ans et vivait dans le sud du Nigeria, dans un village situé à environ 350 kilomètres de Lagos.
Son oncle et sa femme lui avaient proposé de l’emmener vivre avec eux dans la capitale, Lagos, où elle serait prise en charge et envoyée à l’université. Mais la réalité sera tout autre pour la jeune fille une fois en ville.
Le désenchantement
Au lieu d’aller à l’école, elle est obligée de se lever chaque jour très tôt pour faire des tâches ménagères et garder les enfants de son oncle. Outre les punitions quand elle n’accomplit pas assez vite les tâches, elle est harcelée sexuellement par son oncle.
« Mon oncle essaie de coucher avec moi ; il vient la nuit frapper à ma porte et quand j’ai tenté de l’arrêter en verrouillant ma porte avant de dormir, c’est devenu un problème parce qu’il a alors commencé à me maltraiter et m’a interdit de fermer à clef quand je dors. Il m’épie quand je prends ma douche et quand il sait que j’ai fini de me doucher, il fait irruption dans la chambre sans frapper ” raconte la jeune fille.
Comme dans le cas de Timipriye, ce sont souvent des proches qui exploitent directement les enfants ou qui les confient à d’autres.
La pauvreté est considérée comme la principale cause de la vulnérabilité des enfants victimes de ce genre de trafic.
Bien que les organisations internationales s’accordent à dire que le Nigeria a amélioré ses efforts pour lutter contre le phénomène, son ampleur reste considérable dans le pays.
Près de 1,4 million de personnes vivaient dans l’esclavage moderne au Nigeria en 2018, selon une estimation de la Walk Free Foundation, un groupe international de défense des droits de l’Homme. Et nombreux sont également les enfants envoyés hors des frontières du pays et contraints à la prostitution.
Timipriye, elle, n’ose pas informer ses parents sur ses conditions de vie et craint les représailles si elle décidait de quitter la maison de son oncle. C’est en secret, chez un voisin, pendant que sa tante et son oncle étaient absents, qu’elle a raconté son histoire à la DW.
Si elle a décidé de parler c’est dans l’espoir d’aider à empêcher que d’autres enfants ne soient victimes de ce genre d’exploitation.
Très peu de victimes osent en effet témoigner, un silence dont souvent profitent les trafiquants.
Peu de condamnations
Le rapport 2021 sur la traite des personnes au Nigéria, compilé par le gouvernement américain, ne fait état que de 36 condamnations de trafiquants.
L’incapacité à demander des comptes aux trafiquants signifie que les quelques survivants qui réussissent à s’échapper vivent encore souvent dans la peur de la violence, ou la peur que leurs familles soient blessées, si leurs trafiquants les trouvent.
C’est le cas d’Ivie, qui a été victime de la traite en Italie et forcée de se prostituer à l’âge de 15 ans après qu’un ami de confiance de la famille lui ait promis de l’emmener en Europe et de lui trouver un emploi de baby-sitter et une place dans une école.
Ses trafiquants ont enfermé Ivie sans nourriture jusqu’à ce qu’elle cède à leurs souhaits. L’Organisation internationale pour les migrations estime que 80% des jeunes femmes nigérianes qui arrivent en Italie sont souvent victimes de trafic sexuel et contraintes de se prostituer.
Ivie s’est échappée après avoir raconté son histoire à un client qui l’avait trouvé trop jeune pour se prostituer. Il l’a mise en contact avec des religieuses catholiques qui l’ont aidée à s’échapper et finalement à retourner au Nigeria mais son cauchemar n’est pas pour autant terminé. Elle vit dans une peur constante car les trafiquants la harcèle, elle et ses parents. Ils affirment qu’Ivie leur doit de grosses sommes d’argent – en dollars américains – qu’ils ont dépensées pour ses frais de voyage.
Ivie ne peut plus vivre avec sa famille ni dormir à la maison ; elle se déplace constamment d’un endroit à l’autre pour éviter d’être retrouvée par le réseau de trafiquants.
Ivie garde cependant espoir car certains bons samaritains l’aident à apprendre un métier et essaient de lui trouver un logement.
Mais elle est toujours traumatisée par son expérience. Des experts médicaux, tels que Babatunde Fadipe, psychiatre à l’hôpital universitaire de Lagos, affirment que les personnes victimes de la traite des êtres humains peuvent éprouver un large éventail de problèmes psychologiques allant de la colère à l’anxiété et à la dépression.
Carole Assignon, Tobore Ovuorien www.diasporaction.com