Rétrospective : Discours prononcé par le président Modibo Keita au meeting du 1er anniversaire de la proclamation de l’indépendance (suite et fin)

Modibo Keïta, Président du Mali -1960-1968.

« …Quelle cruelle déception pour ceux qui rêvaient d’un isolement du Mali, que le spectacle de toutes les missions étrangères qui nous ont visité ou se sont installées ici !
Qui, mieux que nous, peut se vanter, après un an d’exercice de sa souveraineté, d’avoir fait entendre notre voix dans le concert des nations, sans trahir une seule fois les intérêts et les espoirs des peuples africains ?
Nous pouvons relever avec fierté la confirmation à Belgrade par les pèlerins de la paix de la justesse de notre ligne politique définie avec précision un an auparavant.

Nous avions dit – et nous l’avons prouvé – notre opposition à l’impérialisme. Pour nous, l’impérialisme, c’est cette volonté de domination qui fait qu’on ne croit valable d’autre civilisation que la sienne, d’autre régime politique et économique que le sien, c’est la mise en marche du processus de leur imposition à d’autres pays par la corruption, la subversion et la guerre ; c’est encore ce mépris voilé par un paternalisme outrageant pour les jeunes pays, qui n’admet pas que ceux-ci, sans tuteur, soient capables de se gouverner ; c’est, en résumé, cette volonté de placer d’autres pays sous son hégémonie.

Ce n’est pas non plus du bout des lèvres que nous proclamons notre opposition au colonialisme. Le Portugal sait que nous sommes avec les combattants de d’Angola, où des frères sont massacrés par milliers, contre toute morale et uniquement parce qu’ils veulent être des hommes libres.

Les Algériens, au combat depuis sept ans, avancent chaque jour sur le chemin de la victoire. Cette guerre à nos frontières ne peut continuer de durer, car l’Afrique et les peuples du monde entier épris de justice et de paix sont avec le peuple algérien.

D’autre part, certaines leçons doivent être tirées des débats récemment survenus à l’O.N.U. au sujet de Bizerte, qui ont conclu à l’abandon et à la condamnation de la France par ses propres amis.

Il n est que temps de renoncer aux rancœurs et aux utopiques solutions de rechange, qui ne peuvent que précipiter la défaite. Il ne faut pas que la France sacrifie à la défense d’intérêts colonialistes, le capital de confiance et d’amitié dont elle a bénéficié dans le monde et même auprès de ses anciennes colonies.
La partition de l’Algérie, la mise en place d’un gouvernement algérien fantoche lui feront perdre à jamais l’amitié du peuple algérien et de bien des peuples africains. Bao Daï n’a pas empêché Dien Bien Phu ni le Glaoui la restauration de Mohamed V.
A cet égard, je ne puis ne pas songer à l’esprit d’à propos britannique qui a toujours su ménager partiellement le capital de confiance acquis dans ses anciennes colonies.

Toutes ces prises de positions réaffirmées par la rencontre de Belgrade n’ouvrent-elles pas des perspectives nouvelles au seuil de l’an II de la République du Mali ?
C’est avec une fermeté toujours accrue que nous resterons fidèles à notre politique de non-alignement. Notre attitude sur ce point est d’autant plus juste qu’elle constitue la seule base susceptible de sauver l’Afrique de la guerre froide, de mettre un terme au processus de sa division qui dessert les Africains au profit des colonialistes et des forces impérialistes. »
Youssouf Sissoko
youssouf@journalinfosept.com.
Source:Info sept 06/06/2016.