Les peuples ont toujours célébré des évènements importants de leur histoire. Ceux-ci sont soit des faits historiques soit des légendes, des récits qu’un peuple, une ethnie se raconte comme fait fondateur de son identité.
Ainsi certains peuvent se vanter d’être au tricentenaire ou encore plus de la célébration d’un évènement majeur et d’autres sont aussi heureux d’avoir su enfin instituer une fête ou un évènement rassembleur qui fait sens pour la communauté, quand bien même ils ne sont qu’à la quatrième ou dixième édition. Si le nombre d’années apparaît comme un élément important, renvoyant à une tradition, ce n’est cependant pas le facteur déterminant. Car, ce qui compte c’est le fait d’avoir décidé et surtout d’avoir une date pour célébrer un évènement, pour faire mémoire. C’est donc l’inscription d’un évènement, dans la dimension spatio-temporelle, qui est fondamentale et vitale. Les Gen peuvent ainsi célébrer Ekpe-ekpe, les Kabye, Evala, les Ewe, Agbogbo Zan, les Mourides, le pèlerinage à Touba, les Brésiliens, le grand carnaval etc. La célébration de ces différents évènements renvoie à des dates et ces célébrations sont souvent médiatisées et provoquent une liesse populaire.
Peut-on dire que le 24 janvier a été aussi une fête pour nous les Africains du continent et de la diaspora ? Combien d’adultes savent ce que représente la date du 24 janvier pour les Africains ? Combien de jeunes se sont mobilisés pour cette date ? Savent-ils même qu’elle existe, eux qui sont, pourtant, très déterminés ces dernières années pour la reconnaissance de l’Afrique comme un continent grand et souverain ? Pourquoi se mobilisent-ils tant, par exemple, pour la St Valentin alors que le 24 janvier passe inaperçu ? Les autorités publiques des 54 pays, constituant le continent, ont-elles initié des activités de divers ordres pour célébrer cette date qui symbolise une forme d’appartenance commune à un continent ? Des structures sous régionales et continentales se sont-elles impliquées pour rappeler l’institutionnalisation de cette date ?
Et pourtant, à Khartoum en République du Soudan, lors de sa Sixième Session ordinaire (les 23-24 janvier 2006), l’Union Africaine a adopté, le 24 janvier 2006, la Charte de la Renaissance culturelle africaine. Et en référence à cette date, en 2019, lors de la 40è session de sa conférence générale, l’UNESCO fait du 24 janvier, la Journée mondiale de la culture africaine et afro-descendante.
Dans la Charte de la renaissance africaine, l’UA rappelle :
« qu’en dépit de la domination culturelle qui, au cours de la traite des esclaves et de la colonisation, a entrainé la négation de la personnalité culturelle d’une partie des peuples africains, falsifié leur histoire, systématiquement dénigré et combattu les valeurs africaines et tenté de remplacer leurs langues par celles du colonisateur, les peuples africains ont pu trouver dans la culture africaine les forces nécessaires à la résistance et à la libération du continent… »
L’UA a adopté cette Charte, dont un des objectifs est « d’affirmer la dignité de l’homme africain et de la femme africaine ainsi que le fondement populaire de leur culture; » (article 3). Et l’article 5 stipule que « les États africains reconnaissent que la diversité culturelle est un facteur d’enrichissement mutuel des peuples et des nations… La diversité culturelle contribue à l’expression des identités nationales et régionales et, plus généralement, à l’édification du panafricanisme. »
L’institutionnalisation du 24 janvier comme journée mondiale de la culture africaine et afro- descendante par l’UNESCO est un acte de reconnaissance de la culture africaine longtemps niée par le colonisateur. Et cette journée vient célébrer, comme l’affirme si bien l’UNESCO, « les nombreuses cultures vivantes du continent africain et des diasporas africaines dans le monde entier, et les promeut comme un levier efficace au service du développement durable, du dialogue et de la paix. En tant que source riche du patrimoine mondial commun, la promotion de la culture africaine et afro-descendante est indispensable pour le développement du continent et pour l’humanité en général ».
Affirmer que les cultures africaines sont indispensables à l’humanité est un acte de reconnaissance pour tout ce continent à qui on a voulu faire croire qu’il était sans culture et donc à ce titre qu’il n’était pas suffisamment entré dans l’histoire humaine. Ce qui semblait être nié à l’Afrique est, non seulement rétabli, mais plus encore, on admet que les cultures africaines font partie du patrimoine de l’humanité. Cette reconnaissance révèle que la culture constitue un des enjeux essentiels pour notre continent et pour le monde.
Pour notre continent, cela montre que « le refus d’assimilation a constitué le premier acte d’affirmation de soi, le premier niveau des quêtes négro-africaines de l’identité et de la liberté » (KÄ MANA in Philosophie africaine et culture). Ce refus, qui a duré depuis des siècles, malgré les effets négatifs de l’esclavage et de la colonisation, révèle « la capacité du peuple négro-africain à se penser, à se comprendre, et à s’assumer comme détenteur d’un pouvoir d’initiative et de novation sur les problèmes décisifs de sa propre destinée. Il s’agit de devenir puissance de créativité et nouvel ordre du sens : source d’un monde nouveau, depuis les rapports préréflexifs de l’homme au monde jusqu’aux cimes de la conscience réflexive et spirituelle. L’enjeu est de vivre activement la liberté comme énergétique d’un « Je » qui organise son propre monde et fertilise sa propre temporalité » (KÄ MANA).
Le refus de l’assimilation, qui, depuis les luttes anticoloniales, s’est manifesté et théorisé sous le terme de négritude, n’est donc pas un simple cri de révolte ni une forme de fatalité comme la thèse de Senghor sur l’émotivité du nègre (une réduction malheureuse) mais il démontre la reconnaissance du Noir comme être humain et de sa culture. Par conséquent, il atteste, qu’en réalité, la négritude « vise à faire du trajet anthropologique, par lequel l’être humain structure son être au monde, une dynamique dont l’humain est l’enjeu. L’humain, c’est tout le champ utopique en tant qu’horizon d’accomplissement de l’homme.
Il n’est pas la structure de violence où s’enferme l’être au monde de l’homme d’aujourd’hui. Il est dans le dépassement de cette violence par une réforme non seulement du style de relations conscientes entre les hommes, mais du style de rapports sensibles, affectifs de l’homme à son environnement… une nouvelle forme de regard sur le monde et sur les choses, un nouveau mode d’être. »
Ce mode d’être, avec les autres, avec son environnement qui transparait dans les cultures africaines, qui ont su résister à l’assimilation occidentale, c’est ce que les cultures africaines peuvent apporter au plan mondial à l’homme tout court et que revendique la négritude comme force, trajet et projet anthropologique. N’est-ce pas ce qu’Anne-Cécile ROBERT appelle le paradigme relationnel quand, pour une autre forme de mondialisation réussie, elle, invite l’Afrique, avec ses richesses culturelles, à aller au secours de l’Occident ?
L’Afrique, forte de ses richesses et de sa diversité culturelle, est invitée à ne plus s’asseoir sur la natte des autres (Joseph KI-ZERBO). Elle a besoin d’une conscience historique qui lui révèle, non seulement les faits douloureux, mais aussi sa capacité créatrice, car « on fait la recherche historique pour se construire une vision de soi libérée des pathologies du passé et enrichie par l’imagination du futur » (KÄ MANA). Et ainsi pour KI-ZERBO, « un historien est un libérateur de mémoire et un fécondateur de l’imaginaire pour une communauté historico- sociale décidée d’être elle-même et d’inventer elle-même la destinée qu’elle veut construire ».
Dans cette perspective de reconstruction et de développement, l’éducation est incontournable. Elle apparaît comme un processus qui fait appel à des dispositifs qui reposent sur un ou des paradigmes. L’Afrique, qui saisit sa renaissance comme un enjeu fondamental, ne doit-elle pas, dès lors, revoir les systèmes éducatifs et ses paradigmes ? L’Afrique qui, à la rencontre avec l’Occident, a pris le paradigme de vaincre-sans-avoirraison, car telle a été sa propre expérience douloureuse avec la civilisation occidentale, ne doit-elle pas puiser dans ses richesses culturelles des éléments pour proposer le paradigme de vaincre-avec-les autres en investissant dans le capital humain ? Cela ne pourra se réaliser qu’avec des systèmes éducatifs rénovés qui ne font plus de la concurrence un élément capital mais de l’émulation un facteur de valorisation de chacun pour un vivreensemble dans l’harmonie des différences.
Ce qui est remarquable, c’est que la date du 24 janvier est également la célébration de la journée internationale de l’éducation, instituée par les Nations-Unies depuis 2018. Et pour cette année 2023, le thème retenu est : « Investir dans l’humain, faire de l’éducation une priorité ». Pour cette journée, le Secrétaire Général des Nations-Unies, Antonio GUTERRES dit : « Mettons en place des systèmes éducatifs propices à des sociétés égalitaires et à des économies dynamiques et qui permettent à chaque apprenant dans le monde de concrétiser ses rêves les plus ambitieux. »
L’Afrique n’a-t-elle pas un rôle à jouer dans ce projet ? Saisir le sens profond de ces deux évènements, par une même date de célébration, ne peut-il pas être un déclic pour la jeunesse africaine, un défi à relever pour les autorités publiques en Afrique, un projet d’innovation pour l’élite universitaire et une source de libération d’énergie pour tous les Africains du continent et de la diaspora ?
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Lomé, le 27 janvier 2023
Par Maryse QUASHIE et Roger Ekoué FOLIKOUE
Source: IciLome