Décidément, le Mali est loin de sortir de l’auberge, et à chaque jour suffit sa peine. Après plus de 70 jours d’arrêt de travail des hommes en robes noire et rouge, nous voici entrés dans une nouvelle phase, dans la guerre qui oppose l’Exécutif et le Judiciaire, celle de la réquisition que le gouvernement entend mettre en œuvre pour obliger les magistrats à reprendre service. Comme une réponse du berger à la bergère, c’est un niet suivi de la menace de poursuite contre les responsables de cet acte, que les magistrats brandissent. Face au durcissement de positions des deux protagonistes, que va-t-il se passer ?
C’est par une déclaration lue le 9 octobre 2018 sur les antennes de l’ORTM par Mme la Ministre en charge de la Fonction publique, que le gouvernement a informé l’opinion publique de la prise d’un décret de réquisition des magistrats. Cela après l’avis de la Cour Suprême jugeant leur grève illégale. Cette déclaration a aussitôt provoqué l’ire des magistrats et même de certains hommes de droit qui ont crié au complot et juré de le faire échouer. En Assemblée Générale extraordinaire sur la déclaration du Gouvernement, les responsables du SAM et SYLIMA ont d’abord relevé certaines irrégularités et contre-vérités. Parmi elles, il y a l’avis de la Cour Suprême demandé par le PM. Cette saisie est illégale, car seul le Président de la République est habilité à le faire. Autre irrégularité, c’est l’usage fait par le gouvernement du droit de réquisition. Pour les syndicalistes, les décrets d’application n’ont pas été pris. Ils disent ne pas savoir qui doit être réquisitionné. Comme contre-vérités relevées par les responsables syndicaux, il y a cette affirmation du gouvernement qui dit que les magistrats ont observé la grève illimitée sans préavis. Faux ! rétorquent les responsables du SAM et SYLIMA qui disent avoir bien mentionné dans leur préavis, qu’en cas de désaccord, ils observeront une grève illimitée. Comme actions à court terme, ils entendent poursuivre le président de la Cour Suprême aux fins de le récuser pour forfaiture.
S’agissant de l’usage que le gouvernement entend faire de la réquisition, ils disent s’y opposer car elle est illégale. Et, pour ne rien arranger, les magistrats demandent le départ du Premier Ministre Soumeylou Boubèye Maiga, de Tiénan Coulibaly, ministre de la Justice garde des Sceaux, de Mme Diarra Racky Talla ministre en charge de la Fonction publique et du président de la Cour Suprême, Nouhoum Tapily. Aussi, ils comptent porter plainte contre ces différentes personnalités. Dans leur déclaration, après s’être indignés et face à de graves violations, ils disent prendre acte de la décision et dénonce le déni de droit, la tentative de caporalisation et la propension dictatoriale de l’exécutif qui devrait, au nom du principe de la séparation des pouvoirs, s’interdire d’interférer dans le Judiciaire. Par conséquent, les magistrats refusent de se soumettre à cette décision illégale et promettent d’engager des procédures judiciaires.
La réquisition des magistrats n’a pas laissé indifférents certains leaders politiques à l’image du Docteur Oumar Mariko de SADI. Elle a même provoqué une vague d’indignation dans la grande famille judiciaire. Certains avocats ont réagi à l’instar de Me Boubacar Karamoko Coulibaly : «….Que les magistrats en grève font l’objet de réquisition voilà une vraie fausse solution. Car au dela de la régularité de la mesure, la réquisition en son principe même est toujours limitée dans le temps. Par ailleurs, au nom du principe de la séparation des pouvoirs, est ce qu’un pouvoir dit exécutif peut-il réquisitionner un autre pouvoir ? Surtout que toutes deux sont des institutions consacrées par la Constitution ? Mieux, cette mesure viole la Constitution qui a consacré la liberté syndicale. La fuite en avant n’a jamais été une solution. Dans cette affaire, un accord à minima aurait été de loin préférable à cette faute administrative. Cette réquisition est une véritable déclaration de guerre aux syndicats de la magistrature et renseigne les autres syndicats de la République sur ce qui les attend dans l’avenir ».
Youssouf Sissoko