Jeune Afrique : Le Mali traverse l’une des pires crises de son histoire. À quoi est-elle due, selon vous ?
Sidi Sosso Diarra : La corruption est au centre du problème. Et les Maliens en ont conscience : le contraste entre le décor en carton-pâte – les défilés avec les chars, le jour de la fête de l’indépendance – et la déliquescence de l’armée au front en 2012 a frappé les esprits. Il faut se le dire : sans Serval, il n’y aurait plus de Mali. Une telle chance ne se représentera pas deux fois.
Le nouveau président, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), saura-t-il la saisir ?
Oui, je le pense. En fait, c’est IBK qui va faire la transition. C’est un homme à poigne qui devra prendre des mesures impopulaires. Mais sa cote de popularité est immense et il bénéficie d’une bonne marge de manœuvre. Il peut cependant être freiné par son propre parti, par les militaires ou les religieux…On jugera le gouvernement qu’il choisira et son action dans la révision de la Constitution, l’assainissement des finances publiques et l’amélioration de la situation dans l’éducation, la santé, la justice…
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Lors de la conférence de Bruxelles, en mai dernier, 3,2 milliards d’euros d’aides ont été promises. Comment s’assurer qu’elles seront bien utilisées ?
Les procédures de décaissement seront très strictes. Mais il faut d’abord faire une cartographie précise des promesses pour bien contrôler l’utilisation des fonds. C’est pour cela que des 56 donateurs, j’ai contacté avec mon cabinet d’experts comptables les 14 plus importants pour leur demander de préciser leurs dons. Pour l’instant, 8 m’ont répondu, mais on peut déjà dire que la somme avancée est en réalité deux fois moins importante, de l’ordre de 1,6 milliard. De fait, il faut déduire l’aide à la Minusma, les doublons et les projets en cours dont les financements sont déjà prévus.
Vous êtes désormais libéré de votre devoir de réserve. Comment jugez-vous la gouvernance sous l’ère Amadou Toumani Touré (ATT) ?
Ça a été une vraie catastrophe. On dit que son prédécesseur, Alpha Oumar Konaré, a fabriqué une dizaine de milliardaires (en Francs CFA, NDLR). Sous ATT, on ne les comptait même plus. Et cela s’est fait en toute impunité : ATT disait qu’il ne « voulait pas humilier un chef de famille ». Résultat : personne n’a été inquiété. En plus, les sommes détournées se sont totalement évaporées. Houphouët disait « vous pouvez voler, si vous réinvestissez dans le pays ». Ici, tout part en Chine, en France, aux États-Unis… Il suffirait pourtant de faire un ou deux exemples pour freiner la corruption
Propos recueillis par Pierre-François Naudé, envoyé spécial à Bamako
Jeuneafrique2013-08-26 16:37:07