Un camp de personnes déplacées près de Baidoa dans le sud-ouest de la Somalie, le 14 mars 2017 / © AFP/Archives / TONY KARUMBA
C’était une nuit du mois de mars. Le soldat était mince, mais fort. Son uniforme et ses bottes étaient neufs. Après s’être introduit dans le misérable abri de fortune de Hawo, il a pointé une arme sur la gorge de cette Somalienne et l’a violée. Deux fois.
« Dans ma tête, je peux encore le voir », confie cette jeune femme vivant à Dusta, un camp installé dans la ville de Baidoa, dans le sud-ouest de la Somalie, où sont rassemblés des Somaliens déplacés par la faim et la sécheresse.
Hawo ne souhaite pas révéler som nom complet. Son nouveau-né pleurait pendant qu’elle subissait ce viol, terrifiée. Ses deux autres enfants, un peu plus âgés, dormaient eux à poings fermés.
Dusta, véritable océan de bicoques faites de bâtons, bâches en plastiques et vieux tissus, s’étend jusqu’à un camp où sont stationnés des soldats de la mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom), qui combattent les islamistes shebab affiliés à Al-Qaïda et ayant juré la perte du gouvernement somalien.
Pourtant, les résidents de Dusta interrogés par l’AFP assurent être livrés à eux-mêmes. Personne ne les protège, disent-ils, que ce soit l’Amisom, l’armée, les milices locales ou l’ONU.
La plupart des habitants de Dusta sont des femmes et enfants issus de régions contrôlées par les shebab et venus dans la capitale régionale à la recherche de nourriture, d’eau et de soins médicaux.
Selon un décompte de l’AFP basé sur les chiffres de deux ONG locales – Isha et le Somali Children Welfare and Rights Watch (SCWRW) -, au moins 54 femmes ont été violées ou agressées sexuellement dans les 168 camps, qui abritent plus de 155.000 personnes et se sont multipliés autour de Baidoa alors que le pays est au bord de la famine.
La majorité de ces attaques sont commises par des soldats, explique Muhudin Daud Isack, qui travaille pour Isha. « Quand ils ont l’opportunité de le faire, ils commettent un viol ».
– Viols collectifs –
Farhiyo Ahmed Mohamed, une policière à la tête d’une unité spéciale chargée de combattre les violences envers les femmes, reconnaît que des hommes en uniforme ont été impliqués dans de telles attaques et évoque une affaire de viol dans la ville de Goof Gaduud, à l’extérieur de Baidoa, pour laquelle un soldat a été condamné et emprisonné.
Elle accuse cependant les ONG d’exagérer le nombre de viols dans les camps afin d’obtenir plus de subsides.
La Somalie est plongée dans le chaos et la violence depuis plus de 25 ans, et si la communauté internationale l’aide à rebâtir des institutions telles que l’armée et la police, le processus met du temps à porter ses fruits.
Selon l’ONG Isha, neuf femmes du camp de « Buur fuule 2 » ont été violées une nuit de janvier par un groupe de civils armés de pistolets et de couteaux. Elles ont été extraites de leurs abris et violées par plusieurs hommes.
Cinq de ces femmes ont été interrogées par l’AFP. Deux d’entre elles ont raconté que leurs maris étaient tenus en joue pendant les viols. Une victime de 37 ans a, elle, assuré que si les viols sont monnaie courante dans ces camps, les viols collectifs ne le sont pas.
Les organisations humanitaires reconnaissent l’existence du problème croissant des viols, mais expliquent que la crise somalienne comporte de multiples facettes et que la priorité est accordée à d’autres maux. « Les programmes visant à améliorer la protection des femmes sont souvent sous-financés (…), ce même si les violences faites aux femmes augmentent lors des situations d’urgence », souligne Evelyn Aero, du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC).
– Dignité –
De retour à Dusta, Hawo explique que malgré son viol par un soldat, elle souhaite davantage de personnes armées dans le camp. Après ce traumatisme, elle a rapproché son abri de la base de l’Amisom et dit se sentir ainsi plus en sécurité.
D’autres ne souhaitent pas voir plus d’hommes armés dans le camp et estiment que la solution passe par la construction d’abris solides, en pierre et en tôle.
« Au-delà de la survie, l’abri est nécessaire (…) pour s’assurer que chaque personne soit en sécurité, et assurer le droit à la vie privée et la dignité, particulièrement pour les femmes et enfants », estime Gavin Lim, un spécialiste de la protection pour le Haut-commissariat de l’ONU aux réfugiés (UNHCR).
Mais alors que la sécheresse se prolonge et que la menace de la famine se rapproche chaque jour un peu plus, le nombre de déplacés augmente, rendant encore plus épineuse la question de la sécurité des femmes dans les camps.
Plus de 377.000 Somaliens ont été déplacés lors des trois premiers mois de 2017, portant à plus d’un million le nombre total de personnes déplacées par le conflit et la sécheresse en Somalie. Et l’UNHCR table sur trois millions d’ici la fin de l’année.
(©AFP / 02 juin 2017 08h47)