Assise dans son salon, la télévision câblée sur TF1, des photos de Monsieur Koné accrochées au mur semblent retracer les souvenirs de Marietou, celle qui attend son mari depuis 14 ans. Mariée sans enfant, elle habite Banconi l’un des quartiers populeux de Bamako. Son mari est parti en France depuis les années 1998. « Il est parti trois jours après la célébration de notre mariage civil. Et m’avait promis de le rejoindre quelques mois plus tard. Après plusieurs tentatives à la recherche du visa j’ai échoué à plusieurs reprises. Depuis l’attente devient interminable » se souvient encore Marietou comme si c’était hier. » Au départ, il pouvait m’appeler trois ou quatre fois par semaine pour me donner de ses nouvelles et s’enquérir des miennes « , affirme-telle.
A la fin de chaque mois il m’envoyait par le biais d’un ami 100 000 F CFA pour mes dépenses au quotidien, signale Marietou. Cela fait plus de trois ans que je n’ai plus de ses nouvelles. « Il a complètement coupé le pont avec moi et je ne sais pas pourquoi. Il avait commencé à diminuer le montant des sommes qu’il m’envoyait. Les mois et années passent je n’ai plus de ses nouvelles. Depuis, je comble mes fins de mois grâce à mon commerce de pagnes » se lamente-t-elle. Indépendantes, mais malheureuses Marietou n’est pas un cas isolé. Beaucoup d’autres épouses de migrants vivent dans une misère affective comme Badjéné. » Un mari, c’est avant tout la vie conjugale, le partage des sentiments pour le meilleur et pour le pire » nous confie t-elle. Visage plein de boutons, les yeux hagards, la mine serrée, une cotonnade assimilable à un haillon collé à la peau en guise d’habit, voila l’image que Badjené offre au premier venu. »
C’est à l’âge de 17 ans, que mon cousin a demandé ma main, alors que j’étais en classe de 8e année. Malgré moi, je suis mariée« , témoigne celle qui ambitionnait d’être sage femme à la fin de ses études. Insouciante ou innocente ? En tout cas, Badjené laissera son mari partir au Gabon à la recherche de richesse après qu’il ait consommé le mariage. » Dès lors, je ne fais que recevoir son coup de téléphone et il envoie souvent de l’argent pour la famille « , dit-elle la gorge serrée. Malgré son jeune âge, Badjené a tout sacrifié pour sa belle famille. «J’ai 23 ans aujourd’hui, sans travail, sans enfant et le plus grave je ne sais pas quand il reviendra« . Alors ,lasse d’attendre Ousmane, elle a préféré satisfaire ses désirs sexuels avec un autre homme.
« Je vis en cachette avec quelqu’un. C’est un besoin que le téléphone et l’argent ne peuvent pas combler« , dit-elle la tête basse. Badjené avec ses 23 ans murmure pour expliquer son acte qu’elle-même juge indigne d’une femme mariée : » Je ne pouvais plus supporter un mari qui n’existe que de nom « . Sa belle famille est-elle au courant de son secret ? Elle pense que non, sinon elle serait la risée de son entourage. Badjené semble forcer l’admiration au sein de sa belle famille. »
C’est une fille extraordinaire, elle n’a pas de problèmes, elle s’occupe de moi et de toute la famille « , dit sa belle mère qui ignore visiblement la face cachée de sa belle fille. Et d’ajouter que son mari ne doit plus tarder et qu’elle-même est pressée de voir ses petits enfants. Devenue par la force des choses une machine à tout faire, Badjené, stoïquement vit sa vie en attendant le retour de son mari. L’absence prolongée peut être une cause de divorce L’Islam ne tolère pas le divorce même quand il est provoqué par l’éloignement prolongé du conjoint. Mais le mari ou la femme qui ne peut plus attendre peut demander le divorce a rappelé Mohamed Djité, imam à la Mosquée de Baco Djicoroni et president de l’Association mondiale de la jeunesse musulmane « Wamy « . Pour lui, si le mari s’absente pour une durée de plus de quatre mois, la femme a le droit de demander le divorce, pour d’autres cette période est ramenée à un an. Lorsque l’un des conjoints commet l’adultère pour une raison d’éloignement, l’islam le condamne. »
Il n’y a même pas une semaine qu’une femme est venue se confier. Son mari est parti à l’aventure en France il y a environ dix ans. Il avait un problème de papier et depuis qu’il l’a eu, la femme lui demande de venir et il refuse. Maintenant la femme dit qu’elle ne peut plus supporter cette absence. Avant qu’elle ne commette l’adultère elle veut divorcer » témoigne l’imam. C’est pourquoi, dira t-il, les femmes doivent apprendre à connaitre leur droit dans le mariage. L’éloignement peut expliquer l’adultère, mais ne le légitime pas « Même si la personne part en laissant son épouse pendant un, deux, trois, voire six sans, sans donner de nouvelles, on ne prononce pas automatiquement le divorce. Si l’épouse peut continuer à patienter, elle reste dans les liens du mariage« souligne Toubaye Koné Président du tribunal de première instance de la Commune IV.
En revanche, il indiquera que les épouses des migrants ne viennent pas se plaindre tant que leur mari continue à leur envoyer de l’argent. Il précise, cependant que c’est quand le mari coupe définitivement le pont, qu’elle peut déclencher une action en justice pour rompre le mariage. Même si au niveau du tribunal, il n’y a pas de statistique par rapport à ces divorces, Toubaye Koné affirme qu’il leur arrive de traiter ce genre d’affaire. Et d’ajouter que d’autres motifs peuvent entrainer le divorce à savoir l’incapacité à subvenir aux besoins élémentaires de la femme. Une femme qui n’a pas de satisfaction sexuelle avec son mari, pour ne pas commettre l’adultère, peut demander le divorce. Des avortements et des infanticides pour cacher la honte Pour Me Nadia Camara Présidente de l’Association des jeunes avocats du Mali, les femmes qui attendent plusieurs années leurs maris partis en aventure sont délaissés du point de vue du droit.
Elle signale à cet effet que quand le lien conjugal n’est pas consommé, cela amène la femme qui cherche à satisfaire son désir sexuel ailleurs. Elles peuvent avoir des grossesses indésirées. Pour masquer la honte elles font des avortements clandestins ou des infanticides. L’immigration existe depuis la nuit des temps Pour le président des communicateurs traditionnels, Cheik Oumar Soumano, l’immigration existe depuis la nuit des temps. Et la pratique n’est pas mauvaise en soi. Car selon lui, les personnes qui migrent le font pour des raisons économiques et pour un bien être social.
Il est d’avis que certaines épouses d’immigrés souffrent en leur absence. Même s’il trouve que le sujet est tabou, vue la situation, aujourd’hui, on doit faire une autre lecture des réalités locales. Donc par rapport à cela il y a des décisions à prendre. Naturellement des décisions qui ne vont pas contre les principes de l’Islam Les limites de l’individu devant l’insatisfaction des besoins biologiques Du point de vue de Dr Tieman Coulibaly sociologue et chercheur à l’institut des sciences humaines, l’épouse du migrant qu’elle ait sont autonomie résidentielle ou qu’elle soit soumise au mode de vie de la famille élargie, vit le drame de la solitude du couple séparé. Cette solitude qu’elle vit de manière lancinante dans sa chair au quotidien est exacerbée par les intolérances religieuses et culturelles. Mais malgré la surveillance collective, leur sens élevé de la contenance, le temps finit par avoir raison d’elles et les conséquences de cette faiblesse humaine sont souvent désastreuses. Enquête réalisée
par Ramata TEMBELY SOURCE: L’Indépendant du 2 novembre 2012.