En effet, la déclaration, il y a quelques années, du président de la République, Amadou Toumani Touré, de reconnaître un chef d’opposition qui aura droit à rang de ministre, a donné lieu à l’ouverture d’une compétition entre les partis politiques.
La course, qui mettait ainsi aux prises des partis politiques (Rpm, Parena, Sadi) pour animer une vraie opposition digne de ce nom, voire pour arracher le statut du principal opposant, figure de proue appelée à être tenue en haute considération par le pouvoir, est en train de connaître son épilogue. Pour cause : après la formation du gouvernement de Mariam Kaidama Sidibé, seul le parti Sadi de Cheick Oumar Sissoko et de Dr. Oumar Mariko peut désormais prétendre incarner l’opposition dans notre pays. Il est ainsi fondé à demander au Parlement de lui attribuer le statut d’opposition au terme des dispositions de la loi n° 00-047 du 13 juillet 2000. Est-il encore besoin de le rappeler que la démocratie malienne, obtenue dans un bain de sang, n’a toujours pas connu une opposition digne de ce nom capable de résister aux contingences des saisons politiques et qui a pu œuvrer aux conditions optimales à même de réaliser l’alternance politique. De 1992 à nos jours, nul parti politique n’a pas pu légitimement asseoir son statut d’opposition parce que, tout simplement, toutes les formations politiques sont plus ou moins restées dans les allées du pouvoir qui, seul, peut octroyer des maroquins.
A commencer par le Coppo (Collectif des partis politiques de l’opposition), regroupement de partis politiques ayant vu le jour à la suite du ratage électoral lors du scrutin présidentiel du 13 avril 1997. Le Coppo, qui a un temps incarné l’opposition radicale en ne reconnaissant pas les institutions de la République, était même allé jusqu’à menacer de mettre en place d’autres institutions parallèles, donc au flanc de celles d’Alpha Oumar Konaré et d’Ibrahim Boubacar Keïta. La fermeté de ce dernier en sa qualité de Premier ministre, avec parfois des agissements répressifs, a fini par décourager et démoraliser les leaders du Coppo qui durent abandonner leurs velléités. Ensuite, le FDR, qui surgit pourtant comme un lion blessé décidé à rendre gorge à la partie d’en face, n’a allumé qu’un feu de paille. Vite, il a commencé par somnoler pour tomber bientôt dans une agonie qui aura duré trois années, même s’il s’est brusquement réveillé un moment par le biais de deux groupes parlementaires d’opposition : Rpm et Parena-Sadi. Le Fdr, qui vient de rendre l’âme, cette fois-ci pour de bon semble-t-il, après la rentrée du Rpm et du Parena dans le gouvernement de Mme Cissé Mariam Kaïdama Sidibé. Cette situation n’est pas sans précédent. Elle rappelle l’entrée du Cnid et du Rdp, véritables partis d’opposition à l’époque, dans le gouvernement d’Abdoulaye Sékou Sow au prétexte de la gestion consensuelle du pouvoir. Dans les deux cas, le geste qui conduit les partis dits de l’opposition à entrer au gouvernement révèle de leur part sinon la lassitude, du moins l’essoufflement qui peut revêtir plusieurs habillages. Par ailleurs, la forme consensuelle de gestion du pouvoir à laquelle ils adhèrent, est très contestable car, outre qu’elle tue l’opposition, elle s’avère en plus contraire à la démocratie qui est un système où l’opposition doit exister et exercer sa fonction tribunicienne et son rôle d’alternative pour accéder au pouvoir et mettre en œuvre son programme.
En bref, on peut soutenir que le renouveau démocratique, même s’il a au Mali consacré l’entrée de l’opposition dans l’espace parlementaire, est resté très limité puisqu’il n’a pas permis à l’opposition de s’affirmer. Certains observateurs politiques attribuent cette faiblesse à l’absence d’institutionnalisation du rôle de l’opposition. N’est-il donc pas temps que la loi reconnaissant le statut de l’opposition soit appliquée dans toute sa rigueur ?
Qu’entend-t-on par statut de l’opposition ?
On entend par statut de l’opposition l’ensemble des règles définissant les droits et les devoirs de l’opposition considérée comme un élément essentiel de la démocratie et du jeu républicain.
Entendu ainsi, on peut dire que de même que tout Etat a une constitution, qu’elle soit écrite ou coutumière, de même toute démocratie pluraliste doit avoir un statut de l’opposition, que celui-ci soit principalement coutumier, dispersé dans plusieurs textes (constitution, règlement intérieur de l’Assemblée, autres lois), ou consigné dans un document écrit et unique.
La Grande Bretagne constitue un exemple de statut de l’opposition principalement coutumier.
Ainsi, dans son livre sur le régime politique britannique, M. André Mathiot déclare dans son avant-propos : « S’il fallait choisir un critère unique de la démocratie libérale, nous opterions pour celui que l’on peut trouver dans la situation faite à l’opposition ».
La situation privilégiée de l’opposition en Grande-Bretagne tient à la fois dans la confiance mutuelle entre les deux partis et dans le rôle qu’elle remplit tant vis-à-vis de la majorité que vis-à-vis de l’électorat.
Les préalables à un statut consensuel de l’opposition
La démocratie pluraliste, telle qu’elle se répand sur la surface du globe, est une invention de l’Occident. Dans les démocraties occidentales, les notions de majorité et d’opposition ainsi que leurs relations dans le cadre d’un jeu démocratique supposent des élections libres, sincères, démocratiques dont les résultats sont acceptés par les partis. C’est parce que cette condition n’est pas remplie par le Mali et aussi par beaucoup de pays africains qu’un statut de l’opposition parlementaire, même s’il en existe, risque, faute d’application et d’opposition digne, de rester lettre morte. L’organisation d’élections libres, démocratiques et transparentes est donc le premier préalable à l’adoption d’un statut consensuel de l’opposition. Ajoutons que ces éléments doivent être organisés conformément à une loi électorale qui recueille l’assentiment des principales forces publiques du pays.
Aussi, une véritable campagne d’éducation des leaders politiques et des masses est nécessaire afin que chacun comprenne qu’à défaut d’être des adversaires, majorité et opposition doivent être des partenaires compréhensifs. Que leurs relations doivent être régies par les principes souvent érigés au rang de valeurs respectables : concurrence en vue de la conquête du pouvoir, ce qui demande surtout à la majorité de comprendre que l’opposant n’est pas un criminel, un bandit de grand chemin, mais un honnête citoyen qui exerce un droit reconnu par la constitution ; tolérance dans son exercice…
L’éducation politique des leaders des partis politiques et des masses et l’établissement de listes et cartes électorales fiables constituent le second préalable à l’adoption d’un statut de l’opposition.
L’opposition et la majorité doivent en outre comprendre que leurs querelles intéressent peu le peuple, que celui-ci n’aspire qu’à la satisfaction de ses besoins essentiels qui ont pour noms : la faim, la soif, la pauvreté, l’alphabétisme, l’exclusion, la santé…
La démarcation du parti Sadi de toutes les actions du pouvoir lui vaudra-t-il le statut de l’opposition au vrai sens du terme ? Dans tous les cas, il est temps que le président de la République, Amadou Toumani Touré reconnaisse un chef de l’opposition comme il l’a toujours laissé entendre.
Moussa Touré
Le National 26/04/2011