Le survol, le 5 avril dernier, de la ville septentrionale de Kidal par l’armée malienne, a ravivé les tensions entre Bamako et les ex-rebelles indépendantistes du Nord qui ont haussé le ton en dénonçant ce qui passe, à leurs yeux, pour une « provocation ». Va -t-on alors vers la reprise des hostilités sur le terrain ? La question mérite d’autant plus d’être posée, que ce survol de la ville rebelle du Nord par l’aviation malienne, a fait l’objet de tirs de sommation de la partie adverse, la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), qui considère cet acte de Bamako comme une « violation patente du cessez-le-feu du 23 mai 2014 », quand on se fie au communiqué qu’elle a diffusé dans la foulée. C’est dire si la tension est véritablement à son comble. Et il faut craindre l’escalade. Car, il suffit parfois d’une petite étincelle pour produire un grand brasier. Et dans le cas d’espèce, il y a d’autant plus des raisons de nourrir des craintes que cette « expédition » de l’aviation malienne intervient à la veille d’une date symbole, celle de la célébration du 11ème anniversaire de la proclamation unilatérale d’indépendance de l’Azawad par les insurgés, que Bamako n’a jamais digérée.
Chaque partie nourrit le secret espoir de pouvoir tirer in fine la couverture à elle-même
Est-ce une mesure d’intimidation visant à empêcher la participation des populations aux manifestations prévues à cet effet ? Bien malin qui saurait répondre à cette question. Toujours est-il que c’est un acte qui est loin d’être anodin dans un environnement où la CMA a, maintes fois, exprimé ses inquiétudes quant à l’avenir d’un accord qui semblait à l’abandon ; tant le processus de paix enclenché depuis 2015 avec la signature des accords d’Alger, a pris du plomb dans l’aile au point d’être aujourd’hui pratiquement au point mort. Ce, dans un contexte où la méfiance semble la chose la mieux partagée entre les protagonistes dont on peut douter de la sincérité dans la mise en œuvre d’un accord qui continue de connaître des difficultés dans son opérationnalisation. Chaque partie rejetant sur l’autre, la responsabilité des blocages dans l’application dudit accord qui n’est pas loin d’être aujourd’hui, un marché de dupes. Comment, dans ces conditions, s’étonner que le processus de paix peine à connaître des avancées notables surtout quand tout porte à croire qu’au-delà de ces accords, chaque partie nourrit le secret espoir de pouvoir tirer in fine la couverture à elle-même. Dans le cas d’espèce, on peut croire que la reconnaissance, tôt ou tard, de son indépendance, reste un objectif pour la CMA, au moment où Bamako semble dans une logique d’en finir, un jour, militairement, avec une rébellion qui est en passe d’entamer sa souveraineté. Même si, pour l’heure, il est quelque peu prématuré voire présomptueux de dire si ces « exercices » de l’aviation malienne, entrent dans ce cadre, le constat est qu’en sept ans, la situation a évolué sur le terrain. Avec le retrait de la force française Barkhane dans les conditions que l’on sait, et surtout la montée en puissance de l’armée malienne qui a renforcé ses capacités opérationnelles par l’acquisition de nouveaux équipements de guerre.
En dépit de leurs divergences, les Maliens gagneraient à privilégier le dialogue
Une armée qui s’est aussi engagée dans une vaste opération de reconquête du territoire national. Bamako estimerait-elle alors le rapport de forces suffisamment en sa faveur au point de se sentir aujourd’hui en mesure de faire rentrer Kidal, de gré ou de force, dans la République ? La question peut effleurer les esprits. D’autant qu’avec le départ des forces françaises, qui étaient accusées, à tort ou à raison, par une certaine opinion, de servir de bouclier à la ville rebelle du Nord, la situation semble se présenter aujourd’hui autrement sur le plan militaire. Et la tentation peut être d’autant plus grande pour Bamako de bander opportunément les muscles, que pour les autorités successives maliennes qui ont toujours eu du mal à cacher leur exaspération face à l’insoumission des insurgés de la CMA, la question du maintien de Kidal dans la République reste une sorte de défi permanent. Mais attention à ne pas trop présumer de ses forces ! Autant dire que les ingrédients d’une reprise des hostilités sont en train d’être réunis si rien n’est fait pour sauver les accords d’Alger. Des accords qui apparaissent pourtant, aujourd’hui plus que jamais, comme un facteur capital dans la stabilisation du Mali. D’autant que le défi sécuritaire en lien avec le terrorisme, reste entier pour Bamako qui n’a pas besoin de multiplier les fronts. Et, rien ne dit qu’une éventuelle solution militaire serait de nature à étouffer pour de bon, les velléités indépendantistes des insurgés. C’est pourquoi, en dépit de leurs divergences, les Maliens gagneraient à privilégier le dialogue et la concertation en vue de parvenir à une solution durable de cohabitation pacifique. Un modus vivendi qui doit nécessairement reposer sur des bases solides. C’est dire si de part et d’autre, il faut savoir raison garder. Et travailler à s’accorder, s’il y a lieu, sur la relecture de l’accord d’Alger qui semble comporter encore bien des goulots d’étranglement, à en juger par la lenteur dans sa mise en œuvre. Il y va de l’intérêt de tous, et de la paix au Mali.
« Le Pays »