Et voilà qu’à la surprise générale, tout démarre en fanfare avec le premier coup de clap honoré par la présence du ministre de la Culture. Sans que les résultats du concours ne soient officiellement proclamés. Interrogé par le journal « L’Indicateur du Renouveau » à savoir combien de candidats frustrés étions-nous dans cette situation ? Une dizaine, soutient mordicus le directeur général du CNCM qui s’empresse d’ajouter qu’il a lui-même, par téléphone, informé des résultats tous les malheureux candidats…
Sauf le candidat Ousmane Sow et de se confondre ensuite en excuses. Premier couac. C’était pour couper court aux rumeurs dénonçant la nébuleuse qui pouvait entacher de partialité le concours. J’étais très bien renseigné par une taupe qui me rapporta que seulement deux candidats avaient soumissionné : un certain Ouologuem et moi-même. Je suis prêt à la confrontation. Le CNCM est encore en possession des scénarii dont le mien. A son directeur maintenant de prouver qu’il n’y avait pas que deux, mais dix candidats dans la course. « Haut-Bas Haut-Bas » ne sera pas une première ; c’est une pratique courante au CNCM.
Il y a quelques années, dans les mêmes turpitudes et la même opacité, le film « Damonzon » a été réalisé… Très discrètement, un obscur jury mis en place trancha en faveur d’une équipe de scénaristes. Le CNCM m’approcha non comme scénariste cette fois, mais pour me confier la direction d’acteurs. Quand à ma demande, j’ai voulu rencontrer le réalisateur, l’échange n’a pas été fructueux, au contraire, le réalisateur s’en offusqua.
Alors que je ne voulais que tout simplement partager sa vision du film. Après cet incident, j’ai été débarqué sans autre forme de procès par le directeur, mon employeur. J’ai tout compris après. Le réalisateur en question était paraît-il sur le point de partir à la retraite et qu’il fallait lui octroyer la réalisation de « Damonzon ». Il aura tout loisir de tripatouiller les fonds. C’est normal ! Après de loyaux services rendus à l’Etat, un agent du CNCM doit mériter une retraite dorée.
Silence, on tourne !
Puisque enfin l’énigmatique lauréat sort de l’ombre. Un grand comédien d’un immense talent qui a déjà écumé toutes les scènes de théâtre et tous les plateaux de cinéma. Il a été révélé au grand public en 1987 par « Wari ». C’est un vieux compagnon de route, un collègue enseignant que je côtoie tous les jours au Conservatoire Balla. F. Kouyaté. Rien ne nous oppose, mais pour autant, je n’esquiverai pas son nom par pudeur, estimant qu’il occupe le centre du débat pour avoir joué le rôle de bouc émissaire dans cette affaire. J’ai nommé Gabriel Magma Konaté.
Magma a-t-il été véritablement un candidat ? Il aurait même bénéficié d’une résidence d’écriture, affirme encore le directeur. Deuxième couac ! Je m’inscris en faux contre cette allégation. En voici la preuve cinglante. Curieusement c’est au même moment où s’ébruitait le choix du jury porté sur Magma que celui-ci m’approcha et me proposa un projet d’écriture pour un éventuel feuilleton ; il voulait savoir à combien peut revenir mon cachet par épisode ? Je lui propose 150 000 F CFA.
« Et pour les amis… ? » tente de marchander Magma. On verra le moment venu, répondis-je. Je n’ai plus revu Magma. Cela prouve à suffisance que l’heureux gagnant du concours n’avait pas accouché d’une seule réplique du sitcom encore moins d’un épisode, on peut en déduire donc qu’il n’a pas en réalité postulé. Aujourd’hui, je sais par ouï-dire qu’il est le scénariste retenu définitivement par le CNCM, une faveur obtenue par le truchement du gré à gré. Un délit condamnable.
Silence, on tourne !
Personne ne pourra plus arrêter la machine, empêcher les caméras de tourner. Les jeux sont déjà faits, les dés pipés. Et vogue la galère !… C’est dans le quartier populaire du Badialan, dans une concession et plus précisément dans un salon exigu que se dérouleront les 52 épisodes du sitcom… Et avec, tenez-vous bien à l’affiche seulement deux comédiens ! La fable est celle d’un couple confronté aux difficultés de leur ménage et qui raconte les hauts et les bas que traverse leur vie conjugale.
Selon Magma, qui en est le scénariste, le metteur en scène et également l’acteur principal, la série « Haut-Bas Haut-Bas » est une suite d’épisodes indépendants bouclés en 13 minutes. Troisième couac ! Car à l’origine, le concours avait choisi le thème « Paix et réconciliation ». Mais pourquoi ce changement de cap ? Pourquoi abandonner subitement ce thème dont l’actualité ne souffre d’aucune équivoque ? Un sitcom qui à n’en pas douter aurait apporté sa pierre à la reconstruction de l’édifice national.
D’après mon jugement, il y a une raison fondamentale à ce brusque revirement. Elle est d’ordre littéraire et dramaturgique. L’écriture a ses exigences ; pour moi, écrire c’est entrer en « Kaliwa » c’est presque un don de Dieu. Je sais de quoi je parle pour avoir écrit « Walaha », le « Grin », « Bajènè »… Et autres feuilletons radiophoniques. Qu’on me pardonne ce manque de modestie contraire à ma nature ; d’habitude, je passe inaperçu, je rase le mur.
Construire une histoire de longue haleine n’est pas aisé et comporte des risques d’essoufflement du scénariste, entraînant du coup l’effondrement de l’unité de l’action dramatique prônée par Aristote dans la « Poétique » 450 avant J.-C. Il est évident que « Paix et réconciliation » au plan dramaturgique n’était pas à portée de main. C’est pour contourner tous ces écueils qu’on s’est, en désespoir de cause, rabattu sur « Haut-Bas Haut-Bas ».
Silence, on tourne !
« Haut-Bas Haut-Bas » fonce, plus rien ne l’arrêtera ! Déjà dix épisodes enregistrés !… nous dit-on. Le temps presse, il faut aller vite… Personne ne doit soupçonner l’odieuse malversation qui se trame dans les couloirs du CNCM. Il faut en finir avant que le scandale n’éclate, avant que ne se déchaîne la meute de comédiens que le Conservatoire et l’INA depuis des décennies déversent sur le marché du travail.
Ne sont-ils pas eux aussi des jeunes diplômés sans emploi ? Comment peut-on sans scrupule et de sang-froid, les exclure d’une production dont le budget s’élève à 80 millions de F CFA ? Et de surcroît une production nationale financée par l’argent du contribuable ! Pendant ce temps, ces jeunes comédiens plongés dans le chômage croupissent dans la misère. Ils se sont reconvertis en carreleurs, en lave-gardes, en cireurs de souliers… Ce feuilleton n’était-il pas l’occasion bénie pour eux d’exercer leur métier et d’en vivre ?
Avec arrogance, « Haut-Bas-Haut-Bas » n’engage que seulement deux comédiens, et au grand dam de la politique d’emploi des jeunes prônée par le gouvernement du Mali. Je sais à combien reviennent les cachets du couple, des cachets minables, des miettes… Pour sauver la face, on trouve l’astuce d’injecter dans les épisodes des personnages secondaires ou encore des figurants.
Deux comédiennes dont je tairai les noms m’ont confié que pour tout un épisode de Oba-Oba, elle n’ont reçu que 10 000 F CFA comme cachet.Aberrant ! Nous sommes inéluctablement dans le Oba-Oba de Tiken Jah Fakoly. Ils ont partagé le monde. Plus rien ne m’étonne. Piller nos richesses… Vous connaissez le refrain. « Haut-Bas Haut-Bas » est une histoire cousue de fil blanc. Prions Dieu que tout ça ne soit du oba-oba…
Du bluff ! La politique est bien connue : minimiser au maximum les coûts, rigoureusement serrer les dépenses au motif d’une gestion saine pour après profiter du juteux butin. La réalisation est répartie entre les agents du CNCM, il faut coûte que coûte que la cagnotte tombe dans l’escarcelle du CNCM qui, d’ailleurs, ne fait que sacrifier à la tradition. Quoi de plus normal ? C’est la famille ; tout le monde aura sa part de gâteau.
Silence, on tourne !
1, 2, 3… Moteur… Ça tourne ! La chaleur est étouffante dans la petite pièce ; comédiens et cameraman suent à grosses gouttes… Une vraie fournaise ce plateau de tournage ! Le petit salon loué à peu de frais est probablement celui d’un ami, d’un cousin. Encore une supercherie du CMCM pour amoindrir le coût de production.
Alors que je proposai dans une note d’intention l’argumentaire suivant : « Dans notre conception dramatique de paix et réconciliation, nous éviterons par mesure d’économie de tourner sur les sites historiques de Gao ou de Tombouctou, théâtre des événements survenus au Nord, mais aussi par peur de tomber dans un naturalisme béat et artistiquement pauvre. A cet effet, nous avons choisi un village où se dérouleront toutes les actions du sitcom.
Un village planétaire à l’échelle du Mali. Un village qui brassera toutes les ethnies, celles du Nord aussi bien que celles du Sud. Ce village symbolisera tous les villages martyrs qui ont souffert de l’occupation, s’y reconnaîtront Diabaly, Douentza, Ménaka, Konna, etc. Enfin ce village représentera le microcosme de tout le drame vécu par notre peuple. Peine perdue ! Montre l’or au connaisseur, dit l’adage !
Silence, on tourne !
En avant-goût, une séquence de « Haut-Bas Haut-Bas » passe à la télé, on y voit une femme déchaînée, armée d’une machette et menaçant de tuer son mari. La raison ? Tout simplement parce que le mari veut se marier en secondes noces. Ahurissant comme intrigue ! Cette femme n’est-elle pas issue d’une culture polygamique pour se rebeller à ce point ? De grâce, « Haut-Bas Haut-Bas » doit nous épargner ces scènes inspirées des films brésiliens qui ne véhiculent que des messages qui dégradent nos valeurs sociétales.
Silence, on tourne !
Coupez ! Mais enfin trop de gâchis… Où va notre cinéma ? Droit dans le mur irrémédiablement. Mais où sont les neiges d’antan ? a dit le poète et au public malien de gémir : mais où sont les Etalons du Yennega d’antan ? Ils s’éloignent… Grande déception ! Grande désillusion. Hélas ! Nous nous contenterons désormais des broutilles, des prix Cédéao, Uémoa, des prix du meilleur décor, des meilleurs costumes… et de quel prix sais-je encore ? Coupez !
Ne voyez-vous pas que nous sommes à la traîne, que pendant que les autres achètent le cheval, nous en sommes-nous à marchander sa queue ? Coupez ! Notre cinéma végète dans le bourbier de la corruption, il est gangrené par le vice du gain facile ; le mal profond qui le ronge aura raison de la vitalité que lui ont léguée nos pionniers.
Coupez ! Je crie à la fraude, au scandale. « Haut-Bas Haut-Bas » couve un autre « Opéra du Sahel », un autre gouffre financier qui défrayera bientôt la chronique. Qu’attendent les limiers du Vérificateur général pour fouiner du côté de « Haut-Bas Haut-Bas » ? Pouah ! Ça doit puer la concussion et la surfacturation.
Pris de colère et de nausée, je gueule et je dégueule… Par pitié… Coupez… Cou-pez !… Mais trop tard ! Nous sommes déjà devant le fait accompli. En moins d’un mois les 52 épisodes sont mis en boîte… Bouclés. Et le tour est joué ? Vive oba-oba !
Ousmane Sow
Auteur/metteur en sciène
Source: L’ Indicateur Du Renouveau 2014-10-21 14:30:04