La reforme constitutionnelle envisagée par le président de la République suscite un vif débat au sein de la classe politique. Dans l’entretien ci-dessous, Tiébilé Dramé, président du Parena livre la position du « Belier », évoque la problématique du fichier électoral, l’insécurité dans l’espace sahélo sahrien…
Les Echos : Pourquoi le Parena et 31 autres partis politiques ont-ils adressé un mémorandum au président de la République sur le fichier électoral ?
Tiébilé Dramé : Parce que ces 32 partis politiques et sans doute beaucoup d’autres, veulent que les prochaines élections soient des élections organisées sur des bases régulières et transparentes. Et des élections régulières demandent un fichier électoral fiable. Ces 32 partis politiques pensent que le fichier RACE n’offre aucune garantie de transparence et n’est donc pas utilisable. Mais, ils sont également conscients qu’on ne peut pas tirer du RAVEC, 30 mois après son lancement, un fichier électoral pour organiser des élections dans les délais constitutionnels. Les 32 partis se sont adressés au président de la République pour solliciter son arbitrage en tant que garant de l’unité et de la cohésion nationales, en tant que garant de la stabilité politique dans le pays afin qu’il prenne des mesures pour doter le Mali d’un fichier électoral fiable.
Les Echos : Mais le gouvernement et certains partis ont opté pour le RACE avec ses insuffisances corrigées.
T.D : Depuis que le Comité d’experts a rendu ses conclusions le 29 juin, il n’est plus question d’option pour le Race ou le Ravec, mais plutôt d’un fichier électoral consensuel qui devra être confectionné à partir de l’existant qui sera profondément nettoyé, je l’espère, et expurgé de toutes les anomalies constatées et décriées par tous. Si le travail de nettoyage est bien fait, à la fin du jour, le nouveau fichier consensuel sera très différent de l’actuel. Les 32 partis s’apprêtent, cette semaine, à faire des propositions très précises au gouvernement pour aller vers un fichier propre et fiable. C’est là où l’intervention du chef de l’Etat sera utile pour amener le gouvernement et l’administration à accélérer la cadence et être plus attentifs aux propositions des acteurs politiques.
Les Echos : Il y a des défections dans vos rangs ! Le Cnid et L’URD se sont rétractés…
TD : Il n’ y a eu aucune défection. Le Cnid et l’URD continuent de participer aux travaux des « 32 ». Nous apporterons ensemble cette semaine notre contribution à l’amélioration du fichier. Le groupe s’est d’ailleurs renforcé par l’arrivée de nouveaux partis politiques. Notre combat est un combat pour la stabilité du pays, pour des élections crédibles et pour la légitimité des institutions issues desdites élections. Nous souhaitons qu’à l’issue du scrutin d’avril/mai 2012, le vainqueur soit reconnu et félicité par tous et que les vaincus, parce qu’il y aura des vaincus, acceptent de s’incliner sans histoires parce qu’ils auront perdu dans la transparence.
Les Echos : Que pensez-vous du projet de réformes institutionnelles ?
T.D : Après 20 ans de pratiques démocratiques, le Mali a besoin de réformes constitutionnelles et institutionnelles. Mais pas des réformes qui sont proposées et surtout pas à huit (8) mois d’une élection présidentielle cruciale. Le peu de temps qui nous sépare d’avril 2012 doit être consacré à la bonne préparation des élections. Nous n’avons presque pas de temps suffisant pour bien faire les élections….. Le Parena a dit publiquement à l’Assemblée nationale qu’il fallait renoncer à ces réformes et se concentrer sur le strict nécessaire-constitutionnel à savoir : la bonne préparation des élections pour le renouvellement des institutions de la République.
Les Echos : Vous ne souhaitez pas les réformes seulement par manque de temps ?
T.D : Pas seulement. Nous critiquons le modus-operandi du ministre Daba et de son équipe. Ils ont procédé à une vaste écoute avant de rédiger leurs propositions de réformes. Ils auraient dû présenter leurs conclusions à la classe politique et aux forces vives du pays pour recueillir leurs commentaires et amendements qui n’auraient pas manqué d’enrichir leur projet. En brûlant cette étape indispensable, en allant directement au gouvernement et à l’Assemblée nationale, ils ont fait une grave entorse à la tradition bien ancrée de processus participatif qui remonte à la Conférence Nationale et qui a été largement pratiquée sous le président Konaré et même sous l’actuel président. Le passage en force a commencé avec cette entorse. Il continue. En outre, au Parena, nous ne comprenons pas pour quelle raison le rapport du Cari remis officiellement, solennellement le 19 avril 2010 au président de la République a attendu ce mois de juillet 2011 pour être envoyé dans le circuit législatif. Nous avons perdu beaucoup de temps.
Les Echos : Et sur le fond ?
TD : Sur le fond, au lieu de corriger les anomalies et les dérives constatées tout au long de notre pratique constitutionnelle, le projet de Daba les codifie par une concentration excessive des pouvoirs, de presque tous les pouvoirs dans les mains du président de la République. Si cette réforme est adoptée, le prochain du Mali, sera un président-empereur, un peu comme le Français Louis-Napoléon Bonaparte ! Ce projet consacre la personnalisation du pouvoir, source de trop de maux sous nos yeux et autour de nous. En outre, sur la nationalité des candidats à l’élection présidentielle, comment un vieux pays d’émigration peut-il se méfier de ses enfants qui ont la nationalité d’autres pays ? Que recouvre ce repli sur soi quand notre peuple et notre pays ont toujours donné l’exemple en Afrique ?
Les Echos : A votre avis, quand est ce que le referendum aura lieu ?
TD : Je n’en sais rien. Vous me demandez trop. Posez cette question au ministre Daba ou au Premier ministre ! Ce dont je suis personnellement convaincu, c’est que, politiquement, moralement et techniquement, il est impossible d’organiser une quelconque opération électorale ou référendaire avec le fichier électoral actuel qui a été décrié par l’ensemble de la classe politique et par les pouvoirs publics. Il y aura lieu d’attendre les corrections et améliorations qui se feront à la faveur de la prochaine révision administrative des listes électorales du 1er octobre au 31 décembre 2011. Il ne peut y avoir décemment de référendum constitutionnel que l’année prochaine, c’est-à-dire… à la veille de l’élection présidentielle !
Les Echos : Plusieurs confrères ont parlé, il y a deux mois, de vos contacts avec d’autres partis politiques en vue d’une plate-forme électorale pour 2012 ?
T.D : Nous discutons en effet depuis des mois avec plusieurs partis politiques dont notamment l’Adéma, l’URD, et le RPM pour préparer l’avenir ensemble. Ce cadre à quatre s’élargira fatalement à d’autres. Notre ambition est de réhabiliter la démocratie et l’action politique en portant un homme politique et un projet politique au pouvoir en 2012. De tels objectifs vont au-delà des quatre partis qui ont initié cette discussion.
Les Echos : Le Parena a adressé un mémorandum au gouvernement sur le foncier en zone Office du Niger. Quels résultats avez-vous obtenu ?
T.D : Ce mémorandum date de février 2011. Nous nous sommes inquiétés des conditions d’attribution des terres agricoles à l’Office et avons demandé au gouvernement de rendre publique la liste des bénéficiaires de parcelles et les superficies allouées dans cette zone. Le gouvernement a réagi en disant qu’il n’avait rien à cacher. Six mois après, nous attendons toujours la publication de cette liste qui pourrait édifier l’opinion nationale sur les réalités de cette zone de production agricole. Je dois ajouter que le gouvernement a pleinement participé, aux côtés des représentants d’organisations de producteurs, à la journée de concertation que le Parena a organisée sur le sujet. Nous l’avons salué pour cet effort républicain.
Les Echos : Pourquoi un mémo sur le foncier à l’Office du Niger alors qu’il y a des problèmes telles la crise scolaire l’insécurité…
TD : Vous savez bien que nous ne nous cantonnons pas sur un sujet quelque soit son importance et que notre parti prend de nombreuses initiatives et organise des activités, prend position sur plusieurs questions d’intérêt national : l’insécurité, l’impunité, le nord, l’école, les questions agricoles, la réhabilitation de l’administration et de la justice, l’instabilité dans l’espace sahélo saharien…
Les Echos : Justement à propos de l’insécurité, que pensez-vous de la présence d’AQMI au Mali ainsi que des opérations de l’armée mauritanienne sur le territoire malien ?
T.D : Je commencerai par rappeler que la Mauritanie est notre voisin avec lequel nous avons la plus longue frontière (2.237 kms), quatre de nos huit régions font frontière avec ce pays. Il en est résulté, au fil des siècles, des liens humains et même de sang très forts entre nos deux peuples. Je tiens personnellement beaucoup au maintien de bonnes relations de voisinage, d’amitié et de fraternité avec ce pays si proche. Mais je trouve inacceptables les activités de l’armée mauritanienne sur notre territoire. Comme je pense beaucoup de mal de la présence sur le sol malien de groupes armés se réclamant d’AQMI. Cantonnée au départ dans l’Adrar des Ifoghas, AQMI est paraît-il aperçue avec une logistique renforcée sur les rives du lac Faguibine. Elle se serait installée entre Nara et Sokolo. Il semble que l’armée mauritanienne vient chez nous, avec le sentiment que nous ne faisons pas notre part du boulot contre AQMI. Notre gouvernement doit remédier à cela le plus tôt possible, en assurant la sécurité sur toute l’étendue du territoire national. Nous le pouvons. Sinon nous courrons le risque de voir les Mauritaniens s’installer durablement chez nous pour leurs impératifs de sécurité nationale.
Les Echos : Que faut-il faire ?
TD : Le moment est peut-être propice à l’instauration, au plan national, d’un dialogue fécond sur les sources de l’instabilité et de l’insécurité dans la partie malienne de l’espace sahélo-saharien et les moyens d’y remédier. La lutte contre les fléaux qui fragilisent chaque jour notre espace et notre pays ne saurait être l’apanage du seul gouvernement et des services. L’Assemblée nationale, les élus locaux, les partis politiques, la société civile et les leaders communautaires ont un rôle irremplaçable à jouer.
Les Echos : Vous pensez que les élus, les partis et la société civile ne sont pas associés à la résolution de l’insécurité ?
T.D : Si la société civile, les élus et les partis politiques étaient impliqués dans la gestion de la crise du Sahel vous l’aurez su.
Les Echos : Comment le Parena perçoit-il les derniers évènements survenus au Sénégal ?
T.D : Le 23 juin, tôt le matin, je suis entré en contact avec les leaders de l’opposition et de la société civile sénégalaises pour leur exprimer le soutien fraternel et amical du Parena et des démocrates maliens. La lutte qu’ils menaient ce jour-là à Dakar était la lutte de tous les démocrates d’Afrique. Il n’est pas acceptable de changer les règles du jeu de cette manière inique à quelques mois de l’élection présidentielle. Les Sénégalais ont raz-le bol des tripatouillages successifs de la constitution et des règles du jeu tronquées. Le recul du président Wade est une victoire des démocrates et patriotes sénégalais. C’est une victoire de la démocratie sur le continent africain. La vigilance doit être de rigueur pour déjouer de nouvelles manœuvres.
Les Echos : Et la résolution de l’UA sur la Libye ?
T D : Il est clair que l’Otan va au-delà du mandat fixé par la résolution 1973 qui consistait à protéger les populations civiles en créant « une zone d’exclusion aérienne ». Il n’était question ni de renverser le régime libyen, ni de détruire la Libye ou tuer le chef de l’Etat libyen. Le vote africain à New-York doit être conforme aux décisions prises à Malabo ou à Addis-Abeba. Tout plan de sortie de crise doit tenir compte de l’impératif d’instaurer la démocratie en Libye, car encore une fois, je ne connais pas d’Africain qui souhaite vivre sous un régime de type Jamahriya.
Propos recueillis par Denis Koné