La vérité selon laquelle une révolution ne s’accompagne que très rarement de lendemains qui chantent s’est donc tout particulièrement vérifiée pour Mars 1991. L’épopée de ce tournant majeur dans la vie de notre pays n’a jamais été réellement écrite.
Serait-ce vraiment faire injure à la démocratie africaine que de la considérer aujourd’hui comme une survivante ? Car en deux décennies et demie, presque rien ne lui a été épargné dans la plupart des pays qui au tout début des années 1990 se sont éveillés à l’ouverture politique. Le chemin africain de la démocratisation a d’abord multiplié les méandres à travers l’organisation de conférences nationales dont bon nombre, pâles copies de l’innovation béninoise, ont abouti à des issues soigneusement encadrées et ont, pour l’essentiel, servi d’alibi aux pouvoirs anciens désireux de changer pour mieux rester les mêmes.
Ce chemin s’est transformé un peu plus tard en un parcours labyrinthique jalonné par une inflation d’ « innovations » mirifiques prétendument mises au service de la transparence et qui ont transformé notre continent en laboratoire, puis en cimetière de chimères institutionnelles. Ce chemin aborde depuis quelques années le territoire du « ré accommodement » des textes afin, prétendent les inspirateurs, de gérer des situations très particulières. La démocratie en Afrique connaît en fait un destin paradoxal. Aucune autorité en place n’en dénigre ouvertement les exigences, mais nombreuses sont celles qui en plient les règles aux impératifs des « spécificités nationales ». Il est vrai qu’en un quart de siècle, la conjoncture mondiale a bien évolué. La vigilance pointilleuse que démontraient initialement les maîtres penseurs occidentaux s’est transformée au fil du temps en un jugement à la carte : sévère pour les Etats dépourvus de tout intérêt géostratégique, nuancé pour les alliés indispensables à ménager.
Rien ne sert, en effet, aux prescripteurs de se montrer intransigeants sur le respect de certains grands principes alors qu’il se constate que ces derniers se trouvent fréquemment battus en brèche par les réalités sociopolitiques. Les résultats plus que mitigés produits par les expéditions militaires de rectification démocratique et par l’encouragement prodigué à des printemps arabes trop vite considérés comme emblématiques incitent désormais les notateurs sinon à l’humilité, au moins à la réserve. Car un cruel paradoxe est là : les actions citées plus haut et qui auraient dû restituer aux citoyens bénéficiaires une véritable maitrise de leur destin, ont en fin de compte rendu le monde globalement plus dangereux et les lendemains généralement plus incertains.
Cependant les infortunes passées et récentes de la conquête démocratique en Afrique ne doivent pas inciter à remettre en cause les mérites d’un système que Winston Churchill avait très justement qualifié de « pire système de gouvernement à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire ». La démocratie possède l’irremplaçable avantage de ne pas taire les problèmes, et donc de se donner une chance sinon de résoudre ceux-ci, du moins de tenter de le faire. C’est sans doute ce trait principal qu’il est intéressant de retenir au moment où se célèbre le 25ème anniversaire du 26 Mars. L’un des premiers et des plus grands regrets que l’on peut d’ailleurs exprimer à propos de cet événement majeur dans l’évolution du Mali moderne est qu’il n’a certainement pas été autant valorisé dans ses conséquences qu’il l’aurait du l’être.
LE GRAND CONCURRENT. Pourquoi ? Parce que Mars 1991 aura été tout d’abord, et d’une certaine manière, victime du calendrier serré que s’était imposé la Transition après le coup d’Etat qui avait renversé le président Moussa Traoré. En effet, dans ses premières déclarations, Amadou Toumani Touré, devenu chef de l’Etat, avait souhaité boucler au 20 janvier 1992, c’est-à-dire dans un délai de neuf mois, un programme ambitieux qui prévoyait notamment l’élaboration et l’adoption d’une nouvelle Loi fondamentale, le rétablissement de la paix au Nord du pays et la tenue des élections présidentielles, législatives et communales (l’idée d’une Conférence nationale ne fut pas évoquée dans les premiers jours de la Transition). Ce challenge ne put être tenu, mais ATT resta jusqu’au bout ferme dans sa résolution d’abréger autant qu’il le pourrait son passage à la tête de l’Etat. Le calendrier resserré généra pour les acteurs de Mars deux contraintes auxquelles les observateurs ne prêtèrent certainement pas une grande attention à l’époque.
Il imposait tout d’abord aux associations politiques membres du Mouvement démocratique de se mettre rapidement en ordre de bataille pour aborder les élections toutes proches. Le coup d’envoi donné précocement pour la conquête du pouvoir substituait donc chez les compagnons de combat la rivalité à la solidarité et suscitait les premières tensions entre eux. Ces tensions montèrent significativement lorsque furent connus les résultats des communales organisées le 19 janvier 1992. Le très net avantage pris par l’Adema-PASJ en nombre de conseillers municipaux (214) fit l’effet d’une vraie douche froide sur les deux principaux rivaux des Rouges et blancs, l’US RDA (130 conseillers) et le CNID Faso yiriwa ton (96). Aucun de ces deux derniers partis ne s’attendait à être à ce point distancé par leur grand concurrent. Le second avait misé sur son excellente implantation urbaine et sur le dynamisme de ses troupes composées majoritairement de jeunes enthousiastes. La première avait pensé que la réactivation de ses réseaux en sommeil depuis le coup d’Etat de novembre 1968 lui garantirait un avantage non négligeable sur les nouveaux venus de la scène politique. En fait, les deux formations avaient sous-estimé le travail de récupération abattu par le PASJ auprès des anciens responsables de l’ex parti unique (Union démocratique du peuple malien) qui disposaient toujours à l’intérieur du pays d’une réelle assise populaire.
La riposte des déçus ne se fit pas attendre. Toute une série d’alliances de circonstance privera le PASJ de mairies auxquelles le poids de ses élus lui permettait pourtant de prétendre. Ce fut la première fissure sérieuse dans l’unité du Mouvement démocratique et elle ira en s’élargissant après que les résultats de la présidentielle et des législatives eurent confirmé la domination outrageuse des Adémistes et fracassé le scénario (attendu) d’un coude à coude serré entre les trois supposés poids lourds. La contrainte de presser la cadence imposée aux politiques s’étendit aussi aux acteurs sociaux. La brièveté de la Transition obligera ces derniers à précipiter l’exécution de leurs calendriers catégoriels et à essayer d’arracher le maximum d’engagements de la part des autorités avant que ne s’établisse la IIIème République. La facture de ce forcing se paiera quelques mois plus tard lorsque le pouvoir nouvellement installé dut faire face à un afflux massif de revendications corporatistes et à une forte agitation dans le milieu scolaire et étudiant.
INSTILLER LE DOUTE. L’idéal de Mars a donc été dès 1992 autant ébranlé par les contradictions et les divisions de ceux qui étaient en principe ses premiers défenseurs que par les attaques de ceux désignés comme des « nostalgiques de l’ancien régime » ou comme des « restaurateurs ». Car ces derniers ont, eux aussi, notablement contribué à la mise en doute de la Révolution en récupérant à leur profit la tribune offerte par la retransmission en direct du procès « Crimes de sang » qui s’ouvrit le 4 juin 1992, mais dont les audiences ne débutèrent effectivement que le 26 novembre de la même année. Les accusés, dans la restitution des douloureux événements de l’année précédente, martelèrent à la barre la même thèse préalablement cadenassée par une missive de l’ancien chef de l’Etat. De soulèvement populaire spontané, il n’y en aurait jamais eu. La chute du président Traoré, assurèrent-ils, aurait été préparée par des groupes d’activistes maliens avec l’appui de la France. La tactique des comploteurs, selon les accusés, aurait été simple : maintenir une ligne intransigeante dans leurs revendications, refuser systématiquement les compromis proposés par les autorités, radicaliser les groupes de manifestants pour créer des incidents violents et définitivement discréditer le pouvoir.
Assenée avec constance, cette version revue des événements de Mars 1991 ne pouvait certes pas provoquer un basculement total de l’opinion nationale, mais elle réussit à instiller un doute dans l’esprit de nombreux auditeurs quant à la pureté de l’esprit de la Révolution. Le système de contre-attaque choisi par les accusés bénéficia de plusieurs facteurs favorables. Tout d’abord, d’une curieuse démission du Mouvement démocratique. Seules trois figures de celui-ci – le cinéaste Cheick Oumar Cissoko, le leader de l’Association des élèves et étudiants du Mali, Oumar Mariko, et le secrétaire général du comité AEEM de l’Ecole normale supérieure, Baber – vinrent à la barre témoigner de la terrible réalité de la répression telle que celle-ci se déploya surtout le vendredi 22 mars 1991. Aucune autre grande figure ne se présenta pour faire pièce à l’interprétation des événements donnée aussi bien par les anciennes autorités que par des responsables militaires. Ces derniers se montrant logiquement mal à l’aise dans la reconstitution d’une opération de sécurité bien éloignée de leurs missions classiques.
La vérité selon laquelle une révolution ne s’accompagne que très rarement de lendemains qui chantent s’est donc tout particulièrement vérifiée pour Mars 1991. L’épopée de ce tournant majeur dans la vie de notre pays n’a jamais été réellement écrite. Parce de nombreux acteurs, qui auraient pu porter un témoignage éclairé, se sont trop vite retrouvés accaparés par la conquête du pouvoir ou par des combats de positionnement dans l’architecture institutionnelle de la IIIème République. Parce qu’aussi la vérité sur les événements s’est progressivement dégradée sous l’effet de pitoyables tentatives de réécriture dans lesquelles se sont lancés des personnages de la vingt-cinquième heure, désireux de s’approprier d’une part indue de lumière. Parce qu’enfin, il a indiscutablement manqué au sein du Mouvement démocratique une grande voix, neutre et éminemment respectable, qui aurait, sur la durée, rempli la fonction de gardien du temple. Du fait de la stature que lui conféraient une vie militante irréprochable et une probité morale reconnue de tous, une personnalité comme Abdrahmane Baba Touré, président de la Cour constitutionnelle, aurait pu jouer ce rôle, mais son naturel réservé ne l’y prédisposait guère. LA SOUS-ESTIMATION DES ERREURS. L’effacement des grands acteurs et l’absence d’un vrai héraut ont placé Mars 1991 dans l’obligation d’asseoir sa portée historique sur la qualité de la démocratie dont il avait été porteur et sur la capacité de celle-ci à surmonter aussi bien l’usure du temps que l’effet abrasif de l’exercice du pouvoir.
Vingt-cinq ans après, dans quelle mesure ce challenge a-t-il été relevé ? Comme on le sait, c’est dans l’épreuve que se testent la force d’un idéal et la solidité des convictions essentielle qu’il véhicule. Or si l’on se réfère aux récents événements qu’a connus notre pays, on serait tenté par une réponse pessimiste. Les analystes n’ont certainement pas suffisamment insisté sur cette symbolique éminemment négative, mais on ne peut pas négliger le fait que le vingt et unième anniversaire de la IIIème République s’est « commémoré » sous de bien tristes auspices. La gouvernance malienne s’était dégradée au point de rendre possible aussi bien un coup d’Etat (qu’une partie notable de la population s’est bien gardée de désapprouver) que l’occupation des deux tiers du territoire national par les djihadistes et par la rébellion indépendantiste. Sans négliger cette symbolique accablante, notre préférence ira à une appréciation plus nuancée. Certes, la démocratie malienne avait trop perdu de sa qualité pour prévenir un désastre comme celui advenu le 22 mars 2012. Mais elle est restée suffisamment ancrée dans l’esprit des populations pour surmonter la désillusion et amorcer dix-sept mois plus tard le redressement du pays par une présidentielle réussie contre toute attente. C’est dans ce double visage que réside la particularité malienne. Notre démocratie ne mesure pas entièrement les dangers auxquels l’expose la sous-estimation par elle de ses erreurs et de ses faiblesses. Mais, elle a jusqu’ici possédé suffisamment de ressources en son sein pour survivre aux turpitudes qu’avait amenées le manque d’exigence de certains de ses acteurs. Cependant, il lui est impossible de persister plus longtemps dans ses paradoxes. Car ceux-ci accentuent ses faiblesses et réduisent singulièrement ses mérites.
Aujourd’hui, la bonne question à se poser est de savoir combien de temps encore notre pratique démocratique peut, au risque d’essuyer d’irrémédiables dommages, esquiver l’exercice d’autocritique qu’elle se doit à elle-même. A cet égard, les épreuves de 2012 ont eu le non négligeable avantage de mettre fin à la sempiternelle référence à « l’exemplarité » malienne et de relancer la nécessité d’un questionnement vrai, aussi bien sur le chemin parcouru que sur la douloureuse bifurcation de 2012. Au moment de se plier à cet exercice, il convient de ne pas tomber dans l’auto dévaluation et de minorer les mérites de notre expérience démocratique. Celle-ci a eu l’avantage de débuter par une totale rupture avec l’ordre ancien. Ce qui la dispensait à l’époque d’adopter des demies mesures, de construire des compromis laborieux et d’accepter des cohabitations non désirées, tous phénomènes qui ont compliqué d’autres situations africaines. Mars 1991 a donné à la IIIème République une inappréciable liberté d’innovation dans la gouvernance. Notre pays en a usé pour créer des cadres inusuels d’expression pour les simples citoyens comme l’Espace d’interpellation démocratique ou encore les fameuses concertations (locales et régionales), recours originaux à la démocratie directe pour débattre des grands problèmes du pays, ainsi que cela fut le cas au milieu des années 1990 pour la question de la paix au Nord du pays et celle de l’agitation scolaire prolongée.
LE PLUS INTÉRESSANT DANS L’HÉRITAGE. Le choix d’innover s’est aussi retrouvé dans la gestion concertée des institutions et dans le gouvernement à base politique élargie initiés par Alpha Oumar Konaré ou dans le consensus politique proposé par Amadou Toumani Touré. Ces expériences ont, certes, connu des fortunes variables et aucune n’a totalement produit les effets espérés par son initiateur. Mais chacune a, par essence, traduit une volonté méritoire de surmonter les antagonismes politiques classiques. Il est malheureusement à relever que la plupart des innovations ont assez rapidement tourné au rituel et ont perdu ce qui faisait leur mérite premier, c’est-à-dire l’apport d’une qualité supplémentaire à la pratique démocratique. Les concertations ont fini par devenir des exercices formels réunissant un cénacle de responsables administratifs, des élus et des représentants de la société civile « institutionnelle ». L’EID peine à aller au-delà de sa fonction de catharsis et à contribuer à dénouer les injustices qui lui sont soumises. Le consensus politique, qui a favorisé la construction d’un groupe boursouflé d’ « indépendants » à l’Assemblée nationale, a notablement amorti les ressorts internes du jeu institutionnel et amoindri la fonction de sentinelles dévolue aussi bien aux partis politiques qu’aux organisations de la société civile.
Le quart de siècle écoulé a donc démontré que le plus intéressant dans l’héritage du 26 Mars ne se limite pas au catalogue des formules novatrices expérimentées en matière de gouvernance et qui ont fait de notre démocratie l’une des plus créatives et l’une des plus réactives du continent. A l’heure de la réflexion, l’essentiel consisterait plutôt à se demander si chacune des innovations apportées a, au-delà de son incontestable originalité, contribué à mieux servir l’esprit même de la Révolution tel que celui-ci avait été exprimé sans ambiguïté par les milliers d’anonymes descendus dans la rue entre le 22 et le 25 mars 1991. Ces manifestants avaient signifié, souvent au risque de leurs vies, un désir de plus grande justice sociale, une exigence de vraie moralisation de la vie publique, une demande de meilleure écoute des attentes du pays profond et un appel à la prise en compte de la détresse des plus fragiles. Le régime du parti unique avait chuté parce qu’il s’était – à la notable exception de certains de ses responsables – ankylosé au point de ne plus savoir déchiffrer les signaux de la contestation qui montait et d’être frappé de mutité face aux revendications présentées. Aujourd’hui, la démocratie a certes permis d’améliorer la veille sociale, mais elle ne fournit pas une protection absolue contre les risques d’endormissement politique.
Cela s’était vérifié en 2009 lorsque la contestation du Code des personnes et de la famille avait fait, à l’initiative des organisations religieuses, sortir des dizaines de milliers de citoyens dans la rue. Il convient de rappeler – et les slogans lancés dans les cortèges de mécontents le prouvaient – que l’ire populaire contre certaines dispositions du texte se doublait d’une vraie exaspération devant le renchérissement du coût de la vie, la montée du phénomène de la corruption et la présence de plus en plus évanescente de l’Etat. Autre point sur lequel il n’est pas inutile d’insister : alors que le report possible du forum de Kidal va retarder une fois de plus l’acquis d’une avancée majeure, l’esprit de Mars gagnerait aussi à être souligné dans la résolution du problème du Nord du Mali. Il est indispensable, à notre avis, de rappeler que l’approche de la question a substantiellement changé à l’avènement de la démocratie. Les autorités de la IIème République avaient traité le casse-tête de la rébellion armée en cercle restreint et sous l’angle essentiellement militaire. Le fameux accord de Tamanrasset conclu en janvier 1991 était avant tout la conclusion d’un cessez-le-feu et la signature pour le Mali avait été apposée sur le document par le chef d’état-major des armées. La Révolution eut l’incontestable mérite de transposer l’examen du problème sur le plan politique. Tout d’abord, en incluant dans le Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP), organe dirigeant de la Transition, les représentants de deux groupes armés, le Mouvement populaire pour l’Azawad (MPA) et le Front islamique arabe de l’Azawad (FIAA).
Puis en portant l’analyse de la situation au niveau de la Conférence nationale de juillet-août 1991. Enfin en incluant la société civile dans les deux premières étapes (les conférences de Ségou et de Mopti) du cycle de négociations. LE PLUS ÉLÉMENTAIRE DES GESTES. Le chemin vers la paix fut, en outre, dans sa phase terminale en 1995, déblayé par l’implication active de la société civile du Septentrion. Aujourd’hui dans un contexte extrêmement plus complexe, face à des périls considérables, le vrai préalable à un début de rétablissement de la normale reste la conviction que doivent partager tous les protagonistes qu’il n’y a de salut que dans la reconstitution de l’unité nationale, cette dernière représentant le premier rempart contre le terrorisme. Cette conviction nous paraît déjà sincèrement portée par les populations. Celles-ci ont en effet – et souvent non sans difficulté – décidé de faire table rase des malentendus et des contentieux qui ont nourri entre 2012 et 2014 de fortes tensions communautaires. Des épreuves qu’elles ont traversées, ces populations ont tiré la certitude que, si la chance leur en était donnée, elles possédaient la capacité de se tracer à elles-mêmes les routes les plus raisonnables vers l’avenir.
La régionalisation qui introduit le pari de l’appropriation du développement par les collectivités trouvera peut-être dans ce désir d’ « auto responsabilisation » une vraie chance de réussite. A l’image de ces collectivités, les femmes et les hommes qui descendirent dans la rue en 1991 pour manifester leur volonté d’un autre Mali tout comme ceux qui applaudirent à la chute de la IIème République avaient certainement, quelque part dans l’esprit, le désir d’une plus grande maitrise de leur destin et l’espoir de lendemains plus cléments. Interrogés aujourd’hui, la plupart d’entre eux – à commencer par les plus modestes – se déclareront certainement déçus de l’avenir qui leur a été offert.
Beaucoup manifestent leur désappointement en s’abstenant du plus élémentaire des gestes citoyens, le vote. D’autres marquent leur défiance vis-à-vis de l’institutionnel en essayant de se rendre justice ou de se faire réparation eux-mêmes. D’aucuns, en totale perte de repères, se laissent capter par des marchands d’illusions. Acceptons donc de voir notre pays tel qu’il est aujourd’hui. Après avoir subi la plus grave crise de son histoire moderne, se trouvant confronté à une agression terroriste dont les formes le désorientent, le Mali du 26 mars 2016 est avant tout un pays en pleine interrogation. Mais ce n’est pas un pays sans ressorts. Il était remonté de l’abîme en 2013 en se mobilisant pour une présidentielle quasi exemplaire dans l’esprit.
Il reconstitue aujourd’hui son vivre ensemble déchiqueté par la succession d’épisodes funestes au Septentrion. Il fait émerger une société civile encore brouillonne, mais beaucoup plus combattive que celle qui jusque là a préféré se rapprocher des pouvoirs successifs plutôt que de se comporter en force d’influence et d’interpellation. Il est encore trop tôt pour dire quel visage définitif prendra le Mali inévitablement différent qui est en train de se forger laborieusement et parfois à tâtons. On ne sait pas encore si ce Mali là récupérera l’esprit de Mars 1991. C’est-à-dire le volontarisme positif des premiers mois de la Révolution qui survolait les obstacles du chemin et qui n’avait pas peur d’imaginer un pays nouveau. On ignore également si ce Mali là aura le souffle plus long que celui de Mars 1991, trop tôt déserté par ceux qui auraient dû en garantir la vitalité, trop tôt desservi par la multiplication des querelles et des affrontements entre ses héritiers, trop tôt devenu inattentif au sort des anonymes qui s’étaient battus pour sa victoire. Il arrive – même si cela est très rare – que l’Histoire accorde une seconde chance à un idéal non abouti. Cela pourrait être le cas pour celui de Mars 1991. Dans une toute autre conjoncture. Mais avec des exigences ressemblantes.
G. DRABO
Source: Essor.ml