La suspension de la diffusion ou de la publication d’un media est condamnable en démocratie, car elle entrave la liberté d’expression et entraine une privation du droit à l’information plurielle, vital pour la démocratie pluraliste. Au Mali, celle-ci a été acquise au prix d’une longue lutte dont le 26 mars 1991 a marqué un aboutissement, mais pas la fin. Ce droit est fondamental et prévu par les instruments juridiques nationaux, régionaux et internationaux.
La Constitution malienne du 25 février 1992, qui traite dans son titre premier, des droits et devoirs de la personne humaine, consacre ses premiers articles à la personne humaine, le droit de l’individu à la vie, à la liberté, à la sécurité…
Notre constitution indique à l’Article Premier : « La personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne ». Elle annonce dans l’Article 4 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion, d’expression et de création dans le respect de la loi ».
Prenant acte de la décision de suspension jusqu’à nouvel ordre, de la diffusion de la Radio France Internationale (RFI) et de la Télévision France 24 au Mali, le Réseau Media et Droits de l’Homme (RMDH) :
- Déplore la mesure de suspension de RFI et France 24 au Mali ;
- Invite France Médias Monde à dialoguer avec les autorités maliennes en vue de la levée de la suspension ;
- Rappelle le contexte* de cette suspension, qui a une histoire à ne pas occulter, afin que l’arbre ne cache la forêt.
*CONTEXTE : Le Mali est un Etat occupé au 2/3 depuis près d’une décennie. Un Etat qui cherche à se reconstruire. Les forces internationales appelées à la rescousse et en particulier la France avec Serval, puis Barkhane et Takuba, n’ont pas permis d’anéantir la nébuleuse djihadiste, qui a au contraire pris le poil de la bête, continué de s’étendre du nord au centre et au sud du Mali, avec une facilité déconcertante en présence des différentes forces.
Le chemin de cette progression des terroristes a été parsemé d’assassinats ciblés, de tueries de plusieurs milliers de civils et militaires maliens et étrangers. De nombreuses atteintes au droit à la vie ont entrainé une banalisation de la mort au Mali, dans ses parties sous occupation, sous le regard impuissant des Maliens, qui accumulent humiliation, frustration, indignation et déshonneur !
La terreur est devenue le lot quotidien des Maliens avec l’annihilation des droits fondamentaux de l’Homme (liberté d’aller et venir, liberté d’expressions et de la presse), jusques et y compris le droit à la vie, ont perdu de leur sacralité constitutionnelle et universelle. Il faut sans doute être en vie pour revendiquer sa liberté d’expression, mais là nous considérant en sursis face aux multiples visages de l’insécurité, qu’en est-il de la liberté d’expression ?
Un pays en guerre, liberté d’expression, dites-vous ?
De 2012 à nos jours, du fait de la terreur causée par les groupes armés terroristes, de la faiblesse de l’autorité de l’Etat, de l’absence de sa souveraineté sur le nord et le centre du Mali et de l’insécurité liée à cette situation, plusieurs radio ont été contraintes à la fermeture. Des journalistes ont été enlevés dont certains sont toujours portés disparus, d’autres tués sur le champ sans autres formes de procès, comme c’est le cas de nos confrères français de RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon, le 2 novembre 2013 à Kidal, où la France s’était opposée à l’entrée des FAMa. Quelles sont les circonstances de leur mort, qui en sont les auteurs et les complices proches et lointains ?
Après la suspension au Mali de France Medias monde, le Président Emmanuel Macron se pose en arbitre intrépide, sifflant la fin de la récréation dans un pays où il n’a pas d’ambassadeur depuis le 03 février 2022, signe du coup de froid diplomatique entre la France et le Mali. Le président sortant et candidat à sa succession s’érige-t-il vraiment en défenseur de RFI et de France 24? Durant son mandat qu’a-t-il réussi à élucider l’assassinat de nos confrères pour qu’enfin nous séchions nos larmes, et qu’enfin on puisse dire : « Monsieur le Président, vous avez contribué à la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes » ?
N’est-il pas temps d’arrêter la fuite en avant et l’utilisation des medias comme bouc émissaire pour atteindre ses objectifs : avoir la tête des autorités maliennes de la transition et continuer d’utiliser l’absence de souveraineté du Mali sur son territoire pour se servir durablement ? Arrêtez de nous utiliser comme bouc émissaire dans vos conflits de conquête de pouvoirs économique et géostratégique !
Journalistes de tous les pays, réveillons-nous, ne sommes-nous pas Ghislaine Dupont et Claude Verlon?
Plus chanceux que Ghislaine et Claude, certains hommes de média ont été enlevés par des groupes identifiés, tandis que d’autres sont portés disparus :
- Hamadoun Nialibouly (radio Dande Douentza, la voix de Douentza), enlevé le 27
septembre 2020 à Mandjo dans la région de Mopti, par une milice de chasseurs non identifiée, alors qu’il rentrait de Bamako après avoir participé à une formation des journalistes;
- Olivier Dubois, journaliste français vivant au Mali depuis quelques années,
correspondant des medias Le Point, Libération et Jeune Afrique, avait travaillé pour le Journal du Mali, enlevé à Gao, le 8 avril 2021 par le GSIM ;
- Moussa M’Bana Dicko (radio Dandé Haïré, la voix de Haïré) enlevé chez lui à
Boni, le 18 avril 2021 par des présumés djihadistes…
Ces victimes ont en commun de subir les affres de l’insécurité dans un contexte tel que l’Etat malien n’a pas d’emprise sur l’ensemble du territoire. Le pouvoir de transition a hérité d’un Etat failli : insécurité globale, occupation des 2/3 du territoire, conflits communautaires, arrêt de certaines activités de production économiques et des services. C’est une dégénérescence de la situation sécuritaire qui a trouvé sa rampe de lancement, dans la destruction de la Libye par les bombardements de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) et l’assassinat du président libyen Mouammar el Kadhafi le 20 Octobre 2011.
Ainsi, les informations sur les pays en guerre, comme lors de l’occupation de l’Irak en 2003 et de la Libye en 2011, qui ont permis puissances occidentales de distiller des argumentaires biaisés permettant de tuer Saddam Hussain et Mouammar el Kadhafi, sont des précédents fâcheux qui ne contribuent pas à la crédibilité des informations en période de guerre, impliquant des intérêts géostratégiques. La guerre au Mali est sans doute une de ces guerres là.
La situation sécuritaire chaotique imposa la nécessité d’un bilan des coopérations politique et militaire. Le pouvoir de transition s’efforçant de porter les aspirations du peuple malien, ne fut pas satisfait du rôle joué par certains Etats amis dont la France. Il décida de restituer au peuple malien la souveraineté nationale, telle que stipulée dans la loi fondamentale du 25 février 1992. Cela revenait à une redistribution des pouvoirs et des rôles entre le Mali et la France, et devait conduire à l’abandon des reflexes néo coloniaux. Ce partage de pouvoirs entamé n’a pu être pacifique et a conduit à:
- L’escalade verbale entre Bamako et Paris ;
- La décision de redéployer les Forces française Barkhane et européenne Takuba ;
- Le renforcement de la coopération militaire entre le Mali et la Russie ;
- Le rappel des ambassadeurs de part et d’autres du Mali et de la France;
- Les sévères sanctions de la CEDEAO, de l’UEMOA et de l’UA contre le Mali ;
- Les initiatives françaises échouées, visant à faire adopter par les NU des mesures pour appuyer les sanctions de la CEDEAO contre le Mali (vetos de la Chine et de la Russie au secours du Mali)…
Dans ce contexte, la France d’Emmanuel Macron multiplie les initiatives au niveau du Mali et au niveau international contre le pouvoir de transition du Mali, dont le pêché est de renforcer sa coopération militaire avec la Russie et de vouloir une refondation de l’Etat du Mali (sécurisation, reformes politiques, élections transparentes et crédibles, lutte contre l’impunité, la bonne gouvernance). Ce vaste programme ne va pas dans le sens de l’Elysée, qui y voit une ruse des autorités maliennes pour pérenniser la transition et le pouvoir des militaires.
Autant soucieuses de l’évolution démocratique au Mali, la France, tout comme la CEDEAO, l’UA n’ont pas été si présentes au Mali, pour jouer ce rôle de sentinelle de la démocratie, quand la classe politique malienne a accepté de s’installer dans la fraude électorale généralisée, qui a marqué les scrutins d’une élection à l’autre.
N’est-ce pas l’élection ce pilier essentiel si on veut construire une démocratie, le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple ? Si les élections sont biaisées, en quoi et par quels moyens, le peuple est-il associé au pouvoir ?
Quelle que soit l’ampleur de la fraude électorale, comme celle de mars-avril 2020, la musique est connu : « les fraudes constatées n’entachent pas la régularité des scrutins ». La France, la CEDEAO, l’UA valident tranquillement les coups d’Etat électoraux et les coups d’Etat constitutionnels, qui ouvrent grandement les portes aux coups d’Etat militaires. « Ils allument le feu, ils l’activent. Et après, ils viennent jouer aux pompiers », on a tout compris, comme dirait le chanteur Tiken Jah Fakoly.
Comme si on ignorait les causes de la présence des militaires dans une transition (qui n’est autre que la mal gouvernance des partis politiques), on active la diabolisation. Avec l’échec des forces françaises à éradiquer le terrorisme, pendant environ une décennie de présence au Mali, difficile de convaincre les Maliens sur une volonté de l’ancien colonisateur de les délivrer de ce fléau.
Les FAMa, espoir du peuple malien
En effet, tout l’espoir réside sur les Forces armées maliennes (FAMa) qui plus est, remportent des victoires sur les terroristes. Comme le confirmait le commandant de la force Barkhane, le Général Laurent Michon, lorsqu’il présentait au chef de la Transition au Burkina, le lieutenant colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, les changements liés au retrait du Mali, des troupes françaises et européennes (Barkhane et Takouba) engagés dans la lutte contre le terrorisme au sahel : « L’effet sur les groupes terroristes de l’opération kélétigui menée par les Maliens avec les mercenaires du sud vers le centre du Mali, accélère le mouvement des groupes terroristes le long de la frontière et sur le nord du Burkina », reconnait le commandant de la force Barkhane, le Général Laurent Michon.
En outre, la posture qui pousse les djihadistes à battre la retraite hors du Mali est confirmée par le commandant de la Force Barkhane, le Général Laurent Michon. Selon ce connaisseur du terrain, l’opération Kélétigui a accéléré le mouvement des groupes terroristes le long de la frontière sur le nord du Burkina et a accentué la pression sur la ville de Djibo, située dans la province du Soum et la région du Sahel à 200 km au nord de Ouagadougou.
La pression en cours, de l’Armée malienne sur les groupes armés djihadistes, lui aurait permis d’engranger une montée en puissance. Cette pression se manifeste par « la recherche et la destruction de sanctuaires terroristes dans le cadre du plan Maliko et de l’opération Kélétigui », indique le communiqué N°20 de l’état-major général des armées, en date du 9 mars 2022. C’est dire que les FAMa traversent une période difficile où elles ont le plus besoin d’un moral au beau fixe.
Au même moment « des allégations d’exactions des FAMa contre des civils, des violations des Droits de l’Homme et du Droit International Humanitaire », surgissent. L’Institution Nationale de défense, de promotion des droits de l’homme et de la protection, la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH), dans son rôle a, dans un communique n°005-2022/CNDH-P du 21 mars 2022, déclaré suivre « avec inquiétude, et exprime sa vive préoccupation par rapport aux allégations de violations des droits humains, notamment celles relatives à la découverte d’une trentaine de corps sans vie, le jeudi 03 mars 2022, dans le Cercle de Niono, Région de Ségou et diffusés sur les réseaux sociaux ». La CNDH rappelle « l’obligation pour l’Etat de respecter et faire respecter les droits fondamentaux de toute personne résidant au Mali ; prend note du communiqué n°016 de l’Etat-Major des Forces Armées du 05 mars 2022 portant un démenti auxdites allégations ; du communiqué n°023 du Gouvernement de la Transition du16 mars 2022 et de la Lettre n°2022-029/AMW/DC de l’Ambassade du Mali à Washington du 14 mars 2022 ; invite, toutefois, les autorités à l’ouverture d’une enquête indépendante et diligente, en vue de faire la lumière sur les différentes allégations ».
Le communiqué n°023 du gouvernement de la Transition, auquel a fait référence celui de la CNDH évoque « une déclaration de Mme Michelle Bachelet, Haute-commissaire des Nations Unies aux Droits de l’homme, le 08 mars 2022 ; un rapport de Huma Right Watch, le 15 mars 2022 et un reportage de la Radio France internationale (RFI, le 14 et 15 mars 2022 ». Ces documents évoqués traduisent cependant des allégations graves, qui ne sont établies qu’à la faveur d’enquêtes indépendantes. Celles-ci visent à établir la réalité des faits, traduire en justice les éléments présumés responsables, s’il y a lieu, punir les coupables.
« En droit de l’homme, la responsabilité principale de respect et de protection repose sur L’État qui doit assurer le respect des droits humains de toute personne résidant sur le territoire de sa juridiction, ouvrir des enquêtes sur les allégations de violations des droits de l’Homme. Les faits sont confirmés ou infirmés par le résultat d’enquêtes. Le contexte ne devrait pas empêcher le respect des droits de l’homme encore moins justifier le non respect des droits humains. Le Droit International Humanitaire (DIH) est le droit de la GUERRE », a déclaré Aguibou Bouaré, président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (Institution Nationale).
Pour des Maliens, qui ont soif de sécurité et qui vivent avec la mort comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête, les accusations d’exactions des FAMa contre les civils n’ont eu aucune chance d’être comprises. Au-delà de la pression soutenue sur les groupes armés djihadistes, les récentes libérations d’otages, à l’actif des FAMa, dont certains avaient passé des années de captivité aux mains des djihadistes, ont contribué à renforcer les relations de confiance entre le peuple malien et son armée. En effet, plusieurs civils et militaires pris en otage par des djihadistes, bien avant la transition, ont été libérés à l’actif du colonel Assimi Goïta :
- Sophie Pétronin, une Française enlevée le 24 décembre 2016 ; Soumaila Cissé, enlevé le 25 mars et deux Italiens Nicola Chiacchio et Pier Luigi Maccali ont été libéré le 8 octobre 2020 par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) d’Iyad Ag Ghali ;
- Soeur franciscaine Gloria Cécila Narvaez Argoti, originaire de la Colombie, enlevée le 7 février 2017 à Karangasso dans le sud-est du Mali, a été libérée samedi 9 octobre 2021, après quatre ans de captivité ;
- Trois employés chinois de l’entreprise de construction COVEC, kidnappés le 17 juillet 2021 sur l’axe Nara- Kwala, dans la région de Nara, au sud-ouest du pays, libérés le 1er novembre 2021 ;
- 18 otages dont 17 militaires enlevés par des groupes armés, ont été libérés en fin février 2022, reçus par le président Assimi Goïta. La télévision nationale a montré les images de cet évènement. Certains d’entre eux étaient en otage depuis 2019.
Ces efforts de sauvetages peuvent ne pas suffire pour conclure que les FAMa agissent avec professionnalisme et sont respectueuses des droits humains, une quête de tous les jours.
Aussi, des erreurs comme les frappes de la force Barkhane le 3 janvier 2021 près du village de Bounti dans le centre du Mali – où un rassemblement « très majoritairement composé de civils » participant aux célébrations d’un mariage ont été bombardés, pris pour des djihadistes – n’ont certainement pas suffit pour déduire qu’il s’agit de violation des Droits de l’Homme et du Droit international Humanitaire, d’exactions sur des civils. Ces regrettables erreurs d’appréciations, sans être pardonnables, rappellent qu’une armée peut ne pas être exempte de tout reproche, qu’il peut arriver qu’elle commette des bavures. Néanmoins, les tueries de civils à Bounti, démenties par les forces et les autorités françaises, ont été confirmées et documentées par une enquête des Nations-Unies (DDHP-Minusma). Des enquêteurs de la Mission des Nations Unies au Mali (MINUSMA) concluent dans un rapport publié le 30 mars 2021, que la force française Barkhane a frappé un rassemblement « très majoritairement composé de civils », le 3 janvier 2021 près du village de Bounty.
Les auteurs devraient normalement répondre de leurs actes. Mais quand un accord de coopération militaire rend responsables les Maliens, des fautes commises par les Français au cours des opérations en territoire malien, comment savoir le sexe des anges ? Il faut bien être ingénieux pour éteindre un incendie qui s’allume sous le fleuve Djioliba !
En l’espèce et en définitive, on convient que la situation n’est pas normale, que le Mali est sur un champ de reconquête, un chantier de reconstruction. Le Mali est en guerre, et un pays en guerre engage tous ses dignes fils sans considération d’appartenance régionale, religieuse, ethnique politique ou professionnelle. Le Mali est en guerre pour sauver la patrie du risque de disparition.
Bamako, le 25 mars 2022
Pour le RMDH/ Le Président
Boukary Daou