RFI : Depuis la prise de Ménaka par une milice progouvernementale le 27 avril, les affrontements se sont multipliés au Mali. Dans ce contexte, y a-t-il encore une chance que les groupes rebelles signent l’accord le 15 mai prochain ?
Tiébilé Dramé : Je fais confiance aux plénipotentiaires internationaux qui sont à l’œuvre et qui font tout pour que les hostilités cessent. Il est important que la CMA, les groupes de la plateforme, les autorités maliennes et l’ensemble des Maliens comprennent que la disponibilité et la patience du reste du monde ne sont pas sans limites.
Pensez-vous que l’Accord d’Alger aura une quelconque valeur s’il n’est pas signé par la CMA, c’est-à-dire par les principaux groupes rebelles ?
Il faut éviter de nous trouver dans une situation où nous allons signer avec nous-mêmes, où nous allons signer avec les groupes unionistes qui n’ont jamais remis en cause l’intégrité du territoire national. Si c’est un accord de paix, je suppose que c’est un compromis avec ceux qui à un moment donné avaient remis en cause l’intégrité du territoire et l’unité nationale du Mali, et qui à partir de juin 2013 à Ouagadougou ont renoncé à leurs revendications indépendantiste et autonomiste.
C’est un message que vous adressez à la Coordination de respecter les engagements pris à Ouagadougou et donc de signer cet accord ?
Oui, il ne faudrait pas que les dirigeants de la Coordination oublient qu’ils ont signé, le 18 juin 2013 à Ouagadougou, des engagements très précis en présence de toute la communauté internationale. A savoir qu’ils reconnaissaient, et acceptaient l’intégrité du territoire national, l’unité nationale du Mali, la forme laïque et républicaine de l’Etat.
Et au-delà de la question de la signature, est-ce que cet accord est porteur de paix ou bien dangereux pour l’intégrité du Mali comme le disent certains ?
Cet accord a été paraphé alors que le gouvernement avait une douzaine de pages d’amendements, même la plateforme parlait aussi des amendements. Cela veut dire que c’était un accord minimal. Il est évident que s’il n’y a pas d’autres initiatives, s’il n’y a pas une nouvelle impulsion qui est donnée au processus de paix, la mise en œuvre de cet accord sera extrêmement difficile, dans la mesure où de nombreuses dispositions de cet accord sont interprétées par bien des Maliens comme contenant des germes de la division du pays. Non seulement de la division, mais de l’instabilité dans le pays.
Quelles dispositions précisément ?
Cet accord crée des Etats-régions disposant de larges pouvoirs. Autre nouveauté, le président des régions est élu au suffrage universel direct. Il est en même temps chef de l’Exécutif et président de l’Assemblée régionale. Donc au lieu d’une distribution harmonieuse des pouvoirs, tous les pouvoirs sont concentrés dans une même main. Il est évident qu’il y a un risque dans un contexte de polarisation communautaire qu’un tel accord puisse contenir des germes d’incompréhension et d’instabilité.
Mais quelle est aujourd’hui la marge de manœuvre des autorités finalement ?
Il est indispensable aujourd’hui qu’on donne une impulsion nouvelle au processus de paix et de réconciliation au Mali sous la forme de concertation nationale inter-malienne qui permet de malianiser le processus dit appropriation nationale, de discuter des points qui peuvent être source de conflit. Il faut qu’il y ait les conditions pour que les groupes armés du Nord se parlent entre eux, pour que les groupes armés du Nord et le gouvernement se parlent, pour que les groupes armés du Nord et la société civile du Mali, pas seulement du Nord, se parlent. Sans un consensus national, même signé par tous, l’Accord d’Alger va être mis en œuvre avec énormément de difficultés.
Dans votre note, vous insistez sur la nécessité de dialoguer avec toutes les parties prenantes au conflit, y compris les jihadistes. A qui pensez-vous précisément ?
On le voit, pendant que les négociations d’Alger sont en cours, le pays a continué à s’embraser. La situation sécuritaire s’est considérablement dégradée pendant le processus d’Alger. Cela veut dire qu’il y a d’autres acteurs de l’instabilité et de la sécurité qui ne sont pas parties prenantes au dialogue. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur ces réalités-là.
Vous pensez qu’il y a de leur part une volonté de saper les négociations en cours ?
Je ne sais pas s’ils se préoccupent même des négociations qui sont en cours. Il serait lucide dans le cadre d’une stratégie nationale et de stabilisation du territoire, de discuter des conditions dans lesquelles le Mali peut parler avec ces autres acteurs.
A qui pensez-vous précisément, au chef islamiste Iyad Ag Ghali par exemple ?
La question n’est pas un seul individu. Un seul individu ne peut pas être à l’œuvre à la fois au Nord, dans la région de Kidal, dans la région de Ménaka, dans la région de Mopti, dans la région de Ségou. Non.
Justement, comment discuter avec des gens qui ne sont pas regroupés, qui n’ont pas de doléance claire. Comment s’y prendre pour amener des jihadistes au dialogue ?
C’est une idée qui est là posée sur la table. Nous avons le devoir de la regarder en face d’ores et déjà, et de chercher à savoir qui et qui le fait, et quelles sont leurs motivations, quelles sont leurs demandes s’ils en ont ? Prendre les devants avant qu’il ne soit trop tard.
Savez-vous si Bamako a engagé des démarches dans ce sens déjà ?
Je ne suis pas au courant de ce qui est fait dans ce domaine-là, mais il est de notre devoir à tous d’anticiper. On ne peut pas laisser dans la nature tous ceux qui perturbent la paix et la stabilité du pays et qui sont hors de toutes négociations, de tous processus.
Source : RFI 12 /05/2015