Après dix ans d’absence, l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo est triomphalement rentré le 17 juin 2021 dans son pays.
Il y a été accueilli en héros par une foule en liesse qui n’était pas composée que de ses seuls partisans.
Et cela d’autant plus qu’ils sont nombreux les Ivoiriens qui semblent avoir enfin compris que ce nationaliste/panafricaniste, bête politique et redoutable orateur, a été diabolisé par la France et ses alliés politiques dans le pays afin de mieux se débarrasser de lui.
La vision politique prônée par Laurent Koudou Gbagbo était une sérieuse menace pour les intérêts français, pour la Françafrique dont la Côte d’Ivoire a toujours été la locomotive en Afrique de l’ouest.
«Vous venez du Mali ? Soyez les bienvenus en Côte d’Ivoire, chez vous… Je vous charge d’aller dire au président Alpha Oumar Konaré que la Côte d’Ivoire n’est pas l’ennemi du Mali, je ne suis pas son ennemi… Nous avons un ennemi commun et ce n’est qu’en se donnant la main que nous pourrons le vaincre…», nous a confié en 2000 Laurent Gbagbo à la fin de la cérémonie d’ouverture du Forum des Marchés (R+2) réalisé à Adjamé (Abidjan/Côte d’Ivoire) par la Société Ivoirienne de Gestion et de Concept (SICG qui a aussi réalisé les Halles de Bamako).
Ce jour, ces propos nous ont personnellement heurté parce que nous étions loin de comprendre leur portée réelle. Et cela d’autant plus que les Maliens de Côte d’Ivoire étaient de plus en plus victimes de la politique chauviniste de l’aile dure du pouvoir Gbagbo. Pendant notre séjour, nous avions ressenti cela dans les discours, dans les attitudes, dans certains regards.
Et sans doute que Laurent Koudou en était aussi conscient sans se douter que cette politique de diviser la Côte d’Ivoire entre le nord et le sud, entre autochtones et étrangers, allait lui coûter le pouvoir et le condamner à un long exil. En prenant le risque de mettre le pied dans le plat (les intérêts) d’une puissance impérialiste comme la France et de ses multinationales, lui et son entourage auraient dû pourtant comprendre que celle-ci allait exploiter toutes les brèches pour se débarrasser de lui.
Et on comprend aujourd’hui pourquoi ce leader dérangeait tant : son discours inspiré par sa vision panafricaniste ! Un discours militant pour montrer la voie de l’émancipation (politique, économique et mentale) aux Ivoiriens, aux Africains ! Son projet de société, les décisions politiques qui en ont résulté, notamment fiscales et sociales, visait à réduire la dépendance de la Côte d’Ivoire de l’extérieur, notamment de la France ; permettre aux Ivoiriens de jouir pleinement de l’exploitation des immenses richesses du pays par des multinationales…
Et comme le signalent de nombreux observateurs, son handicap a été l’aile dure de son pouvoir, notamment de son parti le FPI (Front Populaire Ivoirien). Aux ordres de Simone Gbagbo, elle n’a pas cessé d’œuvrer à exclure une région du pays et une couche non négligeable du pays : Le Nord et les habitants (Dioulas, Sénoufos, Koyakas…)… pour des considérations chauvinistes. Même si on comprend aujourd’hui que l’ex Première dame avait d’autres raisons de les détester (Affoussiata Bamba-Lamine lui a pris le cœur de Laurent).
La division nord-sud exacerbée pour se débarrasser de Gbagbo
Voyant là une belle opportunité de se remettre en selle dans une ex-colonie au cœur de la Françafrique, la France a donc profité de cette guerre pour le pouvoir entre les successeurs de Félix Houphouët Boigny, d’une part, et entre eux les opposants au père de l’indépendance, d’autre part, pour exacerber cette division nord-sud qui a provoqué cette grave crise dont les séquelles hantent encore les esprits dans le pays où les vieux démons peuvent se réveiller à tout moment. Aujourd’hui, même les plus sceptiques ont finalement compris que feu Jacques Chirac a été le principal artisan de la chute de Laurent Koudou parce que non seulement il a refusé de contribuer au financement de sa campagne pour la présidentielle de 2002 et aussi parce qu’il était devenu une sérieuse menace pour la françafrique comme les regrettés Modibo Kéita, Thomas Sankara… et relativement Mouammar Kadhafi…
«Les 18 et 19 septembre 2002, j’étais en voyage officiel à Rome (Italie). A peine arrivé, qui je vois à l’hôtel ? Robert Bourgi. Bien sûr, j’ai trouvé la coïncidence curieuse et, pour tout dire, ça ne pouvait pas en être une. Nous avons dîné ensemble (…). Je suis rentré à l’hôtel. Vers 3 ou 4 heures du matin (il était 2 h à Abidjan), j’ai été informé par un coup de fil de l’attaque militaire massive déclenchée dans tout le pays. Je décide de rentrer immédiatement. Robert Bourgi apparaît en ce moment et insiste : passe à Paris voir ton grand-frère (Chirac)… Sur le moment, j’ai pensé à tous ces chefs d’État, en Afrique, qui étaient partis en voyage et n’avaient jamais pu rentrer (…). Mais je ne suis pas allé à Paris voir Chirac, je suis rentré à Abidjan…» ! C’est un extrait des «Bonnes feuilles» du livre de Laurent Gbagbo, «Pour la vérité et la justice» (sorti le 26 juin 2014) publiées par le journal français, Le Point.
Au finish, Laurent Gbagbo a été arrêté le lundi 11 avril 2011 à l’issue d’une attaque sur sa résidence à Abidjan par des Forces républicaines de la Côte d’Ivoire (FRCI) appuyées par les moyens aériens et blindés des forces françaises (Licorne) et de la mission des Nations unies (ONUCI) mettant ainsi fin à près de 5 mois de crise post-électorale en Côte d’Ivoire qui a officiellement entraîné la mort de plus de 3 000 personnes. Le 21 mai 2011, Alassane Ouattara est investi président de la République et il est encore au pouvoir en faveur d’une révision constitutionnelle contestée qui lui a permis de briguer un 3e mandat.
De l’ombre à la Haye à la lumière d’Abidjan
Le 30 novembre 2011, Laurent Gbagbo est incarcéré au centre de détention de la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye. Il sera rejoint le 22 mars 2014 par Charles Blé Goudé, ex-chef du mouvement des «Jeunes patriotes» plus à la solde de Simone Gbagbo que de son époux. Ils sont accusés de quatre chefs d’accusation : meurtres, viols, persécutions et autres actes inhumains. Ils plaident naturellement non coupables et dénoncent un procès politique. Après avoir débuté en janvier 2016, ils sont définitivement acquittés le 31 mars 2021 faute de preuves car le dossier est vide. Après dix ans d’absence, l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo est triomphalement rentré le 17 juin 2021 dans son pays où il a été accueilli en héros par une foule en liesse qui n’était pas composée que de ses seuls partisans.
Celui qui a été le principal opposant à feu Félix Houphouët Boigny aura finalement triomphé de ses adversaires comme si le sort s’était chargé de régler ses comptes. En effet, l’ancien président Jacques Chirac est mort le 26 septembre 2019 après avoir eu des démêlées avec la justice de son pays après le pouvoir. Les leaders des FRCI qui ont contribué à sa chute ne sont plus de ce monde. A commencer par Ibrahim Coulibaly dit «IB» tué le 27 avril 2011 pour avoir refusé le démantèlement de son «Commando invisible». Le 5 janvier 2020, Issiaka Ouattara «Wattao» est mort à New York (Etats-Unis) où il avait été évacué pour raisons médicales. Et près d’un an après (le 10 mars 2021), Hamed Bakayoko est rappelé à Dieu (des suites d’un cancer foudroyant) à Fribourg-en-Brisgau (Allemagne) après avoir été nommé Premier par Ado (Alassane Dramane Ouattara) en juillet 2020
Après avoir été Premier ministre de 2007 à 2012 et président de l’Assemblée nationale ivoirienne de 2012 à 2019, Guillaume Kigbafori Soro vit aujourd’hui en exil accusé de complot contre le régime. Et aujourd’hui, Ado aussi est obligé de composer avec Laurent Gbagbo qui se retrouve dans le beau rôle du médiateur pour la réconciliation nationale.
Celui que des médias proches du RDR d’Alassane Dramane Ouattara ont taxé de «boucher» d’Abidjan se retrouve par la force des choses dans le beau rôle de réconciliateur des filles et fils de sa chère Côte d’Ivoire. Et il a presque toutes les cartes en main pour réconcilier les acteurs politiques ivoiriens qui semblent enfin comprendre que, comme l’a dit un universitaire, «les discours guerriers ne portent pas dans le contexte actuel».
Et surtout qu’il a eu la clairvoyance de pas s’engager dans une bataille juridique pour reprendre le contrôle du parti dont il est le fondateur : Front populaire ivoirien (FPI) ! «Aujourd’hui, je suis revenu de prison, il nous faut avancer. Je propose : laissons Affi (Pascal Affi N’Guessan) avec l’enveloppe qu’il détient. Nous allons baptiser le FPI autrement. Nous allons continuer à lutter. Le FPI, c’est nous. Nous allons changer de nom. C’est tout», a-t-il déclaré lundi 9 août 2021 à la tribune du Palais de la culture d’Abidjan.
Une décision très sage parce qu’il aurait perdu beaucoup d’énergie dans cette bataille (sans que l’issue ne lui soit forcément favorable) et surtout compromettre cette belle image de l’apôtre de la réconciliation nationale. Et cela dans un contexte de transition politique dans le pays en termes d’offres de futurs politiques, de visages neufs pouvant faire oublier les dinosaures que sont Henri Konan Bédié, Alassane Dramane Ouattara, Laurent et Simone Gbagbo tous coupables d’avoir fait basculer un moment le pays dans le chaos !
Naby