Ce dimanche, quand j’ai pris place dans ma «Tour de Lassa» (après avoir été privé de ce bonheur pendant de longs mois à cause d’un mystérieux mal aux pieds), j’avais le loisir d’admirer le fleuve Niger en crue sur toute sa longueur à Bamako (il traverse le Mali sur 1 700 km pour une longueur totale 4 184 km). Et à mes pieds, des femmes et des hommes s’activaient à aménager des lopins de terre dans un environnement rocailleux. En voyant cette surface d’eau, le courage et l’abnégation de ces personnes, je me suis dis : Quelle ironie que mon pays et mon continent soient au bord de la révolte voire des émeutes suite à la guerre Russie-Ukraine qui est en train de nous priver de quoi manger ! Une ironie qui ne résulte pas seulement de la crise sécuritaire ou des effets néfastes du changement climatique, mais aussi et surtout de mauvaises politiques agricoles qui rendent nos pays dépendants de l’extérieur.
«L’Afrique écrira sa propre histoire», espérait Patrice Lumumba, le panafricaniste cité par le site «Les Agriculteurs africains». Il fait d’ailleurs l’actualité ces derniers jours avec le retour de son cercueil le 22 juin 2022 sur sa terre natale. Deux jours après la restitution par la Belgique à la RDC d’une dent, seul reste de sa dépouille (après que son corps ait été dilué dans l’acide par ses assassins), le héros de l’indépendance du Zaïre (devenu la République Démocratique du Congo) a retrouvé la terre de ses aïeux 61 ans après son assassinat.
Digne fils d’Afrique, Lumumba est parti très tôt sans réaliser ce rêve d’une Afrique meilleure pour tous ses frères. Et même si son testament demeure, son vœu ne s’est pas encore réalisé puisque l’indépendance de nos Etats n’est que théorique. Les colons sont partis dans un premier temps en nous laissant des instruments qui les rendent indispensables à notre existence. Mieux, ils nous ont poussé à l’aliénation mentale pour que nous ne puissions jamais nous émanciper de leur joug d’exploitation économique. Et le système éducatif que nous utilisons est l’outil de cette aliénation.
«L’éducation des Africains est une nécessité urgente. C’est une question de vie ou de mort. Nous ne pouvons pas supporter une autre génération d’enfants qui n’ont pas d’identité et qui ignorent les potentiels que regorge le continent africain. Nous devons encore déployer cette éducation ici parce que ce qu’on appelle l’éducation aujourd’hui produit les Africains les plus stupides qui soient», rappelle le site «Les Agriculteurs africains». Il nous rappelle, de façon dramatique, que nous nous formons depuis plus de 40 ans en Afrique des chimistes, des biologistes, des ingénieurs tout en continuant à importer des engrais pour améliorer la performance d’une agriculture non encore entièrement mécanisée.
Tourner le dos au secteur agricole pour privilégier l’importation de denrées alimentaires
Il a fallu que la Russie envahisse l’Ukraine pour que nous ressentons le poids de notre dépendance extérieure. Une honte avec tous les potentiels dont nous regorgeons. Un continent d’un milliard de personnes avec le plus de terre arable au monde est aujourd’hui menacé par la famine parce que l’Ukraine, son grenier, est en guerre.
Et en début juin, le président en exercice du l’Union africaine et du Sénégal, est parti jusqu’à Sotchi pour supplier Vladimir Poutine de «prendre conscience» que l’Afrique était «victime» du conflit russo-ukrainien. Autrement de mettre fin à la guerre contre l’Ukraine pour que les Africains ne meurent pas de faim ou que des émeutes liées à la cherté de la vie n’emportent leur pouvoir.
«Les pays africains doivent accorder plus d’attention à leur secteur agricole», conseillait Marie de Vergès, chroniqueuse et journaliste au «Monde Afrique». Et cela parce que notre continent est celui où la consommation de blé croît le plus vite puisque nos gouvernements ont favorisé l’importation des denrées alimentaires aux investissements judicieux dans le secteur agricole.
«Sur le long terme, les Etats africains ont aussi un rôle crucial à jouer. Pour garantir la sécurité alimentaire, ils doivent accorder plus d’attention à leur secteur agricole», conseillait la chroniqueuse citée plus haut. En 2003, les dirigeants africains réunis à Maputo (Mozambique) s’étaient engagés à allouer 10 % de leur budget national à l’agriculture. Près de vingt ans plus tard, on en est toujours loin. Le Mali est l’un des rares pays africains à faire mieux avec 12 % des ressources publiques en moyenne entre 2004 et 2011. N’empêche que nous subissons de plein fouet les conséquences de cette guerre aggravée par la crise sécuritaire et le blocus imposé par les dirigeants de la Communauté économique des Etats de l’Afrique (CEDEAO) entre le 9 janvier et le 3 juillet 2022.
Ces investissements ne suffiront pas à combler à court terme le gap créé pendant toutes ces longues années durant lesquelles nos dirigeants ont tourné le dos au secteur agricole pour privilégier l’importation de denrées alimentaires à bas prix afin d’acheter la paix sociale. Et comble de l’ironie, ces importations ne permettent plus à des pays comme le Mali de prélever des droits de douane, donc de remplir les caisses d’Etats parce que bénéficiant généralement exonérations quand il s’agit de céréales, notamment du riz et du blé.
Sans compter que nous continuons d’avantage à prioriser les cultures introduites par les colons pour alimenter leurs industries (café, cacao, coton, thé, palmier à huile) et sur les ventes desquelles nous n’avons aucune influence puisque les prix sont fixés sans nous concerter. Et cet entêtement aurait été compréhensible si avec l’indépendance nous avions réussi à créer des industries de transformation pour créer de la valeur ajoutée au lieu de continuer à les exporter à l’état brut. Hélas, nous continuons à les développer aux dépens des céréales qui contribuent à nourrir nos populations, donc non incontournables. Et cela d’autant plus que les spéculations commerciales autour de nos produits d’exportation ne compensent nullement les dépenses que l’Afrique effectue pour se nourrir.
L’Afrique au bord de la famine à cause de la guerre dans un pays de 44 millions d’habitants
Le prix de l’huile pèse aujourd’hui énormément dans les dépenses quotidiennes de nos ménage parce que notre pays est encore dépendant de sa mauvaise politique qui a conduit à la privatisation de l’huilerie cotonnière du Mali (HUICOMA). Cette unité industrielle produisait à suffisance de l’huile de bonne qualité. Elle produisait aussi du savon et de l’aliment bétail (tourteau).
L’Huicoma a été créée le 12 mars 1979 suivant l’ordonnance N° 79-15 CMLN. Sa création répondait à l’ambition de valorisation de la graine de coton et de ses sous-produits ainsi que d’autres cultures oléagineuses par leur transformation et leur commercialisation afin de générer des emplois et de la valeur ajoutée pour booster la croissance économique. En 2005, le gouvernement a cédé l’huilerie au Groupe Tomota (l’opérateur économique malien) qui n’avait aucune expérience dans ce domaine d’activité et qui n’offrait pas assez de garanties pour la rentabiliser.
En conséquence, nous sommes contraints de payer l’huile importée ou locale de mauvaise qualité à pris d’or. Sans compter l’incidence sur l’approvisionnement du pays en aliments bétail dont le coût greffe aussi tous les autres produits et sous-produits de l’élevage (poulets, viande, œufs…). Ce n’est qu’un exemple entre autres !
«Les pistes pour hisser la production agricole sont identifiées : donner aux agriculteurs l’accès à des intrants subventionnés, investir dans la création d’unités de transformation locales, établir des circuits de distribution pour pouvoir approvisionner les villes», préconise Marie de Vergès du «Monde Afrique».
Et comme c’est le cas ces dernières décennies, le meilleur exemple vient du Rwanda qui est en train d’expérimenter sa «Révolution verte» depuis quelques années. «Il est inacceptable qu’un pays de 44 millions d’habitants nourrissent l’Afrique, un continent», a déploré le président Paul Kagamé. Il est visiblement le seul dirigeant africain qui s’est officiellement offusqué de cette dépendance. Les pays africains regorgent la majeure partie des terres arables encore disponibles dans le monde. Sans compter nos potentialités en gaz et en phosphate nous permettant à l’avenir de développer une industrie des engrais pour ainsi assurer notre indépendance vis-à-vis des fertilisants importés.
Nous sommes donc convaincus que, avec plus de volonté politique favorisant des investissements conséquents, l’Afrique peut nourrir le monde. Mais, il faut éduquer les nouvelles générations pour en faire des Africains affranchis de l’extérieur et non des aliénés mentaux qui pensent qu’il faut continuer à servir les économies occidentales en nourrissant l’illusion d’être indépendants !
Moussa Bolly