Soudan: l’armée renverse Béchir après des semaines de manifestations

Le président Omar el-Béchir, qui dirigeait le Soudan d’une main de fer depuis 30 ans, a été renversé jeudi par un coup d’État de l’armée après un soulèvement populaire, et remplacé par un « conseil militaire de transition » pour deux ans.

« J’annonce, en tant que ministre de la Défense, la chute du régime et le placement en détention dans un lieu sûr de son chef » (Omar el-Béchir, NDLR), a déclaré dans une annonce à la télévision d’État Awad Ahmed Benawf, après une attente de plusieurs heures.

Tout au long de la matinée, une immense foule de Soudanais s’était en effet rassemblée dans le centre de la capitale soudanaise, anticipant l’annonce de la destitution du président honni, âgé de 75 ans et au pouvoir depuis un coup d’État en 1989.

« Le régime est tombé, le régime est tombé ! », avaient scandé, en brandissant des drapeaux soudanais, ces milliers de manifestants qui campent depuis samedi devant le QG des forces militaires.

En plein marasme économique, le Soudan est le théâtre depuis décembre de manifestations déclenchées par la décision de tripler le prix du pain. La contestation s’est vite transformée en un mouvement réclamant la « chute » de M. Béchir, qui fait par ailleurs depuis des années l’objet de poursuites internationales.

Depuis samedi, des milliers de manifestants réclamaient sans discontinuer, devant le QG de l’armée, le soutien des militaires.

La télévision nationale a interrompu jeudi à l’aube ses programmes pour faire état d’une « importante annonce des forces armées sous peu ». Elle est finalement intervenue en cours d’après-midi.

Outre la destitution du président, le ministre de la Défense a annoncé la mise en place d’un « conseil militaire de transition » pour succéder à Omar el-Béchir pour une durée de deux ans.

L’espace aérien a été fermé pour 24 heures et les frontières terrestres jusqu’à nouvel ordre, a-t-il ajouté.

Un cessez-le-feu a aussi été annoncé à travers tout le pays, notamment dans les États en proie aux rébellions comme le Darfour (ouest), région meurtrie par les violences.

En 2009, la Cour pénale internationale (CPI), basée à La Haye, a lancé un mandat d’arrêt contre Omar el-Béchir pour « crimes de guerre » et « contre l’humanité » au Darfour, avant d’ajouter en 2010 l’accusation de « génocide ».

Le conflit au Darfour a fait plus de 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon l’ONU.

Peu avant l’annonce du ministre de la Défense, le puissant service de renseignement au Soudan (NISS), fer de lance de la répression des manifestations, avait fait état de la libération de tous les prisonniers politiques du pays, selon l’agence officielle Suna.

« Pacifique, pacifique, pacifique »

« Béchir est parti ! Nous avons réussi ! », avait écrit en matinée sur Twitter Alaa Salah, l’étudiante devenue depuis quelques jours « l’icône » du mouvement.

Le centre de la capitale, au sud du QG, a au gré de la matinée été envahi par une foule immense, selon un journaliste de l’AFP. Les manifestants se prenaient dans les bras, brandissaient des drapeaux soudanais et échangeaient des friandises.

Pour le sixième jour consécutif, des milliers de manifestants déterminés s’étaient eux rassemblés devant le siège de l’armée, qui abrite aussi le ministère de la Défense et la résidence officielle du président.

Des femmes regroupées devant ce site lançaient des youyous et scandaient des slogans anti-Béchir.

L’armée s’est déployée dans de nombreuses rues de la capitale, ainsi que des membres du groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide.

Des foules sont aussi rassemblées dans les villes de Madani, Gadaref, Port-Soudan, Al-Obeid et Kassala, brandissant des drapeaux soudanais.

À Khartoum, les meneurs du mouvement ont appelé en cours de journée la foule à « ne pas attaquer quiconque ou les biens gouvernementaux et privés ». « Quiconque fera ça sera puni par la loi. Notre révolution est pacifique, pacifique, pacifique », a martelé l’Alliance pour la liberté et le changement dans un communiqué.

Des manifestants ont mené un raid dans un bâtiment du NISS à Kassala (est), selon des témoins. L’un d’eux a indiqué à l’AFP par téléphone que le raid était survenu après le refus d’officiers de relâcher des prisonniers détenus là-bas.

Il n’a pas été possible de déterminer si l’attaque avait eu lieu avant ou après l’appel à la retenue des responsables du mouvement.

Une attaque similaire a été menée à Port-Soudan (est) par des manifestants antirégime, selon des témoins. Là encore, l’articulation des événements n’est pas établie.

« Assez »

Depuis samedi – journée lors de laquelle le mouvement a connu un regain d’intensité -, les manifestants ont essuyé à plusieurs reprises les assauts du NISS, qui a tenté en vain de les disperser à coups de gaz lacrymogène, selon les organisateurs du rassemblement.

« Nous en avons assez de ce régime. Trente ans de répression, de corruption, d’abus de droits. C’est assez », a indiqué à l’AFP un manifestant devant le QG de l’armée.

Mardi, 11 personnes, dont six membres des forces de sécurité, ont été tuées lors de manifestations à Khartoum, a rapporté mercredi le porte-parole du gouvernement Hassan Ismail, d’après l’agence Suna.

En tout, 49 personnes sont mortes dans des violences liées aux manifestations depuis que ces rassemblements ont débuté en décembre, de sources officielles.

« Transition crédible »

L’étincelle de la contestation a été la décision du gouvernement de tripler le prix du pain le 19 décembre.

À travers le pays, des citoyens soudanais ont appelé au départ de M. Béchir. Le président a tenté de réprimer la contestation par la force, puis a instauré le 22 février l’état d’urgence à l’échelle nationale.

Mardi, des capitales occidentales ont appelé les autorités à répondre aux revendications « d’une façon sérieuse ».

Le pouvoir doit proposer « un plan de transition politique crédible », ont écrit les ambassades des États-Unis, du Royaume-Uni et de la Norvège dans un communiqué conjoint à Khartoum.

Et mercredi, Washington a exhorté le pouvoir « à respecter les droits de tous les Soudanais à exprimer leurs doléances pacifiquement ».

Les grandes dates d’Omar el-Béchir

Les grandes dates d’Omar el-Béchir, destitué jeudi par l’armée soudanaise après avoir dirigé le pays d’une main de fer pendant près de trente ans, depuis un coup d’État en 1989.

1er janvier 1944 : naissance dans une famille rurale à Hosh Bannaga, village situé à une centaine de kilomètres au nord de Khartoum.

1973 : militaire de carrière, participe à la guerre israélo-arabe.

30 juin 1989 : prend le pouvoir à la faveur d’un coup d’État soutenu par les islamistes, contre le gouvernement démocratiquement élu de Sadek al-Mahdi.

2003 : lance ses troupes contre une rébellion au Darfour (ouest), conflit qui a fait plus de 300 000 morts selon l’ONU.

2005 : accord de paix avec la rébellion sudiste après plus de 21 ans de guerre civile.

2009 : visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » au Darfour, puis en 2010 pour « génocide ».

2010 : élu président lors des premières élections multipartites, boycottées par l’opposition. Réélu en 2015.

2011 : le Soudan du Sud proclame son indépendance. Khartoum perd les trois quarts de ses réserves pétrolières.

2013 : manifestations contre la hausse du prix du carburant : des dizaines de morts officiellement, plus de 200 selon Amnistie.

8 avril 2019 : destitué par l’armée, à l’issue d’une vague de contestation populaire débutée en décembre 2018, dirigée d’abord contre la hausse du prix du pain, puis contre le régime lui-même.

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