Le processus ubuesque et absurde représente, quelle que soit sa justification, pour tous les démocrates africains du Mali et d’ailleurs, une défaite idéologique face à la force brutale, aux compromissions en tous genres d’une partie des élites maliennes et aux pires turpitudes. C’est d’autant plus désolant et cynique que c’est le père de cette même constitution qu’on veut faire partir alors que son départ acté depuis, des lustres, devrait, mécaniquement, intervenir au plus tard le 8 juin. On a un exemple récent dans un pays de l’Afrique de l’Ouest, la Mauritanie, en l’occurrence. A cet effet, celui du Mali devrait servir à enrichir toute démarche jurisprudentielle en la matière et permettre une comparaison utile.
En Mauritanie, le Président Ould Cheikh Abdallahi, démocratiquement élu lui aussi, aura démissionné après un coup de force conduit par un militaire en charge de sa sécurité et de surcroit son Chef d’Etat-Major particulier qu’il venait de limoger. La nature et la cause sont les mêmes : la brutalité, la transgression du droit, le piétinement et la confiscation de la légitimité populaire. Un autre élément de comparaison est l’existence d’un Accord Cadre à ceci près que pour la Mauritanie, le lieu de l’assassinat est Dakar. Plus substantiellement, l’essence juridique est la même : le retour à l’ordre constitutionnel. Toute la question est dans le comment ? Dans les deux cas de figure, l’intérim est prévu en cas d’empêchement absolu ou définitif constaté par l’autorité compétente : le Président du Sénat pour la Mauritanie et celui de l’Assemblée Nationale pour le Mali. Par ailleurs, aucun des Présidents intérimaires ne saurait exercer les prérogatives du Président démissionnaire.
Au Mali, il est clairement écrit selon la Constitution qu’en cas de vacance « il ne peut être fait application des articles 38, 41, 42 et 50 » (cf. Article 36). Ces articles visent particulièrement la nomination du Premier Ministre, Chef du Gouvernement et les Ministres (Art 38), le référendum et la ratification (Art 41), la dissolution (Art 42) et la prise des mesures exceptionnelles (Art 50). En somme, avant sa démission effective, le Président doit prendre toutes ces décisions pour un retour au véritable ordre constitutionnel.
En Mauritanie, avant de démissionner, le Président Ould Cheikh Abdallahi a nommé le Gouvernement intérimaire chargé de gérer la période transitoire et exceptionnelle et pris tous les actes associés conformément à la constitution de son pays. Malgré notre ferme condamnation du coup d’Etat, tout le processus aura été conforme au droit.
Au Mali, on ne saurait en dire autant. C’est une violation flagrante de la Constitution, des lois et règlements qui est en cours. C’est même grotesque et mensonger que de parler d’autre chose. La démission du Président Touré, acceptée par lui-même pour éviter les blocages et pour l’amour de son pays, ne résout pas tout. Elle aurait dû être l’aboutissement d’un processus clair édicté par la loi fondamentale du Mali. En effet, cet acte majeur et héroïque du Président Touré, mécanisme déclencheur de tout le processus, se devait d’être précédé de la nomination du gouvernement et de la prise des mesures exceptionnelles conformément aux dispositions de la Constitution du 25 février 1992 notamment en ses articles 38 et 50 par le Président démissionnaire. En effet, dans son infinie sagesse, le législateur du Mali a encadré toute cette démarche pour éviter les mesures à l’emporte-pièce souvent aventureuses et hasardeuses. Le retour à l’ordre constitutionnel ne saurait être un slogan ou un pis-aller. C’est une mécanique fondée sur des normes desquelles découlent des actes qui fonctionnent à l’image des poupées gigognes.
Compte tenu de la pièce de théâtre de mauvais goût jouée en lieu et place de prescriptions de l’ordonnancement juridique de la République du Mali, tout est faux et anticonstitutionnel. Le seul gouvernement légitime du Mali est et demeure celui du Président démissionnaire nommé conformément aux dispositions de l’article 38.
D’ailleurs, les partenaires au développement ne sont guère tombés dans ce piège en suspendant les crédits du Mali. Le nouveau gouvernement est plutôt une structure fantoche c’est-à-dire ne méritant pas d’être pris au sérieux et qui tient à un fil dans la mesure où, en l’absence de la force de la règle de droit, il est soumis aux coups d’accordéon associés au comportement incertain d’une clique aventureuse.
Le retour à l’ordre constitutionnel suppose une reprise de tout selon ce qu’édicte la Constitution du Mali et conformément à la jurisprudence Mauritanie. Le Gouvernement nommé par le Président Intérimaire agira en toute illégalité. C’est pourquoi un moment ou à un autre ses membres répondront de leur forfaiture.
Irène COULIBALY
L’ Indicateur Du Renouveau 26/04/2012