Vingt-trois ans après l’assassinat du Capitaine Thomas Sankara, les controverses continuent encore d’alimenter les esprits sur les circonstances de cet après-midi dramatique du 15 octobre 1987. « Sankara est mort pour avoir empêché certains de ses compagnons, civils comme militaires, de manger et de boire avec faste, de roter gras, de dormir mou et de se la couler douce au détriment de leur peuple », soutenait avec véhémence un cadre de l’administration burkinabé, visiblement partisan de Sankara.
Cependant, en elles- mêmes, les contradictions des témoignages de certains acteurs directs du drame constituent des preuves irréfutables de l’assassinat délibéré et planifié de celui qui fut le principal artisan de la Révolution démocratique et populaire (RDP).
La version de Blaise Compaoré
Dans l’ouvrage de Ludo Martens intitulé « Sankara, Compaoré et la Révolution burkinabé » (page 67), le Capitaine Blaise Compaoré expliquait : «…Lorsque je suis arrivé au Conseil de l’Entente (lieu du drame : NDLR), après la fusillade et que j’ai vu le corps de Thomas à terre, j’ai failli avoir une réaction très violente contre ses auteurs. Cela aurait sans doute été un carnage monstre dont je ne serai certainement pas sorti vivant. Mais quand les soldats m’ont fourni des détails de l’affaire, j’ai été découragé, dégoûté. Je suis resté prostré pendant au moins vingt quatre heures… ».
Et Blaise Compaoré, de soutenir : « Quand j’ai demandé à mes hommes pourquoi ils avaient arrêté Sankara sans me le dire, ils m’ont répondu que s’ils l’avaient fait, j’aurais refusé. Et c’est vrai. Je savais que mon camp politique était fort. Thomas ne contrôlait plus l’Etat. Je n’avais donc pas besoin de faire un coup d’Etat. Mais mes hommes ont pris peur quand dans l’après-midi (du 15 octobre 1987), ils ont appris que nous devions être arrêtés à vingt heures ».
La thèse de Gilbert Diendiéré
Au moment des faits, Gilbert Diendiéré était un officier influent de l’Armée. Dans le même ouvrage de Ludo Martens, aux pages 65 et 66, Diendiéré relate le film de cette journée tragique : «… Le 15 octobre 1987, à la réunion des officiers, des éléments du Palais ont accusé les militaires de Pô (NDLR : une garnison commandée, à l’époque, par Blaise Compaoré) d’être venus pour tramer un complot. L’atmosphère a chauffé. Nous nous sommes séparés sans qu’un accord soit réalisé. Il paraît qu’au même moment, une autre réunion se tenait à la Présidence, à laquelle assistaient Sigué (NDLR : Vincent Sigué, un autre officier influent de l’époque) et d’autres chefs de corps ».
Et l’officier Diendiéré, de poursuivre : « Mais le registre de la Présidence a disparu après le 15 octobre. Comme les soldats de la Garde présidentielle appartiennent à notre bataillon, tous n’étaient pas partisans de l’affrontement. Ainsi, le chauffeur de Sankara, le Capitaine Der, et d’autres sont venus nous prévenir que Compaoré (Blaise), Lingani (Boukari) et Zongo (Henri) seraient arrêtés ce soir. Pendant la réunion de l’OMR (Organisation militaire révolutionnaire), le Conseil de l’Entente serait encerclé par les troupes de la FIMATS (Forces d’intervention de l’administration territoriale et de la sécurité) et de l’ETIR (Escadron de transport et d’intervention rapide). Un groupe de militaires devrait mettre les trois en état d’arrestation, tandis que le gros des forces devrait se tenir prêt à toute éventualité ».
Diendiéré ajoute : « Bien qu’on ne nous eût pas exactement parlé de liquider les trois, nous étions convaincus qu’une tuerie ne pourrait être évitée. Les trois ne se laisseraient pas prendre sans réagir. Et des hommes comme Sigué et Koama n’hésiteraient pas une seconde à les descendre. Notre réaction a été qu’il fallait arrêter Sankara avant que l’irréparable ne se produise. La décision a été prise dans un climat général d’inquiétude proche de la panique. Nous n’avions pas vraiment le choix. Nous n’avons jamais pu croire que Sankara allait s’en prendre à ses trois compagnons. Blaise était à la maison, malade. Nous n’avions pas voulu le prévenir parce que nous savions qu’il ne serait pas d’accord pour arrêter Sankara. C’était une décision grave ; mais il faut s’imaginer la panique qui régnait à ce moment parmi nos soldats ».
Et d’expliquer : « Nous savions que Sankara avait une réunion au Conseil (de l’Entente) à seize heures ; et nous avons décidé d’aller l’arrêter là-bas. Peu après seize heures, la Peugeot 205 de Sankara et une voiture de sa Garde sont arrivées devant la porte du pavillon. Une deuxième voiture de la Garde est allée stationner un peu plus loin. Nous avons encerclé les voitures. Sankara était en tenue de sport. Comme toujours, il tenait à la main son arme, un pistolet automatique. Il a immédiatement tiré et tué un des nôtres. A ce moment, tous les hommes se sont déchaînés ; tout le monde a fait feu et la situation a échappé à tout contrôle »
Et de conclure : « Après les événements, j’ai téléphoné à la maison de Blaise pour le mettre au courant. Quand il est arrivé, il était fort découragé et mécontent, surtout quand il a constaté qu’il y avait seize morts ».
Pourtant, la vérité est ailleurs
C’est dire qu’au regard de ces deux témoignages, le coup avait été perpétré à l’insu de Blaise Compaoré. Mais pouvait-il ne pas être au courant du projet macabre qui se préparait pour attenter à la vie de Sankara son ami d’enfance et compagnon d’armes?
Dans une parution de l’organe français « Matin de Paris » datée du 27 octobre 1987 et reprise dans un passage de l’ouvrage du malgache Sennen Adriamirado, intitulé « Il s’appelait Sankara », un élément du commando ayant participé au carnage témoigne : « C’est le matin seulement que le Lieutenant nous a prévenus de nous préparer pour anéantir le Président (Sankara) parce que maintenant, il sait que même s’il on l’enfermait, il allait sortir par un trou de fourmi ».
En réalité, Sankara se trouvait ce jour-là en réunion de travail avec quelques uns de ses collaborateurs, dans une salle du Conseil de l’Entente. A 70 mètres de l’enceinte, une 504 blanche démarra avec 7 personnes à bord. Le véhicule arriva sur le lieu de la réunion. Mais les quelques éléments en faction devant la salle ne s’en inquiétèrent pas outre mesure, et pour cause : ce sont leurs collègues. Le véhicule se gara ; ses 7 occupants en descendirent et ouvrirent aussitôt le feu. Une gendarme et deux chauffeurs furent fauchés par les balles.
Abattus de sang froid
De la salle où il se trouvait, Sankara entendit la fusillade. Son pistolet en main, il se leva et intima à ses collègues : « Restez, restez ! C’est moi qu’ils veulent ! ». Ce sera ses dernières paroles, car à peine a-t-il franchi la porte de sortie qu’il fut accueilli par des tirs de mitraillette nourris d’un des assaillants. Il s’écroula ; mais les anéantisseurs ne s’arrêtèrent pas là : ils pénétrèrent dans la salle du Conseil et exécutèrent froidement les collaborateurs de Sankara.
Vingt-trois ans après cet ignoble carnage, cette question est restée aussi intacte qu’obsédante : qui était le principal instigateur du coup ? L’histoire répondra un jour…Après cet attentat meurtrier, des tracts orduriers furent lancés à l’endroit de deux compagnons de première heure de Sankara : le Commandant Boukari Lingani et le Capitaine Henri Zongo. Aurait-on fait d’eux des boucs émissaires ou des dindons de la farce ? Toujours est-il que plus tard, ces deux officiers subiront le même sort que Sankara, mais de manière plus subtile.
Ainsi, parmi les quatre initiateurs de la Révolution du 4 août 1983, jadis surnommés « les quatre mousquetaires de la Révolution », il ne reste plus aujourd’hui que Blaise Compaoré, Président du Faso. Ainsi va l’histoire politique sous nos cieux africains.
Par Oumar Diawara « Le Viator »
Le Coq Cocorico 13/01/2011