Tiéman Coulibaly à propos du soutien au candidat de l’ADEMA:«Nous sommes dans le sens de l’histoire»

22 Septembre: Nous sommes déjà  dans la fièvre électorale, comment se porte l’UDD?

Tièman Hubert Coulibaly: L’UDD se porte bien, je pense. Aussi bien que les autres partis actifs dans le paysage politique au Mali. Nous avons tenu notre Conférence nationale le 25 février dernier à Koutiala et nous en sommes sortis, je crois, renforcés. Il s’agissait d’une instance ordinaire du parti, dont la tenue est une preuve que nous nous portons bien. Nous arrivons à tenir toutes nos instances ordinaires depuis plusieurs années. Nous portons bien parce que notre Conseil exécutif tient sa séance toutes les semaines, ce qui n’est pas le cas dans tous les partis.

Avant la Conférence nationale dont je vous parlais tantôt, nous avons tenu le Forum national des jeunes, dans le cadre du 20e anniversaire de l’UDD. Il a été suivi par le Congrès ordinaire de 2010, qui a vu le passage de témoin entre notre camarade Me Hassane Barry, appelé à des fonctions de diplomate, et moi-même. Notons au passage qu’il a été récemment nommé ambassadeur du Mali en Angola avec une large juridiction en Afrique australe, après avoir séjourné en Guinée Conakry, chargé de l’ensemble des pays riverains de la Mano River, à l’exception de la Côte d’Ivoire. Notre parti se porte comme un charme et nous continuons d’enregistrer l’adhésion de nouveaux cadres et de nouveaux militants.

Votre parti a décidé de soutenir le candidat de l’ADEMA à l’élection présidentielle. Quelles sont les raisons de ce choix, et, éventuellement, pouvez-vous nous rappeler le processus qui y a conduit?

THC: Le processus qui a été suivi est une large concertation. D’abord à la base, au niveau des différentes sections, puis par une longue discussion au niveau du Conseil exécutif. Nous avons examiné la situation politique et l’opportunité de présenter un candidat issu de nos rangs. Nous avons jugé que, compte tenu de la situation politique, il n’était pas opportun de présenter un candidat, pour beaucoup de raisons. Nous avons pensé qu’il était mieux de soutenir une candidature à même de porter nos préoccupations, avec laquelle nous aurions un certain nombre de points de convergence. La première décision a été de ne pas présenter un candidat et la 2e concernait le choix du candidat à supporter. Nous en avons reçu beaucoup à notre siège. Nous avons eu l’honneur d’accueillir Ibrahim Boubacar Kéita, mon estimé grand frère, Modibo Sidibé, candidat indépendant, Cheick Modibo Diarra. Nous avons reçu aussi Dioncounda Traoré. Et, évidemment, nous avons discuté avec d’autres qui ne pas sont venus à notre siège, notamment Soumaïla Cissé, qui est quelqu’un dont je suis proche sur le plan social et familial. Nous avons échangé avec les uns et les autres au niveau du Conseil exécutif, pendant que le débat se menait au niveau des sections. Après analyse, le Conseil a décidé de soumettre à la Conférence nationale le soutien à Dioncounda Traoré, candidat de l’ADEMA. Voilà pour le processus.

Voyons-en les raisons maintenant. Vous savez, depuis 1997, l’UDD a entamé une phase de collaboration avec l’ADEMA, après une phase d’opposition claire et nette entre 1992 et 1997. Nous étions opposés au pouvoir ADEMA incarné par  Alpha Oumar Konaré. A parti de 1997, après un certain nombre de discussions, de contacts, j’allais même de dire de concessions de part et d’autre, l’UDD a pu arriver à établir avec l’ADEMA une relation de confiance et d’amitié. Et cette collaboration n’a jamais cessé  depuis. Nous avons ainsi participé à plusieurs gouvernements pendant le second mandat du Président Alpha Oumar Konaré.

En 2002, ayant initié la plate-forme ARD, au second tour nous avons soutenu le candidat de l’ADEMA jusqu’au bout, car il était établi que le candidat de l’ARD bénéficierait du soutien de l’ensemble des partis membres. Ce candidat, c’était Soumaïla Cissé, que nous avons accompagné avec loyauté, vigueur et fidélité. Cette collaboration s’est poursuivie. Car, quand le Président Amadou Toumani Touré a été élu, il a appelé l’ensemble des partis autour de ce qu’il a appelé le consensus et nous avons participé à certains gouvernements. J’ajoute qu’avec l’ADEMA-PASJ nous avons présenté des listes communes aux législatives de 2002. Nous avons même des listes qui ont été invalidées! Spécifiquement celle de Koutiala … Cela a coûté cher à l’UDD. Nous avons également géré des municipalités ensemble, entre 2004 et 2009. Aux dernières élections municipales, nous avons établi des collaborations dans certaines mairies. En 2007, lors des législatives, nous avons des députés qui ont été élus ensemble, en Commune VI  et à Koutiala, encore une fois.

C’est pour vous dire que cette décision est d’abord une décision politique, qui se fonde sur l’histoire et les acquis du parti et sur des alliances que nous n’avons pas démenties jusque là. S’il y a une qualité qu’on reconnaît à l’UDD, c’est sa loyauté  et la fidélité à ses engagements. D’aucuns pensaient que c’était une décision opportuniste. Non! Nous sommes fidèles à une ligne tracée depuis 1997. Il fallait tout faire pour que le parti soit cohérent et maintienne sa cohésion face à ce  grand rendez-vous, qui est porteur de beaucoup d’espoirs mais qui peut aussi comporter un certain nombre de dangers, eu égard à la situation de guerre qui prévaut dans notre pays.

En somme, nous avons fait le choix de la cohésion et de la cohérence. Il ne s’agit pas d’une décision personnelle du Président, loin s’en faut, car l’UDD ne fonctionne pas comme ça. Il ne s’agit  pas d’une décision opportuniste, loin s’en faut aussi. L’opportunisme nous aurait sûrement menés ailleurs. Il s’agit de cohérence et de préservation de la cohésion. Au surplus, il s’agit d’enraciner le parti dans les alliances qu’il a tissées depuis très longtemps.

Apparemment, Président, ce choix ne  fait pas l’unanimité au sein de votre parti. En effet, quelques jours après cette décision, nous avons appris que certaines de vos structures et élus n’étaient pas d’accord avec elle. Qu’en est-il?

THC: Vous dites bien apparemment! Vous savez, ça dépend de ce que vous appelez unanimité. Ce que je vous dis, c’est que l’ensemble des sections qui étaient présentes à la Conférence nationale à Koutiala adhère à cette décision. Toutes nos sections actives y étaient. Vous savez, les partis politiques ont eu la vie dure depuis 2002, avec l’élection d’un candidat indépendant. J’ai l’honnêteté de dire cela clairement. Je n’invente pas de sections, je parle des structures actives. Celles qui tiennent leurs Conférences, lèvent leurs cotisations et travaillent aujourd’hui sur le terrain.

Nous avons eu  des débats militants. Vous savez, celui qui était opposé à l’ADEMA lors des dernières élections législatives, c’est moi-même. J’étais sévèrement opposé à l’ADEMA dans le cercle de Diéma et nous nous sommes férocement combattus, alors que les deux partis étaient alliés sur le plan national. Cela mérite d’être souligné. Au plan national, nous pouvons prendre des décisions qui localement peuvent poser problème. Tous les partis du Mali font face à cela. Si les dirigeants et les responsables des partis sont honnêtes, ils doivent le reconnaître. Bien que, dans ma circonscription, où j’ai été éliminé  au premier tour en 2007, je fus opposé à l’ADEMA, j’ai défendu cette décision du Conseil Exécutif devant mes camarades à  Koutiala, en leur expliquant ce que je vous ai dit.

L’histoire du parti, sa cohésion et sa cohérence, sont le fondement de la crédibilité de l’UDD,  celle de ses dirigeants. Je ne suis pas en quête de poste, je suis en quête de succès pour mon parti, pas pour ma personne. Autrement, j’aurais peut-être dû faire d’autres choix. Je reste cohérent vis-à-vis de la ligne du parti. Concluons alors que l’ensemble des sections qui étaient présentes lors de cette Conférence partagent, soutiennent, cette décision. Sur le terrain, cela ne se dément pas.

Nous avons quitté Koutiala, nous sommes allés  à Mopti. Nous y avions le soutien de nos militants. Après, nous avons fait Ségou, une section forte, Markala et Niono. Soutien total. Ce week-end, nous serons à Diéma, Kayes, Kénieba et Kita, pour nous entretenir avec les responsables de ces localités concernant les détails pratiques des étapes à venir. Aucune de nos sections aujourd’hui ne dément la décision qui a été prise. Mais je comprends qu’il y a des manipulateurs qui veulent faire passer de fausses informations. Certains ne sont pas d’accord avec le choix que nous avons fait. Ils auraient voulu que nous soutenions le candidat de leur choix. Je comprends cela. Je le regrette pour eux, mais je suis heureux d’avoir engagé le parti dans cette décision, parce qu’historiquement nous sommes dans ce qui est juste. Nous sommes dans le sens de l’histoire, nous sommes dans la cohérence et dans la cohésion. Ceux qui sont mécontents sont des militants d’autres partis, sinon personne dans l’UDD ne dit ce que vous dites aujourd’hui. Ce sont des gens qui auraient voulu que nous soutenions leur candidat et qui distillent de fausses informations en espérant semer le doute dans l’esprit des militants et des cadres de l’UDD. Eh bien, moi je vous le dis, en un mot comme en mille, c’est faux et archi faux. L’UDD est parfaitement unie dans cette décision. Elle sera unie dans la bataille et elle en sortira victorieuse!

Est-ce que ce n’est pas aussi une stratégie pour vous avoir plus de députés à l’Assemblée Nationale?

THC: Mais qui n’aimerait pas avoir beaucoup de députés? Vous pensez que nous faisons de la politique pour simplement nous balader et tenir des discours par ci, par là? C’est pour conquérir le pouvoir. Je fais partie de ceux qui pensent que seul le suffrage universel donne sa légitimité à un homme politique. J’ai du respect pour ceux qui sont issus du suffrage universel. Que l’on gagne ou que l’on perde, il faut aller à la conquête de l’électorat. C’est ainsi qu’on montre du respect à son peuple. Oui, effectivement, nous voulons avoir plus de députés qu’aujourd’hui. Depuis que le Mali est démocratique, l’UDD a toujours été présente à l’Assemblée Nationale. Il n’y a pas eu une seule législature sans que notre parti y soit représenté. Nous avons trois députés, je serais heureux d’en avoir prochainement trois voire quatre fois plus. Cela donnerait plus de force à notre parti et à la démocratie malienne, parce que nous sommes un parti démocrate et républicain. Cela fait donc partie de nos objectifs.

Président, le nord du Mali est attaqué. Certains estiment qu’on ne peut pas tenir les élections dans ces conditions, d’autres pensent qu’il faut y aller malgré  tout. Quelle est la position de votre parti?

THC: C’est un problème grave. Notre pays souffre. J’entends les gémissements du Mali sous ces attaques. Je ressens les angoisses de nos populations face à cette agression. Je partage la tristesse de toutes les familles qui ont perdu leurs fils qui sont dans l’armée, et aussi celles qui ont perdu les leurs, qui, eux, sont des civils, atrocement massacrés et injustement agressés. Nous sommes obligés de faire face, parce que cette situation est le fait de Maliens qui ont décidé de s’exprimer de cette manière là, à tort. Ils ont entrepris de s’attaquer à leur propre pays.

Mais c’est aussi le fait d’éléments étrangers, membres d’AQMI, de Boko Haram, de certaines phalanges salafistes. Des combattants qui viennent du Tchad, du Nigeria ou d’ailleurs, qui agressent notre pays. Il faut faire face, combattre et vaincre. Cela est la seule voie. Il faut vaincre cette rébellion, et définitivement. La rébellion peut avoir des revendications légitimes, mais, aujourd’hui, force de reconnaître qu’AQMI et Boko Haram, qui sont en réalité des criminels et des terroristes internationaux qui usent de prétextes religieux pour se légitimer, doivent être combattus. Il n’y a pas de discussion possible avec les terroristes. Ce sont des criminels, des trafiquants d’armes, de drogue et d’être humains, qui ont trouvé un terreau fertile dans le Nord-Est de notre pays. La position de l’UDD est que l’armée nationale doit  trouver des ressources nationales et, si nécessaire, des ressources extranationales, pour combattre ces criminels. Pour ce qui concerne l’aspect politique de la rébellion, les revendications de développement, de plus d’intérêt de la Nation pour ces régions, qui sont extrêmement difficiles, je pense qu’il est nécessaire d’en discuter, et, cette fois-ci, une fois pour toutes. Il y a eu plusieurs cycles de rébellion, plusieurs accords, au début des indépendances, 1962-1963, gérés par la Première République. Ensuite, il y a eu les accords de Tamanrasset, le Pacte National, puis les accords d’Alger. Je pense que nous avons assez d’éléments pour  engager une discussion nationale, avec des interlocuteurs crédibles, pour régler cette question.

Alors se pose la question de la possibilité  de tenir les élections aux dates constitutionnelles. Il faut qu’on arrive à faire  taire les armes. Notre position est qu’il faut qu’on obtienne un cessez-le-feu pour que les élections se tiennent. Si ces gens sont des Maliens, sincères et qui aiment leur pays, ils doivent accepter un moratoire pour que les armes se taisent et que nous tenions les élections. Mais, dans une situation de guerre, je vois difficilement les scrutins se tenir aux dates constitutionnelles. On doit, à la vérité, dire cela sincèrement. C’est une inquiétude.

Interview réalisée par Youssouf Diallo

Le 22 Septembre 19/03/2012