L’ancien Premier ministre Moussa Mara sort de silence pour évoquer sa visite à Kidal à son séjour à la Primature. Il répond indirectement au chef de l’Etat Ibrahim Boubacar Kéita. Sur les réseaux sociaux, il dénonce ses détracteurs de n’avoir tenté aucunement d’aller à Kidal. Des propos qui réveillent de vieux démons.
« Comme vous le savez, je suis sur le réseau et observe donc les échanges. Je n’interviens pas souvent mais, quelques fois, cela s’avère nécessaire, comme dans le cas présent au sujet des débats sur Kidal et mon déplacement dans cette région.
Je ne souhaite pas polémiquer avec qui que ce soit mais je me dois, au-delà des positions politiques et partisanes, d’essayer d’éclairer si cela était encore nécessaire, les personnes de bonne foi qui sont sans doute majoritaires sur le réseau.
1. Pendant notre séjour à Kidal, nous n’avons jamais demandé ou bénéficié de protection de Serval et nous n’avons jamais eu affaire à eux, deux de leurs hélicoptères étaient constamment dans le ciel de la ville, sans aucun rapport avec nous. Sur le sol, j’ai refusé le véhicule blindé de la Minusma pour emprunter la Prado du gouverneur avec ce dernier, pendant tous les trajets, y compris à notre entrée dans le gouvernorat sous le feu des groupes armés.
J’ai refusé de passer la nuit dans le camp de la Minusma quand cette dernière nous l’a proposé et, avec les ministres et le reste de la délégation, nous avons passé cette nuit du 17 au 18 dans le camp 1 sous la protection des forces maliennes. À un moment donné, vers minuit, quelques forces de la Minusma, sans que nous l’ayons demandé encore une fois, sont venues se poster aux alentours du camp de l’armée malienne. Le matin, nous avons quitté le camp de l’armée malienne, sous escorte des forces maliennes et de celles de la Minusma pour aller prendre l’hélicoptère et venir à Gao. De nombreux témoins existent et peuvent attester ce que je viens d’écrire.
2. Quant à la visite à proprement parler et de ce qui a suivi
a. Le principe de ce déplacement a été soutenu par tout le pays, je rappelle que le député Mody Ndiaye de l’opposition a été parmi les premiers à me demander à l’Assemblée nationale quand est-ce que je partirais à Kidal, c’était à l’occasion du débat sur la déclaration de politique générale à la fin du mois d’avril 2014,
b. Le but principal de notre déplacement, je le rappelle, n’avait rien à voir avec le processus politique ou les négociations, mais était, comme on l’a fait à Sikasso ou Tombouctou, de nous entretenir avec les administrateurs et les agents de l’Etat, pour nous enquérir de leur situation, apprécier les moyens dont ils ont besoin pour travailler toujours mieux au service des Kidalois qui sont des Maliens comme les autres,
c. Nous avons prévenu tout le monde de ce déplacement, mais ce que je me suis refusé à faire et que je ne ferais pas, c’est de demander la permission de me déplacer à qui que ce soit, en tant que Premier ministre agissant sur instructions du chef de l’Etat, sur une partie du territoire national reconnue comme telle par tous, notamment les groupes armés qui avaient signé les accords de Ouagadougou, accepté les élections présidentielles à Kidal et participé, certains d’entre eux, aux élections législatives de 2013,
d. Deux semaines avant notre arrivée, le chef d’état-major général des armées avait fait un déplacement dans toute la région, y compris à Kidal, et n’avait rencontré aucun problème ; personne parmi ceux qui ont eu la charge de préparer notre visite ne nous ont pas informé de menaces armées sur notre visite (je l’ai dit plusieurs fois à l’Assemblée et sur les ondes, sans jamais être démenti) et les risques rapportés (envahissement de la piste d’atterrissage, jets de pierre, insultes) ont été gérés par des attitudes prudentes pendant notre visite (on est arrivé par hélicoptère, on a évité d’entrer dans la ville pour éviter les femmes et les enfants et donc les risques de confrontation avec eux…),
e. Les hostilités ont été ouvertes par les groupes armés présents à Kidal qui ont attaqué le gouvernorat pendant que nous y étions, ont poursuivi leurs attaques au moment et après notre départ, ont pénétré dans l’enceinte du bâtiment, tué froidement des administrateurs et des civils présents et fait des otages en maintenant le gouvernorat sous leur contrôle,
f. Les Forces armées maliennes ont tenté dès le 17 mai de reprendre le gouvernorat, ont ressayé encore le 21 mai et ont échoué dans cette tentative, entraînant un fort recul dans leur occupation territoriale au nord avec des pertes en vies humaines. Je comprends et je soutiens l’initiative des forces armées pour récupérer le symbole de souveraineté qu’est le gouvernorat. Je trouve tout à fait normal qu’elles agissent de la sorte en tant que soutien principal de l’Etat et défenseur de son intégrité et de sa souveraineté. Elles ont perdu, certes mais c’est la réalité des conflits, on gagne ou on perd. Si elles avaient gagné ce jour-là, beaucoup de discussions faites après auraient sans doute changé de sens.
3. J’ai toujours compatis à la douleur de ceux qui ont perdu un proche ce jour-là ou qui ont été blessés. J’ai prié et je prie pour le repos de l’âme des disparus pour la cause du Mali, de véritables martyrs comme ceux d’Aguelhok, de Ménaka… ou encore d’aujourd’hui Gao, Hombori… Mourir pour son pays, en le défendant ou en l’aidant est l’une des plus belles morts qui puissent être. Je ne me suis pas contenté de déplorer les morts et les blessés, j’ai engagé et je continue de le faire de nombreuses actions de soutien aux familles, dans la discrétion, comme je le fais depuis plus de 15 ans au bénéfice de nos compatriotes vivant difficilement. Cela n’est pas un motif de fierté, mais simplement un devoir de citoyen que je me donne.
4. Je ne me suis jamais excusé de quoi que ce soit dans ce dossier et je ne le ferais pas. Je ne me reproche pas de fautes pour m’excuser. Là également, ce n’est pas une bravade ou une indécence comme le dirait quelqu’un, mais simplement une attitude logique. J’ai fait mon devoir de responsable public en mission pour les populations et travaillant selon des principes républicains. Si je devais le refaire, je le referais évidemment, sans provoquer qui que ce soit, mais en agissant avec détermination pour ce que j’estime être l’intérêt du pays et son honneur.
5. Je ne suis pas un va-t-en-guerre comme on a voulu m’étiqueter, je ne suis pas contre une partie de la population malienne non plus comme certains ont voulu me classer.
Ceux qui suivent mes écrits depuis une dizaine d’années (contrairement à beaucoup, j’écris et donc mes idées sont souvent connues) peuvent situer ma position et ma ligne en ce qui concerne notre pays et qui se traduit largement dans les accords de paix et de réconciliation d’Alger : un pays servi par un Etat qui s’adapte aux diversités humaines et territoriales, qui sert les citoyens de manière équitable et qui donne sa place à chaque individu quels que soient la couleur de sa peau, ses croyances, son genre, son ethnie ; un pays servi par un Etat bien géré par des responsables exemplaires. Je me bats pour cela et je continuerais à le faire sans sourciller. Ceux qui persistent à m’attaquer sur la question de Kidal l’ont bien compris et leur extrémisme dans les propos traduit en réalité leur désarroi.
6. J’ai enfin dit que je suis un justiciable comme n’importe lequel d’entre nous, je reste disponible pour répondre devant n’importe quelle juridiction au sujet de ce dossier ».
Moussa Mara