Le retour de l’Etat à Kidal, les actions entreprises avec tous les acteurs de Kidal pour les questions de développent de la région, la commission de bons offices, mais surtout la question du référendum constitutionnel ont été des sujets que nous avons abordés avec le gouverneur de la région de Kidal, basé à Gao. Pour Sidi Mohamed Ag Ichrach, le référendum est indispensable pour le processus de paix. Il estime que les groupes armés n’ont aucun intérêt que le référendum ne se tienne pas à Kidal.
Il y a deux mois, vous avez mis un cadre de concertation pour le développement de la ville de Kidal. Quelle suite a été donnée à cette initiative ?
Effectivement, après ma nomination et ma prise de fonction, j’ai organisé une rencontre à Bamako. Une rencontre qui a regroupé les femmes, les cadres, les jeunes, la société civile et les ressortissants de Kidal. Au cours de cette réunion, nous avons parlé essentiellement de paix, de réconciliation et de développement de la région de Kidal. Cette rencontre a débouché sur certaines recommandations dont la principale était de mettre en place une commission régionale chargée de la mise en œuvre des recommandations. Nous en avons confié la présidence au Dr. Akory Ag Iknane, qui est le président de la coordination des ressortissants de Kidal à Bamako.
La commission s’est réunie, elle a fait des propositions et a pris des contacts avec les différentes personnalités, les acteurs régionaux. Malheureusement, les événements qui sont intervenus dans la région de Kidal, depuis quelque temps, les affrontements entre les groupes armés, freinent les activités de la commission. Parce que ces événements limitent les activités de la commission au niveau régional. Mais nous ne nous décourageons pas, nous travaillons avec les acteurs. La commission aussi travaille avec les acteurs. Le but est d’obtenir une accalmie pour que les ressortissants, les populations de la région de Kidal, en général, se penchent sur les vrais problèmes de développement de la région. En dehors desquels, il n’y a aucun avenir et aucune possibilité de continuer de vivre ensemble.
Comment faites-vous pour administrer Kidal étant basé à Gao, alors qu’une partie de vos administrés sont à des centaines de Km de vous ?
J’avoue très sincèrement que ce n’est pas facile. Ce n’est vraiment pas facile. Mais nous utilisons les différents canaux de la société civile. Nous parlons avec les groupes armés, les deux camps, qu’ils soient de la plateforme ou de la CMA. Nous restons en contact avec les différents leaders d’opinion, notamment les chefs de fractions, les notables et les jeunes, etc. Nous menons des actions pour la protection des populations civiles, l’appui aux populations en difficulté, l’accueil des déplacés, la scolarisation des enfants, la marche des écoles, la remise en état des structures de santé. Nous avons réussi beaucoup de choses. Par exemple, cette année 2017 a vu l’organisation du DEF (Diplôme d’études fondamentales) à Kidal. Depuis 2011, cela n’était pas possible. Mais avec la collaboration de la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad), ça a été fait.
Quels en sont les résultats ?
Nous avions 90 candidats. Sur les 90, il y a eu 72 admis. C’est un très bon taux de réussite, compte tenu des difficultés qu’il y a dans la région ; compte tenu de l’insécurité, de la peur, de la qualité de l’enseignement et surtout compte tenu du fait que l’école a démarré en retard. Ça a été réussi avec l’aide des bonnes volontés, des cadres et des membres de la commission éducation que la CMA a mise en place, mais aussi avec la participation de l’administration à travers l’académie d’éducation de Kidal, la Minusma, le gouvernorat et la société civile. Dans la même lancée, nous organisons des appuis aux déplacés ; nous prenons en charge certains déplacés.
Des déplacés qui sont à Gao ou ailleurs ?
Ils sont à Gao mais un peu partout, même à l’intérieur de la région. Il y a aussi des populations qui, suite aux différents affrontements, quittent leur aire traditionnelle de pâturage pour se déplacer vers d’autres espaces à l’intérieur de la région. Nous arrivons à les appuyer à travers la direction régionale de l’action sociale, avec nos amis du PAM, avec les différents projets de développement comme le DDRK, le PIDRK. Et avec beaucoup d’ONG qui interviennent dans le social. Mais, encore une fois, je vous dis très sincèrement que ce n’est pas facile.
Actualité oblige. Est-ce qu’avec la situation actuelle, le scrutin référendaire est possible à Kidal ?
Chacun doit se convaincre que le référendum est indispensable pour le processus de paix. Les groupes armés, qui tiennent Kidal, ont autant intérêt que le reste du peuple malien à ce que le référendum ait lieu. Parce que c’est dans la nouvelle constitution qu’il y aura tout le dispositif institutionnel, qui a fait l’objet de revendications pendant la période de négociation. Et qui a été intégré dans l’accord pour la paix et la réconciliation. Cela veut dire que si la révision constitutionnelle n’a pas lieu, on se heurterait inévitablement à des difficultés de mise en œuvre de l’accord. Je ne pense pas que la position des groupes armés, quel que soit le côté dans lequel il se situe, est d’empêcher la mise en œuvre de l’accord. Je pense que la tenue du référendum est indispensable pour le processus de paix.
Vu les affrontements entre les groupes armés dans la région, le dernier à Anefif, est-ce que cela facilite les choses ?
Ça n’encourage pas mais on en a eu d’autres va-et-vient de ce genre. Comme on dit : «après la pluie, le beau temps». Ces affrontements sont regrettables mais on n’a pas pu les éviter, à cause du fait qu’il y a beaucoup de va-t-en guerre des deux côtés. Il y a, des deux côtés, des gens qui ne sont pas très sensibles au sort des populations civiles, qui veulent seulement en découdre au détriment de la paix. Je pense que c’est condamnable. Je veux dire que ce qui s’est passé n’est très favorable. Ça ne doit pas nous décourager parce que nous faisons face à des difficultés et ces affrontements, ce n’est qu’une difficulté parmi tant d’autres. Nous souhaitons que ces affrontements cessent rapidement. Nous en appelons donc à tous les acteurs pour que ces affrontements cessent et que les groupes armés, les populations, que tout le monde puisse se concentrer sur les grandes questions de développement de la région, de la coexistence et de l’entente entre les communautés.
En plus de vos initiatives, le gouvernement voudrait envoyer une mission de bons offices à Kidal. Quel commentaire en faites-vous ?
Là aussi, on n’a pas le choix. Quand vos frères s’affrontent, votre devoir est de tenter de les réconcilier. Donc l’idée de mettre en place une commission nationale de bons offices, c’est une excellente idée. Ce n’est pas parce que les gens s’affrontent sur le terrain qu’il faut surseoir à cette mission. Je pense qu’il faut la poursuivre, peut-être qu’elle aboutira, parce que dans la tête de chacun de nous il y a une logique. Le rôle de la commission c’est d’aller chercher cette logique, c’est la logique que les gens puissent vivre en paix, pour que les gens puissent s’entendre, se comprendre, participer chacun à la vie nationale. Je pense que ces affrontement, c’est la meilleure occasion d’aller sur le terrain, de tenter de réconcilier les gens qui sont en train de se battre.
Vous êtes un gouverneur serein. On dirait que vous minimisez les combats et les affrontements ?
Non, je ne minimise pas. Mais il se trouve que j’ai une grande expérience dans ce domaine-là. Je sais que chaque fois qu’il y a eu des affrontements, après il y a eu la paix. Je regrette ces affrontements. Je les regrette amèrement. J’ai la certitude qu’ils ne contribuent pas à amener la sérénité et la paix. Mais il faut faire avec, travailler pour y mettre fin.
Avez-vous un message pour conclure cette interview ?
Je lance un appel à tous les ressortissants de Kidal, à tous les notables, femmes, jeunes et les responsables des groupes armés, pour leur dire que, depuis 5 ans, la communauté internationale est au chevet du Mali pour essayer de trouver une solution au problème que nous vivons. Mais il ne faut pas se faire d’illusions, la solution à nos problèmes est entre nos mains. Ce sont les enfants de Kidal qui doivent faire la paix ; ce sont les enfants de Kidal qui doivent organiser leur vivre ensemble ; ce sont les enfants de Kidal qui doivent organiser leur intégration, le développement de leur région. Ils ne peuvent pas l’organiser si chacun tient le couteau à la gorge de l’autre. J’appelle les enfants de Kidal, j’appelle les notables de Kidal à s’impliquer plus profondément et plus sincèrement dans la mise en œuvre de l’accord et dans la réconciliation entre les enfants de Kidal.
Propos recueillis par Kassim TRAORE
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