Les craintes américaines se sont exprimées après des informations selon lesquelles le régime de Bachar el-Assad serait en train d’assembler les précurseurs chimiques nécessaires à la militarisation d’armes chimiques, vraisemblablement du gaz sarin. Considéré comme l’un des poisons les plus toxiques élaborés par l’homme, le sarin est incolore et quasi inodore. Mis au point en Allemagne en 1939 par des chercheurs travaillant sur les pesticides et utilisé dans le métro de Tokyo en 1995 par la secte Aum, ce gaz bloque la transmission de l’influx nerveux, entraînant la mort par arrêt de la respiration et du coeur. Agissant même à des doses infimes, il pénètre par les voies respiratoires ou par simple contact avec la peau.
Utilisation contre l’étranger
Selon un responsable anonyme cité par le blog spécialisé Danger Room, les Syriens « en sont au point où il suffit de le charger à bord d’un avion et de le larguer », mais les quantités de précurseurs mélangés sont « modestes ». D’où l’inquiétude, à la Maison-Blanche, que le régime syrien, « de plus en plus assiégé », « réfléchisse à l’utilisation de ces armes chimiques » contre sa propre population. Un scénario-catastrophe balayé d’un revers de main, lundi, par Damas. D’après une source au ministère des Affaires étrangères, citée par l’agence de presse officielle Sana, la Syrie a souligné qu’elle ne ferait « pas usage de ce genre d’armes, si elle en possède, contre son peuple ».
Soit exactement ce qu’avait annoncé Damas en juillet dernier, à un détail près : « Ces armes ne seront utilisées qu’en cas d’agression étrangère », avait ajouté la diplomatie syrienne à l’époque. Problème, Bachar el-Assad martèle à l’envi que les combattants de l’opposition sont tous des terroristes manipulés par l’étranger. Et comment croire sur parole la diplomatie syrienne, quand on sait que son porte-parole Jihad Makdissi vient de faire défection à Londres ?
Double bluff
« La Syrie n’utilisera pas ses armes, car cela sonnerait le feu vert à une intervention étrangère », assure au Point.fr Ely Karmon, chercheur en problématique stratégique et en contre-terrorisme au Centre interdisciplinaire d’Herzliya (Israël). Dès lors, comment expliquer les mouvements d’armes observés ? D’après le spécialiste, il s’agirait davantage d’une « réaction de survie » de la part du régime syrien. « Ils sont en train de retirer leur réservoir d’armes chimiques vers l’enclave alaouite, à l’ouest du pays, afin de se protéger contre un possible massacre. »
« C’est du bluff de la part de Bachar el-Assad », estime pour sa part Philippe Moreau Defarges (1), grand spécialiste des questions internationales à l’Ifri (Institut français des relations internationales). « L’utilisation de tels gaz est très complexe et hasardeuse. Elle peut se retourner contre son auteur en fonction du vent », explique-t-il. « Mais, si Bachar el-Assad, au bout du rouleau, faisait vraiment usage de ces gaz, cela représenterait pour le coup une ligne rouge pour le président syrien lui-même. Il signerait sa fin et ne pourrait plus trouver refuge à l’étranger. »
Un des plus gros arsenaux au monde
La Syrie n’étant pas membre de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, il n’existe aucune donnée officielle sur ses réserves. D’ailleurs, l’emballement soudain autour d’une possible utilisation de cette « arme de destruction massive » n’est pas sans rappeler celui qui a précédé la guerre de 2003 en Irak. Or, à la chute de Saddam Hussein, aucune trace de telles armes n’avait été retrouvée. « La Syrie possède l’un des plus importants arsenaux d’armes chimiques au monde », assure Ely Karmon.
Selon un rapport, établi par le Centre d’études sur la non-prolifération (CNS), la Syrie posséderait au moins quatre, peut-être cinq, usines d’armes chimiques, situées près de Damas et d’Alep, et à Hama, l’une des places fortes de la révolte populaire, rapporte l’AFP. Selon Daniel Byman, expert à la Brookings Institution de Washington, les stocks accumulés comprennent des produits traditionnels comme le gaz moutarde, largement utilisé durant la Première Guerre mondiale, mais aussi du gaz sarin et du VX, un gaz innervant mortel.
Toutefois, la Syrie n’a jamais utilisé ses armes chimiques lors de conflits, notamment pendant la guerre avec le Liban en 1982. « L’utilisation d’armes chimiques entraînerait une réaction internationale immédiate », a averti mardi l’Otan. Une hypothèse en laquelle ne croit absolument pas Philippe Moreau Defarges. « Tout d’abord, la Syrie n’ayant pas signé le traité sur l’interdiction des armes chimiques, elle n’est liée par aucun texte juridique. »
La menace d’al-Qaida
Sur le plan politique, on voit mal les États-Unis, qui sortent à peine d’Afghanistan, après avoir difficilement quitté l’Irak, engager les 75 000 soldats nécessaires au contrôle des stocks chimiques de la Syrie. D’après Ely Karmon, cet obstacle pourrait être néanmoins levé par la formation d’une coopération militaire internationale tripartite englobant les États-Unis, la Turquie et la Jordanie (ces deux derniers pays, voisins de la Syrie, accueillent de nombreux réfugiés syriens).
« À l’heure actuelle, une intervention occidentale en Syrie est trop complexe, tant en termes politiques, logistiques, qu’au niveau des conséquences imprévisibles », souligne Philippe Moreau Defarges. « Sans compter que cette menace chimique ne peut qu’accentuer la prudence des états-majors armés. En cas d’intervention, les militaires pourraient être eux aussi ciblés par les attaques. » D’après une source bien informée, la principale inquiétude occidentale réside dans le risque que les armes chimiques syriennes se retrouvent entre les mains de groupes djihadistes, liés à al-Qaida, présents en Syrie.
Toutes ces craintes ne sont pas infondées. Depuis la mort de Muammar Kadhafi, de nombreux missiles antiaériens sont portés disparus en Libye. Certains ont été retrouvés dans le nord du Mali ou dans la bande de Gaza.
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Par Armin Arefi
LePoint .fr 04/12/2012