Le Vendredi Noir du 22 Mars 1991, le jour où GMT reçut la demande de Mouvement démocratique
La journée du vendredi 22 Mars marqua pour les bamakois le début d’un cauchemar qu’ils n’auraient jamais imaginé vivre. Dès le petit matin, les élèves et étudiants dressèrent des barricades dans les quartiers de la capitale et se regroupèrent, bien déterminés à démontrer leur opposition à un régime de plus en plus décrédibilisé. Leurs premières actions furent dirigées vers tout ce qui symbolisait une autorité qu’ils ne reconnaissaient plus : domiciles des dignitaires, commerces supposés appartenir à des prête-noms ou à des soutiens du parti unique, organismes d’État, etc. La répression qui s’en suivit fut sanglante parce qu’à partir des camions et des engins blindés, policiers et soldats, déployés pour le maintien d’ordre, osèrent ouvrir le feu sur les manifestants aux mains nues. Au milieu de la matinée, les premiers corps commencèrent à affluer à l’hôpital Gabriel Touré qui sera très vite débordé. L’opinion publique qui était en état de choc total, avec 39 morts sous le bras recensés au cours de la même journée, attendait une déclaration du président de la République dès la mi-journée. Mais ce ne fut qu’à 18h que Moussa Traoré s’adressa à la Nation. Il prononça un discours totalement en déphasage avec la réalité du terrain. Il expédia ses regrets aux familles des victimes, mais s’employa surtout à fustiger les saccages causés par les manifestants en insistant sur la nécessité de rétablir l’ordre. Il ne fit aucune proposition d’ouverture. Après avoir maintenu son entêtement au 4è congrès de l’UDPM qui était prévu pour les 26, 27 et 28 mars 91 et qui devait décider de la marche à suivre quant à la démocratisation du pays, il décréta l’état d’urgence et un couvre feu de 21h à 5 heures du matin. Au cours de la matinée du 23 mars, des milliers de Bamakois, dans le sillage des mères portant le deuil de leurs enfants tombés sous les balles, bravèrent le pouvoir à travers une marche gigantesque. Ils le firent au mépris de toute prudence et au nom de leur intime conviction que les choses devaient changer. L’indignation était à son paroxysme au matin du 23 mars alors que se répandaient comme une trainée de poudres les détails de la tragédie de la veille. Des femmes avaient sillonné les services et les logis pour bousculer les dernières hésitations des hommes. Une foule, grossie par un extraordinaire bouche à oreille, avait rallié la Bourse du Travail. La consigne de marcher sur le palais de Koulouba avait alors jailli de manière spontanée dans l’immense flot humain qui s’ébranla vers le palais présidentiel. L’écrasante majorité des manifestants de ce jour n’appartenait à aucune association démocratique, juste des citoyens maliens qui aspiraient au changement. Au niveau du ministère de la Défense, un barrage des forces de sécurité et une pluie de grenades lacrymogènes coupèrent la route de Koulouba aux manifestants. Mais la machine populaire était lancée et plus rien ne pouvait l’arrêter.
Ainsi, le dimanche 24 mars lors d’un meeting aussi impressionnant que le précédent, le comité de coordination des associations et organisations qui s’étaient formé, composé de l’UNTM, l’AEEM, l’AMDH, l’ADIDE, l’AJDP, la JLD, l’ADEMA et le CNID, informait l’opinion publique dans un communiqué du déclenchement d’une grève générale illimitée des travailleurs. Le comité posait comme condition la dissolution du gouvernement et celle de l’Assemblée Nationale. Il demandait dans le même document la démission du président de la République et prônait la mise en place d’un Comité de Salut Public qui serait chargé de gérer la transition politique jusqu’à l’organisation d’élections libres et démocratiques. C’est ainsi qu’une délégation historique composée, entre autres de Me. Drissa Traoré, bâtonnier de l’ordre des avocats et des regrettés Me. Demba Diallo et Bakary Karambé, se rendit à Koulouba pour remettre le manifeste au général Moussa Traoré qui avait reçu la veille une délégation des chefs religieux. Les positions étaient, de part et d’autre, trop tranchées pour être conciliées. L’entourage du chef de l’Etat tenta néanmoins, désespérément, de transformer l’après-entrevue en séance de négociation. Les délégués s’y refusèrent, se limitant strictement à leur rôle de messagers. Et le 26 Mars 1991 Moussa, le dictateur tomba.
e Youssouf Sissoko