Comment la Chine a mis l’Afrique à ses pieds grâce au «financement
contre ressources»…
Pillage des richesses, nouveaux liens de dépendance, entretien de la
corruption, catastrophes écologiques, prises de contrôle dans les
médias… Telle est la trame de fond de «Chine-Afrique : le Grand pillage»
de Julien Wagner. Du «rêve chinois» au «cauchemar africain ?»,
s’interroge ce journaliste pour «Le Courrier de l’Atlas» et «Le Progrès»
réputé être passionné par la Chine et fin connaisseur de l’Afrique. A le
lire, même en diagonal, tous les ingrédients de ce cauchemar africain
sont réunis. En effet, à travers les multiples exemples qui illustrent son
ouvrage, l’auteur dévoile «l’ampleur et les dérives d’une implantation
protéiforme sur un continent au formidable potentiel de croissance». En
filigrane, se dessinent «les ressorts de la stratégie chinoise et de son
ambition géopolitique».
En plaçant son mandat sous le sceau du «rêve chinois» en 2012, Xi Jinping
(Secrétaire général du Parti communiste chinois) mettait en exergue son
ambition de faire de l’Empire du milieu la première puissance mondiale… Et,
pour Julien Wagner «l’Afrique est le moyen pour y parvenir». Pourtant, il y a
vingt ans, lit-on dans le livre «Chine-Afrique : le Grand pillage» de cet auteur,
«la Chine était une valeur négligeable en Afrique». Mais, aujourd’hui, elle est
certainement la puissance la mieux implantée sur le continent berceau de
l’humanité. La preuve ? Un sondage réalisé par l’Ichikowitz Family Foundation
(IFF), une fondation sud-africaine, auprès de 5604 jeunes originaires de 16
pays africains confirme que la République Populaire de Chine (RPP) est
aujourd’hui la puissance étrangère la plus influente en Afrique.
N’empêche que l’Afrique pour les Chinois, écrit Julien Wagner, «n’est pas un
objectif, mais plutôt un moyen essentiel de sa puissance, de sa prospérité». Et
de préciser que «l’intérêt pour les matières premières, dont regorge le
continent africain, en est l’explication majeure. La fragilité de la Chine est
qu’elle n’a ni indépendance énergétique, ni autosuffisance alimentaire, ni
indépendance minérale. Trois handicaps qui pourraient s’avérer déterminants
dans la quête de la suprématie mondiale». Et naturellement que les dirigeants
chinois comptent beaucoup sur l’Afrique pour «compenser ces déficits
préoccupants».
Cela d’autant plus que le continent africain pourrait receler, d’après les
estimations, entre un tiers et la moitié des réserves des ressources naturelles
de la planète. De quoi aiguiser les appétits à Beijing. Ce n’est pas en tout cas
surprenant que les échanges économiques entre la Chine et les pays africains
soient passés de 12 milliards de dollars en 2 000 à 200 milliards de dollars en
2012. Depuis 20 ans, «la Chine prend pied en Afrique, exploitant ses
ressources tout en vendant ses marchandises à bas coût», rappelle Julien
Wagner dans son œuvre qui se veut au-dessus de tout critique partisan. «Des
prêts tous azimuts soutenus par de gigantesques entreprises d’État
chinoises» ! Telle serait ainsi la méthode utilisée par les héritiers de Mao
Zedong pour supplanter les autres puissances sur notre continent, notamment
les Etats-Unis et l’Europe capitaliste.
Néocolonialisme ? Impérialisme ? Toujours est-il que, «mue par un appétit
insatiable, Pékin semble ne reculer devant rien pour atteindre ses objectifs»,
dénonce l’auteur. Pillage des richesses, nouveaux liens de dépendance,
entretien de la corruption, catastrophes écologiques, prises de contrôle dans
les médias… Toujours est-il que la Chine et les Chinois ont investi l’Afrique à
une vitesse et avec une facilité déconcertantes. Une réussite qui subjugue
autant les entrepreneurs africains qu’elle inquiète les chancelleries des
anciennes puissances coloniales et jusqu’à la Maison Blanche. Certes, les
Occidentaux n’ont que ce qu’ils méritent car ils ont «abandonné» l’Afrique
comme un «no man’s land». Et Pékin est entré en scène en jouant sur le
contraste entre un Occident condescendant, colonialiste et sentimentaliste, et
une Chine fraternelle, anticolonialiste… Le «business minded» (le sens des
affaires) a fait le reste.
Une force de frappe financière qui dompte les concurrents en Afrique !
Sauf que, pour Julien Wagner, «ce contexte historique et ces caractéristiques
culturelles demeurent bien insuffisants pour expliquer la fulgurance des prises
de position chinoises en Afrique. Manque l’essentiel, le nerf de toute guerre et
de toute conquête : l’argent ! C’est là, dans le financement, dans ce flot
ininterrompu de renminbis (Yuan), que réside le secret et qu’apparaît aussi,
avec la plus grande clarté, la stratégie africaine de l’Empire du milieu».
Selon lui, il est un classement que la Chine domine de la tête et des épaules
depuis de nombreuses années maintenant : celui des réserves de change !
Ces réserves sont les actifs détenus en devises étrangères ou en or par la
Banque centrale de Chine (ou Banque populaire de Chine/BPC). Son montant
est tout bonnement astronomique : 4 000 milliards de dollars (le livre date de
2014) ! A titre de comparaison, les réserves cumulées des banques centrales
de l’Eurozone atteignent à peine les 800 milliards de dollars (en 2014) ; quand
la FED, la Banque centrale des États-Unis d’Amérique, ne détient «que» 150
milliards de dollars. Sur ces 4 000 milliards, près de 40 % sont détenus sous
forme de bons du Trésor américains…
Cette réalité faisait dire aux économistes que la République populaire de
Chine (RPC) possédait et possède toujours une mine d’or sous son matelas.
Elle est l’État du monde qui possède de très loin «l’épargne» la plus grande,
lui conférant par-là même la plus grande capacité d’investissement. D’autre
part, les actifs en sa possession sont surreprésentés sous une forme
particulière (bons du Trésor américains). Et, enfin, tout investissement qu’elle
opère sera comparé à l’aune de la rémunération (2,5 %) de cet actif principal.
Cette puissance financière demeure l’arme la plus puissante pour la Chine
dans sa conquête de l’Afrique, l’alpha et l’oméga de la «sécurisation» des
matières premières africaines. Contrairement aux banques occidentales qui
sont privées, toutes les grandes banques chinoises (Bank of China,
Agricultural Bank of China, Industrial and Commercial Bank of China, China
Construction Bank…) sont publiques. Elles sont donc directement
subordonnées au Conseil des affaires d’État, l’organe administratif suprême
du pouvoir chinois et partie intégrante de la politique stratégique chinoise.
Pour investir, l’Exim Bank peut par exemple s’appuyer à loisir sur… les
réserves de change de sa Banque centrale. Autant dire que ses capacités de
financement sont quasi infinies. Le rôle qui va lui être dévolu est assez simple
: prêter à l’import et à l’export, en particulier en Afrique ! En d’autres termes,
elle finance les entreprises chinoises qui investissent en Afrique et les
entreprises africaines qui achètent chinois.
Le FOCAC, un «hub» de distribution de prêts à grande échelle
Mais, cet outil n’est pas suffisant. Il lui manquait toute la mécanique politique
permettant la distribution de prêts à grande échelle, un «hub» que le pouvoir
n’a pas tardé pas à lui offrir. En effet, en 2000, la RPC organise pour la
première fois la grand-messe du partenariat Chine-Afrique : le Forum sur la
coopération sino-africaine (FOCAC, dont la 9 édition s’est tenue du 4 au 6
septembre 2024 à Beijing). Un rendez-vous qui, depuis, se reproduit tous les
trois ans et où se pressent la quasi-totalité des dirigeants africains. Ceux-ci
viennent y chercher des financements qu’ils devaient jusqu’alors quémander
au FMI ou à la Banque mondiale en se soumettant en échange aux exigences
de «bonne gouvernance» et au contrôle occidental. Le Focac va leur offrir
l’alternative inespérée au sein de laquelle les contreparties vont leurs sembler
bien moins intrusives et les moyens octroyés davantage en adéquation avec
leurs ambitions.
Très vite, ce rendez-vous devient incontournable et les montants alloués sur
trois ans par l’État chinois doublent quasiment à chaque sommet. En 2006 (à
Pékin), 5 milliards avaient été accordés à l’ensemble des protagonistes. Cette
année (2024), 50 milliards de dollars ont été promis par Pékin pour les trois
ans à venir, dont 29 milliards de prêts, 11 milliards d’aide et 10 milliards
d’investissements. Soit 10 milliards supplémentaires comparativement au
sommet de 2021 marquant ainsi un effort notable de la Chine vis-à-vis du
continent. Ce montant peut également être comparé à celui des États-Unis
qui avaient promis 55 milliards de dollars en 2022.
En plus, la Chine s’est engagée à importer pour 300 milliards de dollars de
marchandises en provenance d’Afrique entre 2022 et 2024. Elle a également
offert 10 milliards de dollars pour améliorer la qualité des exportations
africaines et une ligne de crédit de 10 milliards de dollars pour aider les petites
et moyennes entreprises à exporter des produits de haute qualité sur les
marchés chinois. Pour les observateurs, le type de prêt contracté auprès de la
Chine est appelé «financement contre ressources». Il constitue la majorité des
financements de la Chine en Afrique.
Au cours des sommets du Focac, les représentants chinois rencontrent les
représentants africains, et les parties s’accordent sur l’obtention de prêts qui
seront ensuite validés par le ministère du Commerce de la RPC (MOFCOM).
C’est alors qu’intervient l’Exim Bank pour débloquer l’argent et le confier aux
entreprises chinoises concernées. Parallèlement, le pays africain demandeur
donne les autorisations nécessaires à l’entreprise chinoise. Par exemple, à
une entreprise pétrolière il est donné un droit de prospection ou de forage ; à
une entreprise de BTP des droits de construction…
Au finish, la Chine prête à la Chine. Et tout le deal est contenu dans les
contreparties, c’est-à-dire dans les infrastructures que les Chinois seront tenus
de construire en échange des matières premières extraites.
Hamady Tamba
«Chine Afrique, le grand pillage Rêve chinois, cauchemar africain ?» !
(128 pages-EYROLLES-128 pages, parution le 06/11/2014)
Au-dessus de toute prise de position idéologique Est-ouest
«Chine-Afrique : le Grand pillage» de Julien Wagner est un ouvrage sur lequel
nous sommes tombés par le hasard de nos lectures alors qu’il date quand
même de 2014. Il a d’abord suscité chez nous la méfiance parce que,
généralement les positions des Occidentaux sont loin d’être positives quand il
s’agit de parler de l’Afrique ou de la République populaire de la Chine (RPC).
Mais, la démarche de l’auteur est axée sur une documentation bien fournie
pour argumenter ses affirmations. Une démarche journalistique car basée sur
les faits, les événements, les chiffres… Quand on voit le parcours de l’auteur,
difficile d’être surpris par sa démarche.
Après des études en économie internationale, Julien Wagner a intégré l’Institut
des relations internationales et stratégies (think-tank français) avant de se
consacrer au journalisme. Il rédige aujourd’hui pour «Le Courrier de
l’Atlas» et «Le Progrès». Un tour du monde le conduira plus tard à porter un
regard neuf sur l’épineux problème des banlieues françaises et sur ses
implications politiques.
En 2012, Julien a publié son premier livre, «La République aveugle. Origines,
ségrégation, délinquance» (Editions de l’Aube). Dans cette œuvre, il démontre
que les belles et nobles valeurs de la République sont aujourd’hui désuètes
car hors d’atteinte pour une partie de la population. Paraphrasant Michel
Wieviorka, il appelle les Français «à dépasser les termes du débat qui s’est
installé en France depuis un bon quart de siècle» !
Passionné par la Chine et fin connaisseur de l’Afrique, Julien Wagner n’a pu
qu’être témoin de l’avancée de la Chine en Afrique durant les décennies 90-
2000. Ces interrogations lui ont inspiré en 2014 son 2e livre intitulé
«Chine/Afrique : Le grand pillage. Rêve chinois, cauchemar africain ?». Il y
cherche à démontrer, au moyen de multiples exemples, comment la Chine voit
dans le continent africain un formidable potentiel de croissance permettrant à
Xi Jinping (Secrétaire général du Parti communiste chinois) d’accomplir son
objectif, de réaliser son «rêve chinois» : devenir la première puissance
mondiale et devancer les Etats-Unis !
Pour l’auteur, le «nouvel ordre mondial» post-guerre froide a mis l’Afrique à un
rang marginal, submergée par des conflits sans fin suite au départ des
«marionnettistes» (puissances en concurrence pour contrôler les richesses
des Etats africains) qui a donné naissance à une période référée comme la
«décennie perdue».
«Le grand mérite du livre de Julien Wagner, sur un sujet à la fois essentiel et
sensible, est d’éviter une approche idéologique pour préférer poser les termes
du problème et laisser le lecteur faire son opinion. Il ne se lance ni dans un
réquisitoire, ni dans un plaidoyer unilatéral. Il expose le fait et appelle à une
réflexion équilibrée», indique Pascal Boniface (auteur de la préface),
fondateur et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques.
Et c’est cela qui nous a également beaucoup séduit dans sa démarche
littéraire !
H.T
Diasporaction.fr