Le président péruvien Pedro Pablo Kuczynski s’adresse à la nation lors d’un message télévisé, le 14 décembre 2017 à Lima / © Présidence péruvienne/AFP/Archives /
Le président péruvien Pedro Pablo Kuczynski affronte jeudi le Parlement contrôlé par l’opposition pour répondre des accusations de corruption dans le cadre d’un scandale qui éclabousse toute la région, et risque fort d’être destitué dans la foulée par un vote.
« PPK », comme on le surnomme deviendrait alors le premier président débarqué pour ses liens avec le géant du BTP brésilien Odebrecht, qui a reconnu avoir payé près de cinq millions de dollars à des entreprises de conseil directement liées au chef de l’Etat, alors ministre entre 2004 et 2013.
« Je n’ai pas menti, je ne suis pas corrompu », répète M. Kuczynski, en poste depuis juillet 2016, après avoir battu de peu Keiko Fujimori, la fille de l’ex-chef de l’Etat (1990-2000) emprisonné pour crime contre l’humanité et corruption, Alberto Fujimori. Elle dirige depuis l’opposition.
« Le sort du président Kuczynski est scellé », a déclaré à l’AFP l’analyste politique Luis Benavente, pour qui le dirigeant de centre droit sera destitué dès jeudi.
Le président a déposé mercredi soir un recours de dernière minute devant la justice. Pour l’heure, il n’était pas clair si cette requête était suspensive ou non.
Dans un message diffusé mercredi soir à la radio et à la télévision, M. Kuczynski a qualifié la procédure engagée contre lui de « coup d’Etat ».
« La Constitution et la démocratie sont attaquées. Sous prétexte d’interprétations juridiques prétendument légitimes, nous sommes face à un coup d’Etat », a-t-il dit, entouré de ses deux vice-présidents.
Depuis le lancement du processus de destitution, la semaine dernière, l’inquiétude grimpe d’heure en heure. Les analystes préviennent que l’économie pourrait être « durement touchée » par cette instabilité politique, et l’Eglise péruvienne a appelé à éviter une amplification de la crise.
Avec 2,7% attendu en 2017 et 3,8% en 2018, selon le FMI, le Pérou enregistre une croissance parmi les plus élevées de la région.
– 1 heure 30 pour se défendre –
Ancien banquier de Wall Street âgé de 79 ans, M. Kuczynksi avait nié dans un premier temps tout lien avec Odebrecht, avant d’être démenti par l’entreprise elle-même. Phrasé posé, cheveux gris et fines lunettes, ce cousin du célèbre réalisateur Jean-Luc Godard a occupé de nombreux postes à responsabilité durant sa carrière, passant du public au privé.
« Cela montre l’absence de vérité chez le président, ce qui constitue une incapacité morale », est-il écrit dans le texte signé par des parlementaires de différents partis d’opposition, dont le puissant Fuerza Popular dirigé par Keiko Fujimori, pour lancer la procédure.
Le gigantesque scandale de corruption Odebrecht a touché, outre le Brésil et le Pérou, des pays comme l’Equateur, le Mexique, le Panama et le Venezuela.
La semaine dernière, le vice-président équatorien Jorge Glas s’est vu infliger six ans de prison pour avoir perçu pour plusieurs millions de dollars de pots-de-vin du groupe brésilien.
PPK a demandé à l’Organisation des Etats américains (OEA) l’envoi d’un observateur pour suivre le processus de jeudi. Le secrétaire général de l’organisation Luis Almagro a donné son feu vert via Twitter.
Attendu à partir de 9H00 locales (14H00 GMT), le président péruvien, qui explique qu’aucun des paiements du groupe de bâtiment n’était illégal, disposera d’une heure 30 pour se défendre devant le Parlement unicaméral réuni en séance plénière. Son intervention sera suivie d’un débat.
– ‘Tous corrompus’ –
Pour que le président soit destitué, il faudra ensuite le vote favorable des deux tiers du Parlement, soit 87 voix sur 130. Cela apparaît comme une formalité, 93 législateurs ayant approuvé l’ouverture du processus.
Dans ce cas, son premier vice-président, Martin Vizcarra, prendrait sa place. Ce dernier s’est dit « aux côtés » du chef de l’Etat pour « l’écouter » et « éclaircir les doutes ».
Selon un récent sondage, 57% des Péruviens estiment que le président doit démissionner.
De son côté, la chef de l’opposition, qui exige la démission du président, n’est pas exempte de soupçons: Keiko Fujimori est également sous le coup d’une enquête dans le cadre du dossier Odebrecht. Appelée à témoigner devant le parquet mercredi, elle a demandé le report de son audition.
Signe de la méfiance des Péruviens envers leurs dirigeants, une marche a eu lieu mercredi à Lima pour exiger le départ de « tous les corrompus ». Parmi les milliers de manifestants qui ont défilé, certains portaient des pancartes proclamant « Qu’ils dégagent ! », « Une marche pour la démocratie », « Dehors les corrompus ».
PPK n’est pas le seul, à la tête du Pérou, à être inquiété par le dossier Odebrecht: l’ex-président Ollanta Humala (2011-2016) est en détention provisoire, accusé d’avoir reçu trois millions de dollars lors de sa campagne électorale.
Un autre ancien président, Alejandro Toledo (2001-2006), est lui visé par un mandat d’arrêt et un ordre d’extradition depuis les Etats-Unis, où il se trouve, soupçonné d’avoir perçu 20 millions de dollars.
(©AFP / 21 décembre 2017 10h07)