Empêtré dans une affaire de blanchiment d’argent à Paris, le richissime gabono-malien a trouvé refuge dans le paradis
offshore du Panama, où il se trouve être détenteur de deux grandes compagnies.
Seydou Kane, le puissant homme d’affaires gabono-malien, est dans le cercle des «petits princes» du Panama. C’est ce qu’on apprend dans les données internes de la firme Mossack-Fonseca qui nous sont parvenues.
Les déboires du milliardaire avec la justice française, qui l’avait arrêté et ensuite relaxé en novembre 2015, sous cautionnement judiciaire, n’ont pas semblé inquiéter la firme panaméenne.
Après une trentaine d’années passées au Gabon, le puissant homme d’affaires
s’est vu attribuer des faveurs exorbitantes au Gabon et au Mali en passant par le Sénégal. Aussi, dispose-t-il dans chacune de ces trois Nations d’un passeport diplomatique lui permettant de mener ses affaires, sans embûches.
À la tête d’un véritable empire financier estimé à plusieurs dizaines de milliards de Fcfa, le natif de Madina, à Nioro du Sahel au Mali, nourrit chaque Ramadan cinq-cents personnes, nous apprennent ses proches, qui mentionnent également le financement chaque année du pèlerinage à la Mecque pour une vingtaine de fidèles musulmans. Mais les nombreuses actions de bienfaisance du magnat pourraient être ternies par nos révélations sur ses activités financières. En effet, Seydou Kane s’est attaché les services de Mossack Fonseca à Panama City, pour créer deux sociétés offshores.
Cabinet d’avocats basé au Panama et disposant de plus de 40 bureaux dans le monde, Mossack Fonseca est spécialisé dans l’implantation de sociétés dans divers paradis fiscaux. Il a été accusé d’aider les citoyens étrangers à contourner le fisc et d’être impliqué dans le blanchiment d’argent.
Quoi qu’il en soit, les données internes de Mossack Fonseca illustrent une belle «complicité» avec Seydou Kane. L’entremise de la firme panaméenne permet ainsi au militant du parti au pouvoir gabonais de mener ses affaires à l’abri du
secret. Plusieurs dizaines de mails reconstituent la nature des activités de Seydou Kane dans la gestion de ses deux sociétés.
Aveugle ou complice ?
Avant d’accepter un client, la société panaméenne est censée vérifier son profil.
Mais il semble que les informations données dans les médias africains et occidentaux sur Seydou Kane ne l’ont pas fait hésiter.
«Quelle que soit l’explication que l’on pourrait trouver, l’attitude de Mossack Fonseca fait planer les signaux d’une probable complicité», à en croire Moussa Sanogo, spécialiste en finances.
En effet, selon nos informations, l’homme d’affaires a véritablement démarré ses activités avec le géant panaméen en 2013. Les références du passeport retrouvé dans l’un des mails démontrent qu’il s’agit bien de Seydou Kane. Un mail datant de cette année évoque la création de la société Smart Key.
Par ce même canal, l’homme d’affaires lancera en 2014 une seconde compagnie, baptisée Maxi Gold International Limited. Même si, au sujet de Maxi Gold International Limited, l’on parle à plusieurs endroits d’une société de négoce (de «sundries», c’est-à-dire des éléments variés dont on ne prend pas la peine de préciser la nature), nos investigations ne nous ont pas permis de savoir la nature exacte des activités de ces sociétés montées de toutes pièces. «The company’s business activity is trading of gym», c’est le libellé du mail indiquant l’objectif de la société Smart Key LTD, créée plutôt, qui opérerait dans le commerce d’équipements de gym.
Au fil de plusieurs dizaines de mails émis entre 2013 et 2014, il apparaît clairement que Seydou Kane exerce une autorité réelle sur ses deux joujoux. Toujours identifié sous la Boîte postale 3196 (Libreville, Gabon), l’homme d’affaires est cité dans tous les mails confidentiels envoyés par Mossack
Fonseca.
Quelques clichés permettent de cerner les facettes d’une mise en scène.
Alors même que l’influent cabinet affirme ne pas être impliqué dans la gestion des entreprises de ses clients, ses agents peuvent opérer en douce.
L’assistante (toujours la même) administrative chargée de la clientèle pour M. Kane est constamment à la manœuvre. Elle est en effet à la base de plusieurs échanges de mails formulés en anglais au nom de Mossack Fonseca.
«En excluant les honoraires professionnels que nous gagnons, nous ne prenons pas la possession ou la garde de l’argent des clients, ou avoir quelque chose à voir avec les aspects financiers directs liés à l’exploitation de leurs entreprises», se défend le porte-parole de la firme.
Un mail du 16 mars 2013 indique que Seydou Kane partage le capital de l’une de ses sociétés. Celui-ci s’élevait à 50 000 dollars américains.
Mossack Fonseca commence par s’assurer de l’identité de son client Seydou Kane, avant d’engager la moindre opération. «Please confirm if the person listed and our client Mr. Seydou Kane are the same person», stipule le libellé d’un
mail au sujet de la compagnie Maxi Gold International Limited, émis par Mossack Fonseca le 21 mars 2014. Dans un échange un peu plus récent,datant du 8 mars 2014, il apparaît que Seydou Kane a droit à 50 000 actions dans la société Maxi Gold International Limited.
«Veuillez noter que l’actionnaire actuel est le bénéficiaire de l’entreprise et l’activité de la société est de conduire un négoce (divers) en Chine», stipule ce message.
Un autre courriel daté du 25 juin 2013 fait état de la démission de l’administrateur italien, Manuel Delfino. Elle a été adressée au Conseil d’administration de la société Smart Key LTD avec mention de Seydou Kane. En réponse à une correspondance de Smart Key LTD sur l’achat d’équipements, envoyée en 2013, Seydou Kane appose sa signature au bas d’un mail demandant d’agir en son nom.
Dans le collimateur de la justice française Le protégé du régime d’Ali Bongo, président du Gabon depuis 2009, est dans
le viseur de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (Oclclif) en France, dans le cadre d’une enquête pour corruption d’agent public à l’étranger.
Arrêté le 18 novembre 2015, puis placé en garde-à-vue, l’homme d’affaires avait fait l’objet d’une mise en examen pour «corruption d’agent public étranger, abus de bien social, blanchiment en bande organisée, recel, faux et usage de faux». Pour recouvrer sa liberté, il a dû miser gros en déboursant à titre de cautionnement judiciaire la somme de plus d’un milliard de Fcfa.
Un document du Sénat américain (http://star.worldbank.org/corruption-cases/sites/corruption
cases/files/documents/arw/Obiang_US_Senate_Foreign_Corruption_Report_Feb_2010.pdf) sur la corruption à l’étranger cite en bonne place Seydou Kane dans une affaire de corruption avec le président du Gabon.
Le document indique le transfert, le 24 mars 2005, depuis Monaco, de 9 975 dollars par
l’homme d’affaires.
Le 27 mai 2004, la même somme avait été envoyée sous l’intitulé : «Wire Transfer from Seydou Kane Credit Lyonnais NY-
BERLMCMC Banque De Gestion Edmund Rothschild Monaco».
Même si les données sources auxquelles nous avons eu accès ne permettent pas à notre enquête de livrer tous ses secrets sur la dimension du business de Seydou Kane, il apparaît que l’homme d’affaires a pris goût aux activités panaméennes… pourvu qu’il ne paye pas d’impôts.
Il n’a pas daigné émettre la moindre explication sur ses activités.
À sa place, Mossack Fonseca l’a fait de façon indirecte et imprécise.
Selon son porte-parole, Carlos Sousa, directeur des relations publiques, le cabinet effectue à chaque fois une vérification diligente et complète sur tous ses nouveaux et futurs clients.
Se gardant de prononcer le nom de celui que les documents officiels de la firme reconnaissent comme un client véritable (Seydou Kane), le porte-parole du géant panaméen poursuit : «La personne mentionnée dans votre questionnaire n’est pas parmi nos clients.
Et puis, nous ne pourrons pas répondre à toutes les questions liées à l’information privée concernant notre entreprise. Nous ne pouvons pas fournir des réponses aux questions qui se rapportent à des questions spécifiques, car cela constituerait une violation de nos politiques et de l’obligation légale de maintenir la confidentialité des clients».
Et d’ajouter : «Quant à vos allégations au sujet de cette question, nous ne savons pas quelle est la source de vos informations et nous rejetons catégoriquement leur véracité.
Nous vous encourageons à vérifier vos sources et de comprendre comment cette entreprise a fonctionné historiquement par
rapport aux changements qui ont eu lieu récemment pour assurer la transparence dans l’identité des bénéficiaires…et d’améliorer les garanties au sein du système financier international dans lequel Mossack Fonseca opère», conclut notre interlocuteur.
Le cabinet n’exclut tout de même pas que ses services puissent être utilisés de façon abusive : «Nous regrettons toute utilisation abusive des entreprises que nous incorporons ou les services que nous fournissons, et prenons des mesures chaque fois que possible de découvrir et d’arrêter une telle utilisation…». «Les entreprises que nous incorporons ne sont pas utilisées pour l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme ou à d’autres fins illicites», confesse-t-il.
Avant d’ajouter : «Si la raison N°1 pour créer une société offshore est de payer moins d’impôts, l’homme d’affaires Seydou Kane, nous apprend un de ses proches interrogé à Nioro du Sahel, veut surtout optimiser ses revenus en fuyant tout simplement une pression fiscale qu’il juge de plus en plus forte.
Les réformes fiscales jugées très austères amorcées au Gabon en 2013 en seraient-elles donc la cause de ce scandaleux désistement ?
Enquête réalisée par David DEMBELE Avec l’assistance éditoriale d’ANCIR et l’accompagnement technique du Consortium International du Journalisme d’Investigation (ICIJ)
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