« Nous devons, par l’exemple, forcer le respect de nos partenaires et renforcer la crédibilité de nos institutions nationales comme sous-régionales. »
Les Afriques : Monsieur le président, vous renoncez à la présidence de l’Union économique et monétaire ouest-africaine alors même que vous estimez qu’elle doit évoluer vers une véritable confédération. N’êtes-vous pas le mieux indiqué pour convaincre de cette nécessité et puis de conduire une telle mutation ?
Soumaïla Cissé : Vous savez, nul n’est indispensable. Ce qui a été fait à l’Uemoa, que tous, les chefs d’Etat, les populations, les partenaires de coopération, reconnaissent et saluent, ne l’a pas été par moi seul. L’une de mes grandes satisfactions est, du reste, d’avoir réussi à doter la Commission de l’Uemoa de ressources humaines performantes, d’un esprit d’équipe remarquable. Il n’y a pas grand risque à ce que ces acquis ne soient pas consolidés par mon successeur.
LA : Vous voulez donc quitter Koulouba, quartier du siège de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), à Ouagadougou, pour le Palais de Koulouba à Bamako. Votre investiture par votre parti enclenche-t-elle véritablement une dynamique de conquête du pouvoir ?
Soumaïla Cissé : Belle formule. Koulouba à Bamako, c’est la « Colline du pouvoir » … Bon, ça c’est pour l’anecdote… Oui, le 18 septembre 2011, j’ai été officiellement investi comme candidat de l’URD (Union pour la république et la démocratie) à la prochaine élection présidentielle.
Vous me donnez d’ailleurs l’occasion de réitérer mes félicitations aux militantes et aux militants de mon parti, qui ont travaillé sans relâche huit années durant, avec foi, abnégation, patriotisme et détermination. Ils ont fait de l’URD, aujourd’hui, la deuxième force politique du Mali, dont se réclament et sont fiers de nombreux Maliens, tant de l’intérieur que de l’extérieur. C’est la première fois que notre parti investit son propre candidat à l’élection présidentielle. Je suis donc fier d’être ce candidat parce que bénéficiant de la confiance et du soutien de tous et de chacun.
Au cours des années passées, il s’est rarement passé un entretien avec un journaliste sans que l’on ne me demande si je serai candidat ou pas à l’élection présidentielle de 2012.
J’ai toujours répondu en disant qu’on n’est pas candidat parce qu’on le veut, on n’est pas candidat pour soi. Il faut être porté par des hommes et des femmes qui partagent les mêmes convictions et la même vision que vous. Aujourd’hui, les militantes et les militants viennent de faire cette démonstration et avec la manière.
LA : Votre parti, en votre absence, a connu quelques remous. En 2002, ce sont les divisions de votre ancien parti, l’ADEMA qui ont probablement empêché votre élection face à Amadou Toumani Touré. Ne craignez-vous pas le même scénario ?
SC : Le congrès d’investiture, ainsi que le travail abattu en mon absence, répondent largement à votre question. C’est un parti uni, ayant mobilisé, des millions de Maliens qui se sont engagés avec moi pour que nous réalisions ensemble notre dessein pour le Mali.
LA : C’est la deuxième fois que vous êtes candidat. Cette fois sera-t-elle la bonne ?
SC : Pour répondre à cette question, je voudrais paraphraser un des chefs d’un des grands partis politiques au Mali, qui disait le 18 septembre 2011 à Bamako, lors de la cérémonie d’investiture, « en 2002, M. Soumaïla Cissé s’est préparé mais il n’était pas prêt ; aujourd’hui il est prêt ». Comme lui, beaucoup d’autres responsables de partis politiques invités, ont manifesté leur soutien à notre candidature. Ceci dit, on n’est pas Dieu pour dire qu’on gagnera avec certitude, mais on peut croire à la victoire, au regard de certains indices et convictions et moi j’y crois.
LA : Sur quoi fondez-vous votre optimisme ?
SC : D’abord, la confiance et le soutien des militantes et militants de l’URD – les nombreuses alliances de Maliennes et Maliens, tant de l’intérieur que de l’extérieur, se reconnaissant dans notre vision, les relations de confiance établies avec les partenaires de la sous-région, d’Afrique et du monde – ensuite ma connaissance du pays et des problèmes de développement ainsi que ma ferme détermination, couplée à trente ans de carrière riche et variée que je suis prêt à mettre au service de mon pays.
« Mon éthique politique m’empêche de conclure des deals. »
LA : Le deal soupçonné entre vous et le président Amadou Toumani Touré consistant à vous obtenir la présidence de l’Uemoa et à vous soutenir à la fin de son second mandat contre votre renoncement à vous présenter contre lui en 2007 n’est-il pas confirmé par votre candidature ?
SC : Mon éthique politique m’empêche de conclure des deals. J’ai été choisi par mon pays pour servir la région. Un mandat ne suffisait pas à mettre en œuvre la vision partagée et le programme que les chefs d’Etat m’avaient confié. Après deux mandats, le moment est venu pour moi de laisser un autre poursuivre le travail et de me remettre au service de mon pays, avec l’ambition, du reste, de continuer à servir la région.
LA : La classe politique, au Mali comme un peu partout en Afrique, ne jouit pas d’une bonne image de marque. Ne craignez-vous pas d’en souffrir ?
SC : La classe politique au Mali ne se porte pas plus mal qu’ailleurs. Je dirais même qu’au fil des années, elle a fait des avancées notables. Il faut toutefois les consolider en moralisant encore plus le jeu politique.
A mon avis, la morale en politique consiste à se soucier de l’intérêt collectif et à prendre conscience que l’on doit toujours agir d’abord pour les autres. L’obligation de rendre compte constitue également un des piliers de la morale en politique. Ma devise est qu’il n’y a rien de plus noble et de plus grand que de servir son pays. C’est à la fois le sens de mon engagement et de ma vision de la politique.
Quand, avec mes amis, nous avons créé l’URD, nous avons insisté sur deux choses : rassemblement et éthique politique. Lors de mon investiture, je l’ai rappelé en disant que « je ferai ce que je dis et je dirai ce que je fais ». Ce n’est pas une simple formule, c’est ma conviction profonde.
LA : On vous a accusé d’être allé à la pêche aux voix en faisant un appel du pied à Amadou Toumani Touré, l’actuel chef de l’Etat et à Alpha Oumar Konaré, son prédécesseur.
SC : (Rires) Où est ce que vous êtes allé chercher cette insinuation ? J’ai dit que j’assumais la succession, non pas comme une rupture, encore moins une double rupture, mais comme un double héritage. De 1992 à 2002, j’ai participé à l’action gouvernementale, je demeure donc comptable de ces dix années de gestion du pouvoir jusqu’à être le candidat officiel de mon parti d’alors l’ADEMA PASJ (Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice) après une convention et des primaires homériques…
De la même manière, depuis 2003, mon parti participe à l’action gouvernementale. Fidèle à mes convictions, j’assume également ce bilan.
LA : Puisque vous reconnaissez avoir participé au pouvoir, directement ou indirectement depuis vingt ans, que pouvez-vous offrir de nouveau ?
SC : Un ambitieux et réaliste projet pour le Mali et pour la sous-région. Comme dit Joseph Ki Zerbo, « tout se tient et tous se tiennent ». J’ai donc un projet ambitieux pour le Mali, dont je connais à la fois les atouts et les performances. Depuis un quart de siècle, je vis au rythme des chantiers de développement et je compte sur cette connaissance des dossiers prioritaires comme l’emploi des jeunes, l’énergie, les infrastructures et l’intégration…
Pour parler simplement, je vous confesse que chaque fois que je vois une bonne pratique, j’ai envie de la dupliquer au Mali et dans la sous-région… Et je vous rappelle à cet effet le triptyque qui fonde mon orientation. Il y a d’abord la connaissance, le savoir et tout ce qui est utile pour avoir des ressources humaines de qualité : les dragons de l’Asie en sont une brillante illustration.
Il y a ensuite l’innovation et la technologie, qui permettent de faire des bonds qualitatifs : il nous faut adapter nos pratiques agricoles, piscicoles et bien d’autres, aux progrès de la science et de la technique. C’est universel… Le Japon, la Chine et tous les pays émergents sont passés par là.
Il y a enfin, et c’est capital, la bonne gouvernance à la fois économique et politique. Le tout servi par une intégration réussie ambitieuse, qui devra aboutir à un ensemble politique cohérent et fort qui peut discuter d’égal à égal avec les autres grands acteurs du développement mondial. Notre Union économique et monétaire, l’Uemoa, est riche de ses ressources naturelles, de sa culture. Nous devons conforter tout cela par une synergie politique qui pourrait prendre la forme d’une Confédération, le nom importe moins que le contenu, et disons-le aux populations, nous n’avons pas le choix car dans le contexte mondial actuel, celui qui n’avance pas recule.
Notre ambition est d’être dans le peloton de tête et cela se prépare et s’assume. Comme je le rappelle à l’envi, la pauvreté n’est pas une fatalité, le développement se prépare, se planifie et se gère. L’avenir de nos pays, j’y crois fermement.
Il faut le redire sans cesse, notre avenir est entre nos mains. Nous devons, par l’exemple, forcer le respect de nos partenaires et renforcer la crédibilité de nos institutions nationales comme sous-régionales.
LA : Quels sont, pour vous, vos plus sérieux concurrents ?
SC : L’important pour nous, c’est de convaincre les Maliens de la qualité de notre projet et de notre capacité à l’appliquer. C’est cela qui nous mobilise.
LA : Qui soutiendrez-vous si vous n’êtes pas au second tour ?
SC : Nul, sur cette terre, ne peut prévoir ce qui va se passer demain. Demain appartient à Dieu et à lui seul. Mais au regard de ce que notre parti représente aujourd’hui, du bilan qu’il peut présenter de son action gouvernementale depuis l’avènement de la démocratie, de la détermination des militants, des cadres, de la large coalition qui porte ma candidature, des millions de sympathisants qui nous manifestent leur soutien, nous avons de bonnes chance, avec l’aide de Dieu, d’être au second tour.
www.lesafriques.com 07/11/2011