Restitution des biens culturels : Le Gabon pas du tout emballé

La question de la restitution des œuvres du patrimoine culturel africain se trouvant hors du continent ne semble pas comporter un enjeu culturel, scientifique et muséographique pour le Gabon. Dans cette interview accordée à Gabonreview, le Premier ministre de l’Etat de la Diaspora Africaine, par ailleurs ancien président du Conseil Représentatif des Associations Noires de France, Louis-Georges Tin, affirme que le Gabon n’aurait manifesté aucun intérêt pour le retour de ses trésors, en comparaison du Bénin et du Sénégal.

Gabonreview : L’Assemblée nationale français va bientôt débattre de la restitution des trésors coloniaux. De quoi s’agit-il et quel en est l’enjeu ?

Dr Louis-Georges Tin : 95% des œuvres classiques de l’Afrique sont en dehors de l’Afrique. Elles se trouvent à Berlin, à Bruxelles, à Paris, à Londres, à New York, etc. La restitution est nécessaire : c’est une question d’identité culturelle, d’intégrité spirituelle, de droits fondamentaux et de dignité collective.

Vous avez joué un rôle déterminant dans cette affaire. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Oui, j’ai lancé la campagne il y a quelques années, quand je dirigeais le CRAN, le Conseil Représentatif des Associations Noires de France. Et je la poursuis maintenant au niveau international en ma qualité de Premier ministre de l’État de la Diaspora Africaine. Nous avons obtenu des résultats concrets : à Ouagadougou, en 2017, Macron s’est engagé en faveur de la restitution, qui est en train de se mettre en place. Une résolution a été aussi adoptée en Belgique, et nous avons obtenu une victoire historique en mars 2019 : après notre plaidoyer, le Parlement de l’Union européenne a voté une résolution demandant aux pays-membres de l’UE de mettre en place des politiques de réparation et de restitution liées à l’esclavage et à la colonisation. https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2019 0239_EN.html.

Donc le Gabon va bientôt récupérer ses trésors ?

Pour l’instant, ce n’est pas prévu. Les pays intéressés doivent en faire la demande. Or, le Gabon ne s’est pas manifesté. J’ai écrit plusieurs fois aux autorités, et encore au ministre de la Culture, le 6 juin dernier, malheureusement, à ce jour, je n’ai reçu aucune réponse. La France ne peut pas rendre des objets si les pays n’en veulent pas.

Est-ce trop tard pour le Gabon d’intégrer le processus de restitution ?

Non, car le texte de loi n’est pas encore adopté. Donc il serait possible de l’amender pour inclure le Gabon. Mais pour l’instant, seuls le Bénin et le Sénégal se sont manifestés. Maintenant, si les autorités souhaitent véritablement le retour de ces trésors, il suffira que le Gabon puisse nous donner un mandat pour faire les démarches en son nom. Mais comme le texte arrive bientôt en séance, il n’y a plus de temps à perdre. Sinon, ce serait une occasion historique définitivement perdue.

Combien d’objets gabonais y a-t-il en France ?

Rien qu’au Musée du Quai Branly, il y en a 2448.

Oui, il y a par exemple cette statue Tsogho, pillée au Gabon au 19e siècle, qui a été transférée au Musée de l’Homme. Elle fut à nouveau volée dans les années 1950 puis retrouvée et «restituée» au musée du Quai Branly à Paris en 2016. Mais ce n’est pas au Quai Branly qu’il faut la restituer. C’est au Gabon !

Cela concerne-t-il seulement la France ?

Non, il y a des trésors gabonais au Royaume-Uni, en Suisse, aux Etats-Unis, un peu partout. Le Gabon, comme tous les autres pays africains a été dépouillé. Maintenant,  c’est à lui de dire s’il veut être restauré dans son droit. La balle est dans votre camp !

Le Gabon est-il équipé pour accueillir ces objets ?

Je crois qu’il ne faut pas sous-estime le Gabon. Par ailleurs, si les autorités ne sont pas prêtes, elles doivent tout de même revendiquer leur propriété. Ce qui est important, c’est la restitution, qui est un acte juridique. Le retour, qui est l’acte physique, peut être différé si nécessaire. Et entre temps, le Gabon peut louer les objets à la France moyennant finance, ou les faire circuler à l’international, pour récolter des fonds, ce qui permettra de financer la conservation. Mais la restitution, c’est maintenant. Le Gabon doit se mobiliser rapidement.