SALIF N. KEITA »Le groupe BSIC a octroyé 3,7 milliards d’euros de prêts à ses clients en 7 ans »

I. R. : Pouvez-vous vous présentez à nos lecteurs ?    

 

Salif Nambala Kéita : Je suis Salif Nambala Kéita, directeur du département des filiales du groupe de la Banque sahélo-saharienne pour l’investissement et le commerce (BSIC), la banque de la Communauté des Etats sahélo-saharienne dont le siège est à Tripoli. J’y suis depuis le démarrage des activités de ce groupe en 2001. Comme vous le savez, c’est une institution de la Cen-Sad, créée par les pays membres, parmi lesquels le Mali qui est un membre fondateur et de la Cen-Sad et de la banque. Le Mali occupe le 3e rang des actionnaires au sien de la Banque.

I. R. : Dans les recommandations des travaux du sommet, il a été demandé à la BSIC d’étendre ses activités au développement. Sur le terrain comment cela va-t-il se matérialiser ?

S. N. K. : La Banque sahélo-saharienne pour l’investissement et le commerce a aujourd’hui mis en place des filiales bancaires dans 14 pays membres. Ces filiales  sont des banques universelles devant entamer toutes sortes d’activités ; à savoir : le commerce, des services, des investissements et  souvent le financement ou le refinancement des institutions de micro finance. Toutefois, nous n’oublions pas qu’au départ les pays fondateurs avaient estimé que la banque devait faire le financement du développement.

Cependant, vu les ressources limitées de la banque au démarrage de ses activités  et du fait que les pays actionnaires n’avaient pas pu mettre à sa disposition les moyens promis, nous avons opté au départ pour la création de filiales commerciales. Nous nous savions qu’une activité de banque commerciale s’autofinance pratiquement avec les dépôts de la clientèle tandis qu’une banque de développement nécessite la  recherche de ressources longues  adaptées. Ceci n’était pas évident pour la banque à ce moment. C’est pour cela que dans un premier temps nous avons procédé à la création de banques commerciales qui, aujourd’hui, sont en train de prendre leur place dans l’économie des différents pays.

On ne peut pas négliger les résultats déjà atteints par ces banques commerciales. Toutefois, les pays ont, à juste titre, dit que cela est bien, qu’ils ont des problèmes de financement de développement également.

Ils ont donc  instruit à la banque d’examiner les voies et moyens permettant de consolider ce qui est fait sur le terrain avec les banques commerciales, mais aussi de ne pas oublier l’objectif de départ qui est le financement du développement, donc de trouver le mécanisme qui nous permettra de pouvoir mener également ce volet. Nous allons nous atteler à cette réflexion afin de faire des propositions à nos Etats membres (les Etats de la communauté) de manière à ce que nous poussions aussi remplir notre rôle dans ce domaine précis.

« On ne peut pas dire que le bilan de la BSIC est négatif « .

I. R. : Le président de la Cen-Sad, Idriss Déby Itno, a fustigé le bilan de la Communauté depuis sa création. Ce jugement concerne-t-il la BSIC aussi ?

S. N. K. : Il faut dire que la BSIC en tant qu’institution qui a été créée par la Cen-Sad,  a marqué son territoire. C’est vrai, les Etats ont des critiques vis-à-vis de l’organe politique de la Cen-Sad en tant que telle. Toutefois, sans trahir de secret, sachez qu’ils ont reconnu que l’élément concret de réalisation de la Cen-Sad est bien  la BSIC car, car elle  est visible dans 14 pays  avec des volumes de financement qui ne sont pas négligeables dans le domaine commercial y compris du  commerce intra- communautaire et autres.

On ne peut pas dire que le bilan de la BSIC est négatif. Les chefs d’Etat en portant ce jugement  parlaient plus de l’organisation politique où il y a beaucoup d’insuffisances où souvent les objectifs ont été oubliés sur le terrain. C’est ce recadrage qu’ils veulent faire. Quant à la banque  ce qu’elle a  fait est appréciable. C’est un  réseau de 14  filiales, plus de 140 agences et de points de vente, près de 2000 employés que nous avons dans les différents pays, avec d’importants volumes de financement mobilisés et octroyés aux opérateurs économiques. Nous sommes fiers d’être un instrument de la Cen-Sad même si nous savons que beaucoup de choses restent à faire, nous allons nous atteler à cela. Les instructions ont été données par les chefs d’Etats.

I. R. : Pouvez-vous nous parler des volumes de financement de la BSIC et son réseau de filiales ?

S. N. K. : En termes de volume de financement, vous savez que les banques commerciales mobilisent des ressources sur leur place bancaire. Nous avons chiffré ce volume de financement au cours des 7 dernières années (2006 à 2012), dans les 14 pays, à près de 3,7 milliards d’euros de financement mobilisés et octroyés à nos différents clients. Ce qui n’est pas négligeable. Parlant du réseau de notre banque, c’est au nombre de 14. Nous avons 7 filiales dans la zone Uémoa ; à savoir : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Au niveau de la zone Cémac (Afrique centrale) il y a le Tchad et la Centrafrique. En Afrique de l’Ouest toujours,  nous avons la Guinée-Conakry, la Gambie et le Ghana. En Afrique du Nord, il y a la Libye et le Soudan en Afrique de l’Est.

« L’activité bancaire a besoin de paix et de sécurité »

I. R. : Souvent les établissements bancaires souffrent de l’instabilité politique et sécuritaire des pays d’accueil, selon vous que faut-il faire pour éviter cette situation ?

S. N. K. : Nous vivons les réalités de notre environnement. C’est regrettable que des crises surgissent de temps en temps dans nos pays. L’institution bancaire est généralement un secteur bien encadré, bien organisé. Nous pouvons subir quelques contrecoups liés aux efforts pervers des crises, il s’agit de s’organiser.

La Banque Centrale à travers la Commission bancaire, exige des banques de définir un plan de continuité des activités pour qu’en cas de crises elle puisse savoir  les dispositions qu’elles envisagent de prendre de manière à pouvoir gérer  ces périodes de troubles Nous avons vécu un cas en 2011 avec l’éclatement de la crise en Lybie qui est le pays de siège de notre  institution bancaire qui a des filiales dans des pays qui n’étaient pas directement atteints par la crise. Cependant le fait que c’est le  pays de siège est en crise,  le public  avait des raisons de s’inquiéter pour  la pérennité du groupe en tant que tel.
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Grâce aux actions bien avisées de la hiérarchie de la banque, nous avons pu prendre des mesures qui ont fait que les filiales qui étaient hors du champ de la crise n’ont pas été affectées et ont pu continuer leur activité de façon quasi normale.

Ce  n’était  pas  facile,  mais nous avons pu amener les filiales à traverser cette période de crise grâce à la mise en place du plan de continuité des activités. Il faut souhaiter un apaisement de l’environnement économique dans nos pays. La seule bataille qui vaille aujourd’hui pour nous tous c’est celle du développement. L’activité bancaire a besoin de paix et de sécurité pour pouvoir prospérer car, sans paix il n’y a pas de développement.

I. R. : Est-ce que la BSIC peut se targuer d’avoir les moyens de la politique de Cen-Sad ?

S. N. K. : C’est notre objectif, parce que si nous ne réussissons pas c’est que nous n’avons pas su remplir la mission qui nous a été confiée. Ce n’est pas chose facile. La BSIC n’est pas seule dans l’espace Cen-Sad. Il y a d’autres banques qui sont là, que nous avons trouvées sur le terrain. Nous ne pouvons qu’accompagner les autres banques dans l’œuvre de financement de l’économie des pays de l’espace Cen-Sad. La BSIC entend jouer son rôle dans cette mission qui est la voie du développement. Nous espérons, avec l’appui de nos pays, de nos actionnaires, pouvoir, à l’heure du bilan, se dire effectivement : la BSIC a joué sa partition dans la construction des économies de nos pays.

 » Notre espace bancaire attire beaucoup d’investisseurs étrangers… »

I.R : Avec le renouveau de la Cen-Sad, quel avenir bancaire y voyez-vous ?

S. N. K. : Si on regarde les statistiques, le taux de bancarisation dans la Cen-Sad reste très faible ; le nombre de citoyens disposant de compte bancaire ou qui mènent une activité bancaire est très insignifiant. Nous savons que pour que les banques puissent contribuer de façon significative  au financement de l’économie, il faut qu’elles arrivent à accroître ce taux de bancarisation. Le fait que nous n’avons qu’un taux faible veut dire que nous avons une marge de progression encore très confortable. Sur ce plan, je pense qu’avec la sensibilisation, le rapprochement des services bancaires aux utilisateurs potentiels, nous allons pouvoir atteindre un taux de bancarisation élevé.

Comme vous pouvez le constater, notre espace bancaire attire beaucoup d’investisseurs étrangers en matière de service bancaire. Il y a des grands groupes bancaires qui continuent à s’installer, des fusions et des rapprochements qui se font. Les taux de croissance dans l’espace Cen-Sad restent acceptables si nous le comparons au taux de croissance des économies développées européennes, américaines et asiatiques. On peut s’estimer heureux qu’en Afrique les taux de croissance sont relativement élevés. Ce qui veut dire que les perspectives sont favorables. Les banques voient également en Afrique dans l’espace Cen-Sad une zone d’investissement potentiel.

Donc l’avenir du secteur bancaire est promoteur en Afrique, mais il faut que les opérateurs qui sont les principaux bénéficiaires de services bancaires comprennent que leur développement est intimement lié au développement du secteur bancaire. Le développement du secteur bancaire se base aussi sur le respect des engagements que les bénéficiaires prennent vis-à-vis des banques. Il ne faut penser qu’on vient à la banque pour s’endetter et ne pas payer.
L’argent de la banque, c’est l’argent des déposants. C’est ce même argent qui est donné à ceux qui ont besoin de prêts pour soit consommer soit investir pour créer de la valeur ajoutée. Donc, nous jouons un rôle d’intermédiaire. Ceux qui nous confient leur argent nous font confiance en se disant que nous allons en faire un bon usage et ceux qui viennent emprunter aussi doivent savoir qu’ils ont obligation de rendre cet argent.

Il y a toujours de cas imprévus que la banque peut apprécier ; mais volontairement penser que je viens pour fabriquer toutes les preuves me permettant d’avoir un prêt mais être persuadé que ce n’est pas pour le repayer, est un problème. Il faut un éveil de conscience. Nous avons une obligation de bâtir un secteur bancaire sain. Un secteur bancaire sain, ça veut dire une économie saine, une économie en développement. Un secteur bancaire malade, c’est une économie malade. Les choses sont intimement liées.

 » Nous voulons mettre les opérateurs de ces pays en liaison »

I. R. : Quel conseil à l’endroit des Maliens qui ont chez eux une banque BSIC ?

S. N. K. : La banque de la Cen-Sad au Mali, c’est la banque du Mali, des Maliens, c’est la banque de tous les citoyens de la Cen-Sad. Elle doit être au service de l’économie du Mali et de l’économie de la Cen-Sad. Ce que nous voulons promouvoir par la création de ces banques c’est un accompagnement de nos opérateurs économique dans l’espace Cen-Sad. Il y a des pays qui sont fournisseurs de biens et services, il y a d’autres qui sont clients…

Nous voulons mettre les opérateurs de ces pays en liaison, en les accompagnant dans leurs activités. Il s’agit, pour les responsables de la filiale, de bien apprécier les opportunités d’affaires dans nos pays, les besoins de financement, tout ce qui contribue à la consolidation de ce tissu économique communautaire pour pouvoir accompagner les clients dans leur besoin. Puisque c’est 14 filiales, chaque filiale que notre groupe a dans l’espace Cen-Sad,  est dans  une compétition saine avec les autres  pour obtenir des résultats honorables au sein du groupe.
I. R. : Un message ?

S. N. K. : Le message est vraiment de prier pour que la paix revienne dans notre pays, le Mali et dans l’espace Cen-Sad. La menace pesait sur la souveraineté de notre pays, Dieu merci, nous venons d’assister à la manifestation d’une grande solidarité internationale autour du Mali. Il faut espérer que tous ces efforts que la communauté internationale a engagés pour notre pays, nous en  tirerons les meilleures leçons. La crise qui nous est arrivée, il faut que nous en analysions les causes profondes.
Est-ce que quelque part tous les actes que nous-mêmes avons posés depuis des années n’ont pas contribué au déclenchement de cette crise majeure ? Dans une crise il faut  tirer les leçons pour pouvoir éviter sa répétition Je prie pour le retour de la paix dans notre cher pays qui compte pour nous les Maliens et qui compte pour la communauté internationale. C’est important de rester mobilisé. Je souhaite la paix et la cohésion sociale entre toutes les couches sociales du Mali, car c’est ce qui a fait la grandeur de notre pays. Nous avons l’obligation de préserver ce patrimoine pour les générations futures.

Propos recueillis, à N’Djamena, par
Markatié Daou

L’ Indicateur Du Renouveau 2013-02-22 02:11:14