La société malienne, car il s’agit d’une carence sociologique, est devenue si malade structurellement que le moindre problème à régler devient un casse-tête. Une plaie pourrie et qui finit par dégénérer. C’est une fois arrivé au point de non-retour qu’une solution de rafistolage est trouvée qui fait guérir la plaie sur du pus pourri pour préparer une prochaine crise qui enfantera une autre et ainsi de suite. Au Mali, les problèmes ne sont jamais résolus et ils s’accumulent.
Il est loisible de tout mettre sur le dos des gouvernants du moment et des responsables. Ainsi, la formule « tout est la faute de X » est devenue une reine. On cherche et on désigne un responsable uniquement et le tour est joué. Et à chaque fois, on remplace X par Y qui l’a remplacé. Lui aussi ; à son départ, n’aura aucun problème à avoir un successeur. Mais les hommes passent et les problèmes, les mêmes et leurs enfants et petits-enfants demeurent.
«Tout est la faute de Boubèye» ! Boubèye est parti mais les mêmes tueries au centre continuent. Le nombre des morts par tueries au centre a diminué mais il reste au même niveau avec l’augmentation de la fréquentation et des lieux de tueries. On ne tue plus 120 personnes d’un seul village (consigne d’Amadou Kouffa) mais 140 personnes en plusieurs lieux. On décime par petits paquets (exigence de la communauté internationale).
Un banal contrôle de vignette de moto
Pour revenir à notre problématique, les violences meurtrières à Niono et à Tombouctou (exactement aux mêmes moments) et l’incarcération du président de l’union nationale des sociétés coopératives des producteurs de cotons nous rappellent cruellement une de nos tares sociologiques les plus fondamentales. A savoir l’incapacité de notre société tout entière -et non les seuls gouvernants- à régler durablement un problème, le plus petit possible.
A Niono, tout a commencé par un banal contrôle de vignette de moto qui a mal tourné. Depuis avant la tabaski du 10 août. Les policiers doivent-ils poursuivre les récalcitrants qui refusent de s’arrêter à leur coup de sifflet ? Nous avons été incapables de trouver une réponse. Les policiers et les gendarmes sont despotiques et les citoyens sont indisciplinés : que faire ? La crise de Niono a pourri et il fut impossible de trouver une solution locale. Convoqués à Bamako par le DG de la police, l’adjoint est renvoyé à Niono pour assurer l’intérim. On informa Niono (qui ?) que le commissaire a été relevé et remplacé par son adjoint qui a reçu les jeunes dans son bureau.
Le commissaire Tounkara a signifié à ses supérieurs que le fil de la confiance était rompu entre lui et les habitants de Niono. Donc qu’il ne souhaitait pas y retourner. Le DG Moussa Ag Infahi en accord avec son ministre l’a obligé à retourner à Niono. Sans aucune préparation du terrain. Le commissaire est reparti à Niono le 18à 21 heures. Et il fut tué le lendemain matin sur les lieux de son travail. Niono est depuis une ville sous occupation. On y arrête à tour de bras : on prépare d’autres sources de tension.
A Tombouctou, les vols en tous genres, braquages, attaques à domicile assassinats ciblés et surtout l’enlèvement des personnes contre rançons sont devenus une banalité depuis des années. Ces actes, comme par hasard touchent essentiellement certaines communautés. Les prises d’otages suivi de demande de rançons (20 ; 40 et 60 millions FCFA) sont devenues intenables. En toute inertie de l’Etat. C’est ainsi que dans la nuit du 14 au 15 septembre deux agents de santé (deux Maïga) sont enlevés par six arabes une rançon de 40 millions FCFA est demandée.
Cela va constituer la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Les jeunes décident de sécuriser et installent des points de contrôle. Ils donnent deux jours aux ravisseurs pour libérer les otages sains et saufs, message assorti de menace. L’Etat fait le mort comme d’habitude. Les deux agents sont libérés le 18. Ce soir, une voiture tire sur un point de contrôle. Les jeunes les pistent et le lendemain matin, se dirigent vers leur repère. Ils sont accueillis par des tirs nourris qui causent des morts et des blessés.
L’Etat intervient alors pour dégager le siège et disperser la foule. Le problème reste sans être réglé et il n’est pas surprenant que Tombouctou refasse la une des journaux.
Pour Bakary Togola, depuis 2013, les ristournes des paysans disparaissaient. Il n’y avait aucun document comptable. Depuis 6 ans donc, ce problème très anormal durait sans que personne ne fasse quoi que ce soit à part le comptable qui finit par alerter le procureur ce genre de situation existe dans combien de services liés à l’Etat ?
Aussi, faut-il croire que la société malienne – du citoyen lambda au sommet de l’Etat –souffre d’un sérieux problème : celui de pouvoir faire face à une situation donnée et de la régler avant qu’elle ne dégénère. Un mal diagnostiqué, a-t-on l’habitude de dire, est à moitié résolu. Est-ce vrai pour le Mali.
Amadou TALL