En effet, l’un des journaux, Lafia Révélateur, qui, hier seulement, écrivait que ni les mouvements indépendantistes ni les soldats libyens revenus au Mali ne constituent un danger pour le pays, se rétracte tout d’un coup. Le titre de sa parution du 23 novembre 2011 est plus qu’évocateur d’un virage à 180 degrés: «Mouvements indépendantistes au Nord Mali: Que doit faire l’Etat?» La conclusion de l’article sonne comme un avertissement aux autorités, incapables d’anticiper les événements: à savoir la collusion entre mouvements indépendantistes et combattants de la guerre: «les mouvements indépendantistes sont apparemment décidés à aller loin. Et c’est pourquoi l’Etat ne doit pas dormir aussi. Au moment où les responsables de ces mouvements sont connus, pourquoi l’Etat ne suit pas et ne contrôle pas toutes leurs actions? Comment ces gens arrivent à faire des recrutements au Mali sans que l’Etat ne s’en rende compte et les en empêche? Pourquoi ne pas circonscrire leur seule et unique base?».
Il faut admettre, hélas, qu’ATT et son gouvernement n’ont rien fait pour empêcher l’arrivée massive de combattants libyens sur le territoire malien. Tout au moins, ATT aurait du faire cantonner ces combattants, c’est-à-dire les désarmer. Gouverner c’est prévoir et le Général Président sait mieux que moi ce que l’art de la guerre enseigne en pareille situation. Comment comprendre que le Général Président n’ait pas pu voir venir cette agression contre notre territoire de soldats libyens d’origine malienne, alors que la guerre faisait rage et que Kadhafi, leur parrain, avait déjà perdu tout espoir de conserver son pouvoir. Où étaient nos services de renseignements et que faisaient-ils pendant ce temps Ils sont pourtant toujours prompts à traquer ou à mettre sur écoute de simples citoyens pacifistes. Des questions qui sonnent comme le glas d’une défaite annoncée, d’un abandon d’une partie du territoire.
Quand on analyse tout ce qui se passe dans cette partie nord du Mali, on est en droit de se demander si l’Etat n’y était pas absent depuis belle lurette. Depuis la signature du Pacte national, l’autorité de l’Etat dans cette partie du pays est mise à rude épreuve. L’incorrigible Bahanga et les multiples soubresauts de la rébellion n’ont laissé aucun répit à des forces de sécurité et de défense sans défense. C’est la seule explication que le citoyen lambda que je suis peut avancer pour admettre l’inadmissible, c’est-à-dire la présence de combattants avec un arsenal de guerre sur le territoire malien. Et, comme si cela ne suffisait pas, le Gouvernement d’ATT, dans une précipitation débilitante, envoie en guise de bienvenue ses supers ministres, avec des sommes sonnantes et trébuchantes et des cadeaux auprès d’eux. Un gouvernement digne de ce nom réfléchirait par deux fois avant de dépenser l’argent des honnêtes citoyens contribuables maliens pour des combattants armés qui, jusqu’à preuve de contraire, restent des militaires libyens déserteurs. Pendant qu’ATT supplie ces déserteurs de l’armée libyenne d’accepter les cadeaux, au nom de la République, pour «services rendus», d’autres Maliens, rentrés de la même Libye sans armes et sans bagages, végètent dans la nature, quelque part, dans l’anonymat total. «Celui qui détient l’arme détient la vérité!». Dommage pour cette vaillante diaspora!
Le Gouvernement, sans douter de rien, dans un amateurisme déconcertant, vient de poser un acte grave de conséquences, que nos «héros de la guerre de la Libye» utilisent à fond pour humilier davantage les autorités maliennes et le Mali tout entier. En effet, malgré toute la sollicitude et la générosité d’ATT et de son Gouvernement, nos braves soldats libyens du Mali refusent toujours de remettre leurs armes. Pourquoi devraient-ils le faire aussi naïvement et facilement? Eux, qui sont en position de force pour négocier, ont certainement lu le génie chinois en stratégie militaire, Sun Tzu, qui écrivit, six ans avant Jésus Christ, dans son classique «L’art de faire la guerre», je le cite, «lorsque l’ennemi vous offre une opportunité, saisissez-en vite l’avantage».
Les mouvements indépendantistes aussi ont bien compris cela et profitent de l’arrivée des combattants pour occuper le terrain laissé militairement. Pendant ce temps, au sommet de l’Etat, on continue de privilégier les réseaux occultes de négociateurs pour calmer la situation. On ne se préoccupe pas de savoir pourquoi les mêmes causes produisent les mêmes effets. N’est ce pas les mêmes négociateurs qui arpentent depuis toujours les hauteurs de Koulouba et de l’Adrar, pour soi-disant ramener à la raison les frères égarés? Le résultat est toujours le même. On se distribue les contenus des mallettes de Koulouba, on accepte de rejoindre pour une énième fois les rangs de l’armée nationale, qu’on a intégrée suite aux accords du Pacte national; c’est l’accalmie pour ATT, qui peut s’occuper sereinement de ses logements sociaux et de ses amis les tout-petits.
Puis, tout à coup, rebelote… Re-désertions… Et reprise de pourparlers, par l’intermédiaire des mêmes négociateurs. Ainsi va la vie dans la partie nord du pays de l’homme du 26 mars. Point n’est besoin d’être dans les secrets de ces négociateurs pour comprendre leur stratagème contre l’Etat. Se rendre incontournables pour négocier, afin de préserver leurs propres intérêts. S’enrichir sur le dos de ceux avec qui et pour qui ils négocient et rester dans les grâces des pouvoirs successifs de Koulouba. Le cas le plus patent est celui d’Iyad Ag Aghaly, l’homme par qui la rébellion de 1990 a débuté. Insaisissable, au centre de toutes les rébellions et de toutes les négociations, il sera encore là pour diriger des négociations, avec comme toujours des mallettes remplies de provisions. Avec tout ce qui se trame au Nord, c’est l’occasion idéale pour nos incontournables négociateurs, comme Iyag Ag Aghaly et d’autres, de reprendre du service. On imagine aisément que Koulouba ne désemplit pas ces derniers jours.
Il faut parer au plus pressé, ensuite réfléchir. Toutes les ressources sont mises à profit. Des officiers supérieurs, ressortissants du Nord et notabilités se bousculent au portillon de Koulouba, pour apporter leurs preuves d’allégeance et proposer leurs talents en matière de négociation. Avec la bénédiction du maitre des lieux, nos experts ès sécurité occultes, chargés de mallettes remplies de cadeaux alléchants, se relayeront sur le terrain, au point que les incessants va et vient des convois de véhicules tout terrain provoquent dans le désert des embouteillages entre Gao et Kidal.
Dans cette cacophonie de marchés de dupes, chacun y va de son imagination. Nos honorables députés, qui ont décidé d’aller parlementer sous les rochers de l’Adrar avec leurs «frères», en ont eu pour leur compte. Ils ont été éconduits par des propos d’une rare violence par «leurs frères», qui ont pourtant accepté d’empocher les millions de francs CFA et autres friandises qu’ATT s’était empressé de leur envoyer, par l’intermédiaire de ses Ministres. Nos braves parlementaires, le mot n’est point fort dans le cas présent, qui ont confondu leur palais de Bagadadji avec un temple des combattants, n’avaient que leurs bouches pour nous rapporter ce qu’ils ont entendu: «Nous n’avons rien à nous dire! Nous sommes le peuple de l’Azawad. Vous, vous êtes le Mali. Nous sommes sur notre territoire, on n’a rien à vous dire. Vous êtes des parlementaires? Ça, c’est l’affaire du Mali. Nous, nous sommes chez nous. Terminé. Vous dites que nous devons écrire au Président de la République? Votre Président de la république n’est pas notre Président ».
No comment! Sinon l’amer constat qui saute aux yeux: l’autorité de l’Etat n’a jamais été aussi bafouée et malmenée. Des représentants de la République à genoux devant des combattants d’une armée étrangère, pour négocier quoi? Allez savoir. Comment diantre les forces de défense maliennes ont-elles pu laisser entrer sur le territoire des combattants armés? Incapacité d’anticipation ou insuffisance des moyens mis à leur disposition? Ils, les chefs militaires, se cloitrent dans leur mutisme légendaire pour protéger le secret-défense, mais eux, les soldats, qu’on attrape comme des lapins parce que ne disposant pas des moyens suffisants et adéquats, finiront par exiger de leurs chefs les moyens pour défendre le territoire national.
Pourquoi ne le feraient-ils pas, quand d’autres officiers, parce que ressortissants du Nord, peuvent rompre le sacro-saint silence de la Grande muette qu’est l’armée, au grand dam de leurs chefs hiérarchiques militaires. En effet, depuis un certain temps, ces officiers du Nord interviennent dans les medias pour expliquer leurs convictions patriotiques et leurs activités de sécurisation sur le terrain. Tous ces manquements sont permis et excusés par la chaine de commandement militaire, pourvu que cela apporte un répit au Général Président, qui vit les pires moments de son dernier mandant.
Du cargo Air Cocaïne, véritable thriller aux odeurs maliennes, en passant par la rocambolesque libération des otages français, au retour des combattants libyens au Mali, que d’incohérences et de tâtonnements dans la gestion sécuritaire du Nord Mali! L’énormité de l’étendue de la zone ne saurait à elle seule être une excuse pour nos autorités. Depuis longtemps, ce n’est un secret pour personne, l’Etat n’est plus présent dans cette partie du pays. La nature ayant horreur du vide, très vite les trafiquants de tous genres, Al-Qaïda et les jeunes désœuvrés ont pris le relais.
Aucun nationalisme ne nous aveuglera pour ne pas croire finalement à ce label collé à notre image: «Le Mali est le maillon faible dans la lutte contre le terrorisme dans la bande sahélo saharienne». Des pays limitrophes, comme la Mauritanie ou le Niger, qui ne sont pas mieux lotis militairement que le Mali, traquent sans relâche les hommes armés sur leur territoire, et même sur le nôtre! La Mauritanie bombarde tout le temps des camps d’AQMI dans le Ouagadou au Mali. Récemment, grâce à la vigilance des forces de sécurité nigériennes, auxquelles il faut rendre hommage, des combattants libyens qui se rendaient au Mali ont été neutralisés. Les langues commencent à se délier, au sein même de la majorité présidentielle d’ATT, pour dénoncer et fustiger le laxisme du pouvoir. Le député Adema de Bourem Ibrahim Ag Mohamed Saleh s’en est vigoureusement pris à Koulouba dans un entretien accordé à Jeune Afrique.Com publié dans le journal Le Républicain du 23 Novembre 2011. Il parle de «Complicité en haut lieu avec les trafiquants de drogue et Aqmi». Et, comme pour compliquer une situation déjà confuse, nous apprenons la rocambolesque histoire d’un Français, accompagné par un député de la République, blessé à la sortie de Gao. Qui était ce Français? Que faisait-il dans ce bled perdu du Nord? Une zone pourtant fichée sur la liste des zones rouge de son pays, la France. Autant d’interrogations qui ne rassurent pas le citoyen lambda sur la capacité de l’Etat à garantir la sécurité des personnes et des biens.
Et, comme si cela ne suffisait pas à notre peine, les événements, survenus en moins de deux jours d’intervalle, à Hombori et à Tombouctou, nous rappellent les tristes souvenirs du début de la rébellion de 1990. En effet, l’enlèvement de deux Français à Hombori et de trois touristes étrangers à Tombouctou, en plein jour et au nez et à la barbe de nos forces de sécurité, impuissantes, plongent tout le Nord Mali dans la peur et le désarroi. Le risque est grand de voir de pauvres citoyens pris dans l’engrenage du climat d’insécurité, tout simplement à cause de leur appartenance ethnique. C’est pour éviter les amalgames que nos forces de sécurité et de défense doivent anticiper les événements et non faire le sapeur-pompier. La tension risque de monter d’un cran les prochains jours dans les trois villes du Nord que sont Gao, Kidal et Tombouctou, où l’on ne compte plus les enlèvements de personnes et de leurs biens. L’autorité de l’Etat est dangereusement compromise là-bas, au Nord Mali.
Terrible fin de règne pour l’homme du 26 mars. Pour le grand bâtisseur des Attbougous, routes et ponts, c’en est une. Le Général Président a appris certainement de Sun Tzu, l’auteur de «L’art de faire la guerre» qu’il faut savoir saisir les occasions. Le Général souhaite certainement calmer la situation, faute de n’avoir jamais cherché à la résoudre, le temps pour lui de remettre le «to kalaman» dans les mains de son successeur. Acculé et accusé de toutes parts, le soldat ATT, partisan du concept «Vaincre sans combattre», ne devrait-il pas enfin se rendre compte que sa politique sécuritaire a atteint ses limites?
La seule solution qui vaille est la fermeté, dans toute sa rigueur. La fermeté dans la défense du territoire national, en traitant les combattants armés qui refusent de déposer leurs armes comme des ennemis armés. La fermeté dans le respect du règlement militaire pour tous les soldats, car il est grand temps de redonner à l’armée toutes ses lettres de noblesse. La loi militaire doit s’appliquer dans toute sa rigueur aux déserteurs de l’armée qui, hélas, continuent de faire des va et vient, au gré de leurs humeurs, entre l’armée et les groupes rebelles. Et, enfin, la fermeté dans toute sa rigueur, pour protéger les populations civiles qui sont victimes des représailles de nos forces de sécurité à la place des vrais coupables.
Notre Général n’a pas d’autre choix. Il doit changer de stratégie s’il veut tuer dans l’œuf ce qui, à n’en pas douter, ressemble à une énième rébellion sous son règne. Car, comme l’écrivait Honoré de Balzac, «un pouvoir impunément bravé touche à sa ruine».
Port-Au Prince, le 28 Novembre 2011
Yachim Yacouba MAIGA
Le 22 Septembre 30/11/2011