La Rwandaise Louise Mushikiwabo, adoubée par l’Union africaine et le président français Emmanuel Macron, affronte à partir de jeudi en Arménie la Canadienne Michaëlle Jean pour prendre la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Endeuillé par la mort du chanteur franco-arménien Charles Aznavour, qui devait venir à Erevan, ce XVIIe sommet de deux jours a officiellement pour thème le « Vivre ensemble ».
C’est pourtant une guerre feutrée que se livreront les 11 et 12 octobre les 84 Etats et gouvernements de la Francophonie pour le contrôle de l’OIF, avec en toile de fond la volonté de l’Afrique, où vit la majorité des francophones du monde, de « récupérer » le poste de secrétaire général.
L’instance politique est actuellement dirigée par Michaëlle Jean, ancienne Gouverneure générale du Canada, c’est-à-dire représentante de la reine d’Angleterre dans cette ex-colonie britannique. Les deux premiers secrétaires étaient originaires d’Afrique, l’Egyptien Boutrous Boutros-Ghali et le Sénégalais Abdou Diouf.
En raison de l’explosion démographique du continent, 85% des francophones y vivront en 2050, sur un total de 700 millions, contre 274 aujourd’hui, selon l’OIF, et M. Macron répète à l’envi que « l’avenir de la francophonie » se trouve en Afrique.
Québécoise d’origine haïtienne, Michaëlle Jean doit faire face à la candidature de la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, annoncée fin mai à Paris par le président rwandais Paul Kagame et son homologue français Emmanuel Macron, qui y a apporté un soutien appuyé.
Ce duel féminin symbolise la lutte d’influence entre les deux principaux bailleurs de fonds de l’OIF, le Canada et la France, dont les deux dirigeants M. Macron et Justin Trudeau se déplaceront à Erevan, mais également le poids grandissant de l’Afrique au sein de la Francophonie.
« Le centre de gravité de la francophonie aujourd’hui, il est en Afrique », a répété récemment sur la radio RFI le secrétaire d’Etat français en charge de la Francophonie, Jean-Baptiste Lemoyne. « La France se rallie à une candidature qui est portée par un continent tout entier », assure le ministre.
Les pays africains, qui formeront une bonne partie de la quarantaine des dirigeants présents à Erevan, sont de plus majoritaires au sein de l’OIF (27 sur 54 membres ayant droit de vote) et l’Union africaine – dirigée par le Rwanda cette année – a apporté son soutien à Mme Mushikiwabo.
– Le « pays le moins bien placé » –
La candidature rwandaise fait cependant grincer des dents: le Rwanda a remplacé en 2008 le français par l’anglais comme langue obligatoire à l’école puis a rejoint le Commonwealth, pendant anglophone de l’OIF, un an plus tard. C’est d’ailleurs en anglais que Paul Kagame avait annoncé la candidature de sa ministre.
« Y a-t-il au monde un pays moins bien placé que le Rwanda pour prétendre présider aux destinées de la francophonie linguistique ? Sans doute pas », écrivaient mi-septembre dans une tribune au quotidien français Le Monde Charles Josselin, Pierre-André Wiltzer, Hélène Conway-Mouret et André Vallini, quatre anciens ministres français chargés de la francophonie.
Dans l’entourage de M. Macron, on souligne que le plurilinguisme du Rwanda, loin d’être un handicap, « illustre parfaitement » la politique inclusive du président français, qui veut défendre le français sans l’opposer aux autres langues.
Outre la langue, les détracteurs de la candidature rwandaise jugent qu’elle sacrifie la charte de l’OIF, qui a inscrit « le soutien aux droits de l’Homme » parmi ses missions premières, sur l’autel d’une réconciliation entre Paris et Kigali, qui accuse la France d’avoir joué un rôle dans le génocide rwandais.
Le Rwanda pratique « censure, menaces, arrestations, violences, assassinats » contre les journalistes qui osent dénoncer l’autoritarisme de ses dirigeants, a récemment dénoncé Reporters sans frontières (RSF).
Interrogée par l’AFP sur les droits de l’Homme, Mme Mushikiwabo a affirmé que « la majorité des Rwandais sont contents du système démocratique ». « Je vais à Erevan avec un sourire », a-t-elle déclaré dans une interview récente à TV5 Monde.
Face à Mme Mushikiwabo, Michaëlle Jean défend son bilan, assurant à l’AFP avoir « positionné la Francophonie sur l’échiquier multilatéral », tout en mettant en avant son « africanité ». « Je suis Haïtienne et Canadienne afrodescendante », répète-t-elle.
Elle dénonce par ailleurs comme des « campagnes diffamatoires » les attaques d’une partie de la presse québécoise l’accusant de mener un « train de vie extravagant » après des travaux menés par l’OIF dans sa résidence officielle.
En apportant un soutien à Mme Jean – que certains ont jugé timoré – , le Canada, comme le Québec, ont demandé plus de transparence dans la gestion de l’OIF.
AFP
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