Au moment où les thuriféraires du régime défunt publient leur livre sacrilège « le Mali sous Moussa Traoré », ils occultèrent à dessein les bagnes mouroirs, les purges permanente entre putschistes eux-mêmes.
Pour mémoire, nous reprenons ici le témoignage d’un des rescapés militaires le lieutenant Samba G. Sangaré, le chevalier du désert et de l’honneur qui s’était confié en 1992 à M. Tiéblé Dramé dans les colonnes du Républicain.
Le Sergent-chef Samba Sangaré faisait partie des 33 officiers et sous-officiers qui avaient tenté en août 1969 de faire le coup d’Etat contre Moussa Traoré. Ils voulaient renvoyer l’armée dans ses casernes et redonner le pouvoir aux civils. Leur chef de file était le légendaire capitaine Dibi Silas Diarra. Arrêtés, ils furent inculpés de complot contre la sûreté de l’Etat, traduit du 10 au 14 décembre 1969 devant la Cour de sûreté de l’Etat et condamnés à des peines allant de cinq ans aux travaux forcés à perpétuité. Certains de leurs juges étaient sur le banc des accusés du procès « Crimes de sang » : les généraux Amara Danfaga et Mamadou Coulibaly.
D’autres sont à la retraite ou décédés.
Deux jours après le verdict, neuf des condamnés considérés comme les cerveaux du complot furent transférés à Tombouctou, puis à Taoudénit où ils arrivèrent le jour de Noël de l’an 1969.
Taoudénit, une mine de sel à 900 km au nord de Tombouctou où le gouvernement militaire érigea quelques mois plutôt « un centre de rééducation ».
Au départ des condamnés de Bamako, le lieutenant Tiécoro Bagayogo leur lança un « Au revoir Messieurs les touristes ! ». De ces neuf « touristes » seuls, trois reviendront.
L’un d’eux succombera des séquelles de sa détention.
Le Sergent-chef Samba Sangaré fut l’un des deux survivants.
Il a parlé de la mort de ses camarades, des travaux forcés, de la brutale sauvagerie de leurs geôliers, de la torture, de la maladie, de la sous alimentation.
Il relata comment Moussa Traoré avait envoyé mourir à Taoudénit certains de ses compagnons de la première heure et l’arrivée de patriotes comme Victor Sy.
Comment sur cette terre de vieilles civilisations, l’homme pouvait-il déshumaniser autant son prochain ? Voici le témoignage hallucinant et accablant qu’il tint au moment du procès « crimes de sang ».
Le Républicain : Ainsi, vous avez passé dix ans dans l’enfer de Taoudénit
Samba Sangaré : Nous sommes arrivés à Taoudénit le 25 décembre, à Noël.
Il fait froid au nord, mais à Taoudénit.
Il faisait plus froid que partout ailleurs au Mali.
Le lieutenant Almamy Nientao, chef de poste militaire, nous a empêché de porter les tenues civiles que nous avions c’est à dire les pull-overs, les manteaux ou les pantalons pour nous protéger contre le froid.
Il a exigé que nous, les anciens militaires, portions uniquement la tenue pénale qui était faite de la chemisette avec des bretelles sur les côtés et le short.
C’est comme ça pendant le mois de décembre à Taoudénit que Nientao nous a fait travailler.
On ne pouvait même pas porter un maillot de peau.
Le Républicain : Quelles étaient vos conditions de détention ?
Samba Sangaré : Lorsque nous sommes arrivés, Nientao nous a dit que la note qui nous accompagnait précisait que les militaires ne doivent pas nous considérer comme d’anciens compagnons d’armes mais comme étant des gens entrés en opposition. Donc pas de pitié.
Dans ces conditions là, notre détention a commencé de façon extrêmement draconienne.
La nourriture à l’époque était extrêmement défectueuse.
C’était le mil rouge.
Je ne sais pas si vous vous souvenez, en 1969, il y avait le mil rouge dans le pays, et c’était ce mil rouge qu’on nous avait envoyé, qu’on mangeait sans viande, ni poisson, concassé rapidement et cuit à l’eau salée.
Extrait du journal Le Républicain Propos recueillis par Tiébilé Dramé en 1992.
Youssouf Sissoko